Réunisle25septembre2025 à Yaoundé autour de la presse, de la société civile et de l’administration, les acteurs du secteur foncier dressent un état des lieux contrasté : si des pas significatifs se font depuis une décennie, le chemin vers une gouvernance foncière assainie demeure semé d’embûches.

À l’initiative de Transparency International (TI) Cameroun, cette conférence de presse s’inscrit dans le prolongement d’un programme de suivi des réformes foncières lancé en 2014. « Des avancées sont repérables dans l’aménagement du dispositif juridique. Mais il reste beaucoup à faire, au regard de l’indice de corruption qui ressort des enquêtes de terrain », reconnaît Me Njoh Manga Bell, avocat international et figure du plaidoyer pour une transparence accrue dans le domaine.
Des progrès notables
Ces avancées, les participants les identifient surtout dans le renforcement du cadre normatif. De nouvelles dispositions permettent de clarifier certaines procédures d’immatriculation et de réduire, sur le papier du moins, les zones d’opacité. L’implication croissante de la société civile dans le suivi des dossiers, la mise en place de plateformes de dialogue multipartite et l’émergence d’acteurs locaux de contrôle constituent autant de signaux encourageants.
Pour Eric Zobo, chef traditionnel du département de la Lekié, la reconnaissance accrue du rôle des autorités coutumières est un pas important. « L’implication des chefs dans le processus d’immatriculation ou de partage du patrimoine foncier contribue à prévenir des conflits destructeurs », souligne-t-il. Cette valorisation des médiations traditionnelles réduit à terme les tensions récurrentes qui opposent familles, communautés et acteurs économiques.
Les angles morts
Mais ces progrès restent fragiles et peinent encore à se traduire dans la pratique quotidienne. La lenteur des procédures, la complexité des démarches et les interférences politiques entretiennent des zones d’ombre où prospèrent les pratiques frauduleuses. Les conclusions de TI sont sans appel : les pots-de-vin pour accélérer un dossier ou trancher un litige restent monnaie courante, et l’accaparement des terres au profit de réseaux influents alimente la défiance des populations.
Signe inquiétant : malgré l’importance du sujet, la question foncière demeure absente des débats politiques. À deux semaines de la présidentielle du 12 octobre 2025, les programmes des candidats brillent par leur silence sur ce dossier explosif. «Nous sommes surpris de ne pas entendre les prétendants à la magistrature suprême présenter leur vision sur le foncier, alors même que c’est une bombe à retardement. Ou plutôt, devrions-nous dire, une bombe qui explose déjà chaque jour sous nos yeux », martèle Me Njoh Manga Bell.
Un enjeu national vital Le foncier n’est pas qu’une affaire d’experts ou de juristes : il concerne chaque Camerounais. Héritage familial, base de subsis- tance agricole, levier de dévelop- pement économique, il cristallise des attentes vitales. « Je mets au défi quiconque de ne pas être confronté, directement ou indi- rectement, à un problème de terre dans son village, son quartier ou même dans son activité professionnelle », insiste l’avocat.
Les participants à la rencontre de Yaoundé s’accordent : seule une mobilisation nationale, intégrant toutes les parties prenantes (pouvoirs publics, autorités traditionnelles, organisations citoyennes, secteur privé) permet de désamorcer cette source chronique de tensions sociales. La sensibilisation, la vulgarisation des lois et la mise en œuvre effective de réformes ambitieuses apparaissent comme des conditions incontournables.
Entre espoir et vigilance
À l’heure où la question foncière devient un révélateur de la gouvernance nationale, les avancées juridiques et institutionnelles méritent d’être saluées. Mais leur portée reste limitée tant que les pratiques sur le terrain ne changent pas. « Tous les Camerounais doivent pouvoir vivre décemment de ce qui leur est légué en héritage : la terre », conclut le président de TI Cameroun, appelant à hisser ce dossier au rang de priorité nationale. La lutte contre la corruption foncière au Cameroun avance, mais à petits pas. Et chaque reculade rappelle qu’une réforme inachevée se transforme en nouvelle source de frustrations. La bataille pour la terre, vitale et symbolique, reste ouverte.
Jean-René Meva’a Amougou