Charles de Gaulle, figure majeure du XXe siècle, est à une leçon de grandeur politique la fois admiré et contesté.

Son nom évoque pour beaucoup la Résistance, la souveraineté française, la force de caractère. Pour d’autres, notamment en Afrique francophone, il reste associé à une politique impériale brutale, au cynisme de la Françafrique, et à un certain mépris des peuples colonisés. Je fais partie de ceux qui rejettent vigoureusement son héritage africain.
Je n’aime pas Charles de Gaulle, justement à cause de ce système mafieux et criminel, pensé sous son autorité, et qui a longtemps permis à la France de contrôler, exploiter, puis appauvrir les anciennes colonies africaines tout en leur parlant de liberté. Mais, en toute honnêteté, il y a un épisode de la vie politique de de Gaulle que je respecte profondément. Un moment qui devrait faire école. Un geste que bien des dirigeants d’aujourd’hui, en Afrique comme en Europe, seraient bien inspirés de méditer.
Quand un homme de pouvoir respecte la voix du peuple
Le 27 avril 1969, un référendum est organisé en France sur deux questions majeures : la réforme du Sénat et la régionalisation du pou- voir. Charles de Gaulle, alors président de la République, met son autorité en jeu. Il déclare que, si les Français rejettent son projet, il démissionnera.
Le scrutin se déroule dans une France encore mar- quée par les événements de Mai 68. Le peuple est fatigué. Les rapports entre la rue et le pouvoir sont tendus. Résultat: 53,2 % des électeurs votent « non ». Ce n’est pas une défaite écrasante, mais c’est un dés- aveu clair.
Le lendemain, le général de Gaulle quitte le pouvoir, conformément à sa parole. Il a alors 78 ans, en pleine possession de ses facultés physiques et mentales. Rien ne l’y obligeait concrètement. Il aurait pu, comme tant d’autres, ignorer le verdict populaire, manœuvrer, contourner, at- tendre. Mais il n’a pas joué à ce jeu. Il est parti.
Ce geste, rare dans l’histoire contemporaine, n’a pas terni sa légende. Au contraire, il l’a consolidée. Car, en partant, de Gaulle a montré qu’il plaçait la souveraineté du peuple au-dessus de son propre destin personnel. Il a dé- montré que le pouvoir n’a de légitimité que tant qu’il est en harmonie avec la volonté populaire.
Une leçon de démocratie : partir quand le peuple vous tourne le dos
Il y a dans ce départ quelque chose de profondément démocratique, voire philosophique. L’idée que le pouvoir est un prêt, une délégation. Et que celui qui l’exerce ne le fait pas pour lui- même, mais pour ceux qui l’ont confié. Dans une époque marquée par les présidents à vie, les manipulations constitutionnelles, les entourloupes électorales, les refus de reconnaître une défaite, le geste de Charles de Gaulle fait figure d’exception.
Il rappelle une évidence trop souvent oubliée: il n’y a pas de honte à quitter le pouvoir. Bien au contraire, il y a parfois de la grandeur à partir. Il y a du courage à ne pas s’accrocher. Il y a de la lucidité à comprendre que l’on est devenu un obstacle plus qu’un repère. Combien de dirigeants auraient aujourd’hui la force morale d’un tel geste? En Afrique francophone, ils sont rares. Trop rares. Et même en France, l’héritier autoproclamé de de Gaulle, Emmanuel Macron, ne s’en est pas montré digne.
Macron, le Nouveau Front Populaire et la fuite en avant
Après les législatives de juillet 2024, qui ont vu la victoire du Nouveau Front Populaire, Emmanuel Macron, président en exercice, aurait pu s’inspirer de Charles de Gaulle. Il aurait pu écouter le message du peuple, qui avait clairement désavoué sa poli- tique, son style, ses choix. Il aurait pu reconnaître sa dé- faite politique et proposer une sortie honorable. Mais non.
Macron, au lieu de partir, a choisi de s’enfermer dans le pouvoir, de jouer la carte de l’immobilisme, de manipuler les alliances, de temporiser en espérant un retournement providentiel. Il s’est retranché derrière les institutions, oubliant que le cœur de la démocratie, ce n’est pas seule- ment le droit, mais la légitimité. Et cette légitimité, il ne l’a plus.
Macron se revendique parfois de l’héritage gaullien. Il en imite les pos- tures, emprunte ses références, cite ses discours. Mais, au moment de vérité, il s’est montré à l’opposé de la culture de responsabilité politique de de Gaulle. Ce dernier avait compris que l’on ne peut pas gouverner contre un peuple. Macron, lui, semble penser que l’on peut toujours gouverner malgré le peuple.
La tentation de s’accrocher au pouvoir
Ce refus de quitter la scène politique quand on est désavoué ne concerne pas que Macron. Il s’agit d’un mal universel, particulièrement visible sur le continent africain.
Combien de chefs d’État en Afrique se sont éternisés au pouvoir, en dépit du rejet populaire ? Combien ont modifié les constitutions, truqué les élections, réprimé les voix dissidentes, tout cela pour continuer à régner, même sans adhésion, même sans amour du peuple ?
Ce qui est frappant, c’est que la capacité à partir devient l’exception, alors qu’elle devrait être la norme. Le pouvoir devient une fin en soi, et non un outil au service du bien commun. Ceux qui s’y accrochent finissent par s’en fermer dans une logique de survie politique, où toutes les dérives sont permises pour ne pas perdre leur trône.
Dans ce contexte, le geste de Charles de Gaulle en 1969 prend une portée symbolique immense. Non pas parce qu’il faut idéaliser l’homme je suis le premier à refuser cela, compte tenu de son rôle dans l’asservissement post-colonial de l’Afrique mais parce qu’il nous rappelle une vérité simple : la démocratie, ce n’est pas seulement conquérir le pouvoir, c’est aussi savoir le quitter.
Et si la vraie grandeur, c’était de s’effacer ?
L’Histoire jugera toujours les dirigeants, qu’ils partent ou non. Mais elle jugera mieux ceux qui ont su s’effacer avec dignité, plutôt que ceux qui se sont accrochés jusqu’à l’absurde.
Quand de Gaulle démissionne, il ne quitte pas seulement une fonction. Il envoie un message à la nation et au monde. Il montre que l’homme d’État n’est pas un monarque, mais un serviteur. Il rappelle que gouverner, c’est avant tout écouter. Et il est curieux voire ironique que cet homme, que je n’apprécie guère en raison de son héritage africain néocolonial, soit précisément celui qui, dans un moment critique, a incarné le plus fidèlement les principes de la souveraineté populaire.
Une leçon à méditer
Je n’aime pas Charles de Gaulle. Je ne pardonne pas son rôle dans la mise en place de la Françafrique, cette toile opaque de corruption, de coups d’État téléguidés, de pillages économiques et de manipulations politiques qui ont longtemps asservi les pays africains, et dont les effets se font encore sentir aujourd’hui. Sur ce plan, il reste un symbole de domination et d’hypocrisie. Mais je reconnais une chose : il a eu le courage de partir quand le peuple l’a rejeté.
Et cela, dans le monde politique d’hier comme d’aujourd’hui, reste un acte rare et précieux. Il serait bon que tous les dirigeants, de Paris à Abidjan, de Bamako à Libreville, s’en souviennent. La grandeur d’un homme d’État ne se mesure pas à sa longévité au pouvoir, mais à sa capacité à partir quand il le faut. Il n’y a pas de honte à partir quand le peuple vous a tourné le dos. Le vrai déshonneur, c’est de s’accrocher en pensant qu’on est irremplaçable.
Jean-Claude DJEREKE