Sous les éclats ternes d’une croissance de 3,3 %, l’Afrique centrale avance à pas comptés. Les crises mondiales successives – pandémie, guerre en Ukraine, instabilités climatiques – ont laissé des cicatrices profondes. Et tandis que les économies avancées rebondissent, la sous-région demeure fragile, vulnérable aux chocs exogènes et prisonnière d’un modèle de rente qui refuse obstinément de mourir.

Les chiffres parlent d’eux-mêmes : le commerce intrarégional plafonne à 2 %, comme un symbole d’un marché commun qui ne décolle pas. Les produits traversent plus facilement les océans que les frontières voisines. Plus de 150 millions de personnes souffrent d’insécurité alimentaire, conséquence directe d’une dépendance quasi maladive aux importations. Dans un territoire qui regorge pourtant de ressources naturelles et de terres arables, la contradiction est cruelle.
C’est dans cette atmosphère que, lors de la 4ème session conjointe du Comité intergouvernemental des hauts fonctionnaires et experts (CIE) d’Afrique centrale et de l’Est tenue à Kigali le 1er octobre dernier, Charles Assamba Ongodo, vice-président de la Commission de la CEMAC (Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale), a lancé un appel aussi lucide que pressant : « L’Afrique centrale a besoin d’accélérer la diversification de sa base commerciale. » Derrière cette phrase, une évidence : tant que la sous-région ne transformera pas ses richesses sur place, elle restera spectatrice du marché mondial. Bois, cacao, manganèse ou pétrole – autant de trésors bruts exportés sans valeur ajoutée, pendant que les emplois et les devises s’évaporent ailleurs.
La stratégie sous régionale d’import-substitution, si elle est enfin activée, pourrait changer la donne. Il ne s’agit plus de produire pour produire, mais de bâtir des chaînes de valeur régionales : transformer le cacao en chocolat, le coton en textile, le manioc en farine locale. C’est dans cette industrialisation progressive que se joue la souveraineté économique. À défaut, la balance commerciale restera déséquilibrée, la devise instable, et la croissance, un mirage statistique.
Mais la diversification ne se décrète pas, elle se prépare. Elle exige énergie, infrastructures, et surtout, volonté politique. Trop souvent, les États membres fonctionnent en solitaires, chacun espérant attirer les mêmes investisseurs, implanter les mêmes usines, vendre les mêmes produits. L’Afrique centrale ne manque pas de stratégies, mais d’exécution : les rapports s’empilent plus vite que les réformes ne s’appliquent.
Pourtant, les signaux de réveil existent. Les zones économiques spéciales se multiplient, les corridors transfrontaliers se dessinent, les programmes de la CEA et de la CEMAC convergent autour de la transformation locale. Jean Luc Mastaki, directeur du Bureau sous régional de la CEA pour l’Afrique centrale, y voit une opportunité : « Miser sur nos capacités productives et tirer parti de la ZLECAf, c’est ouvrir la voie à une transformation durable et inclusive ». Encore faut-il que les États fassent front commun. Car face aux chocs climatiques et géopolitiques, aucune économie n’est assez solide seule. Les défis alimentaires, énergétiques et monétaires ne se résoudront pas dans l’isolement.
L’Afrique centrale doit donc apprendre à se penser comme un ensemble, et non comme six marchés fragmentés. À l’heure où d’autres sous-régions du continent consolident leur intégration, l’Afrique centrale n’a plus le droit à la lenteur. Elle doit choisir : rester à la traîne ou assumer enfin sa vocation de puissance économique. Les matières premières ne suffisent plus ; il faut les transformer, les valoriser, les partager. Et si, au lieu d’attendre le prochain choc mondial, la sous-région décidait de provoquer son propre sursaut ?
JRMA