Dans la capitale régionale du Sud, la campagne électorale 2025 dépasse le simple affrontement politique. Elle se déploie comme un théâtre vivant, où Paul Biya, est omniprésent et glorifié comme un monument inébranlable, tandis que l’opposition avance avec prudence, humour et créativité pour se faire entendre.

Dès l’entrée nord d’Ebolowa, la ville s’ouvre sous un ciel doux, caressé par le soleil matinal. Comme des drapeaux immobiles dans un ballet silencieux, les affiches de Paul Biya s’étirent sur plusieurs mètres à un carrefour. Chaque couleur, chaque slogan semble animé par une respiration propre, un souffle qui traverse la ville et qui accompagne le pas des habitants.
Au marché central, le brouhaha des clients se mêle à l’odeur du café brûlant et des épices fraîches. Mme Akono, commerçante de 42 ans, dispose ses tissus colorés et regarde les passants : « Chaque matin, je vois ces affiches et je me sens protégée. La stabilité, c’est ce que nous voulons pour nos enfants, pour nos familles. » À quelques mètres, M. Nguema, propriétaire d’une petite boutique de textiles, hoche la tête en souriant : « Mais nous voulons surtout continuer à vivre, à travailler, à voir nos affaires prospérer. Peu importe le nom sur l’affiche, l’essentiel est que la ville respire. »
L’omniprésence du président dépasse le cadre d’une simple campagne. Chaque poster devient célébration, chaque slogan une ode à la longévité et à la sagesse. Martine Mfou’ou Mengue, vendeuse de beignets à Nko’ovos, s’exclame avec ferveur : « Paul Biya, c’est notre guide. Sans lui, que serait le Sud ? » À ses côtés, un jeune étudiant en économie, lunettes légèrement de travers et sourire espiègle, complète : « Il est comme le soleil : on sait qu’il va se lever chaque matin et réchauffer nos vies. » Même sous la chaleur accablante de midi, il ajoute en riant : « Au moins, il est là ! » Dans les cafés et les marchés, la conversation oscille entre admiration et nostalgie, entre respect et ironie. « Ici, il est un roi », confie un retraité, yeux rivés sur une affiche gigantesque près de la mairie. « Dans le Sud, on le vénère presque comme un arbre centenaire. » Une commerçante de jus de gingembre renchérit, mi-sérieuse, mi-facétieuse : « Et quand il tombera, il faudra des parapluies : la pluie de posters ne s’arrêtera pas ! » Les enfants, eux, trouvent dans cette omniprésence un amusement innocent : « Pourquoi on voit toujours le même monsieur partout ? » demande une fillette, tandis que son camarade propose : « Peut-être qu’il veut être notre professeur pour toujours ! » Rires spontanés, complicité joyeuse, et la ville entière devient scène d’une comédie politique douce et vibrante.
Face à cette déferlante, l’opposition avance avec prudence, transformant la discrétion en force. Les partisans de Cabral Libii et des autres candidats observent et dialoguent dans l’ombre, avec humour et énergie. Dans une ruelle étroite du quartier nord, un militant murmure : « Ici, on est comme des caméléons. On observe, on écoute… mais on ne fait pas de vagues. » Pourtant, derrière ces sourires calculés, bouillonne une énergie nouvelle. Les jeunes brandissent des pancartes miniatures et échangent messages et vidéos sur les réseaux sociaux, tandis que les aînés, assis sous les manguiers, discutent de renouveau, de perspectives et de démocratie. « On ne peut pas ignorer l’histoire, mais on peut rêver d’un futur différent », confie un enseignant retraité, ajustant ses lunettes, le regard mi-sérieux, mi-espiègle.
Le contraste entre la gloire de Biya et la discrétion de l’opposition est saisissant. Dans les marchés, les conversations oscillent entre admiration et frustration. « Quand je vois Biya partout, je me dis qu’il est comme un vieux chêne : imposant, inamovible. Mais un jour, même le chêne tombe… », confie un commerçant au sourire mi-figue, mi-raisin. Une vendeuse de légumes ajoute, avec un rire retenu : « Et quand il tombe, attention aux branches ! » Dans un café, un jeune journaliste étudiant analyse : « Les gens adorent, ils critiquent, mais chacun cherche sa vérité. La politique ici est un spectacle où tout le monde joue son rôle. »
Les places publiques deviennent scènes de théâtre improvisées. Dans un village périphérique, les militants du RDPC chantent, dansent et scandent des slogans, transformant la route en carnaval politique. « C’est un festival de la gloire de Biya ! » s’exclame un jeune tambourinaire, frappant le rythme des slogans. À quelques mètres, une militante de l’opposition, souriante mais déterminée, confie : « On ne peut pas rivaliser avec les affiches, mais nos idées touchent les cœurs. Chaque conversation, chaque sourire compte. » Sous un manguier, un groupe de jeunes débat avec passion des projets pour l’avenir, tout en échangeant des anecdotes et des messages sur leurs téléphones. « Même si on n’est pas visibles partout, on peut semer des idées », dit l’un d’eux.
Entre les rires des enfants, les chants des militants et les murmures des observateurs attentifs, Ebolowa raconte une campagne électorale qui dépasse les simples slogans : elle devient spectacle, mémoire et espérance, où chaque citoyen joue son rôle, qu’il admire, critique ou rêve d’un lendemain différent. Paul Biya reste le soleil inébranlable de la scène politique, mais autour de lui, des rayons d’opposition percent l’ombre avec douceur et détermination. Dans ce théâtre vivant, chaque poster, chaque sourire, chaque dialogue devient partie intégrante de l’histoire d’une ville qui respire la politique comme on respire l’air du matin : intensément, avec curiosité, émerveillement et une pointe d’humour.
JRMA