Selon l’experte en économie numérique, l’Afrique centrale a tout pour se mettre résolument au diapason de l’e-commerce.

Pour commencer, quel est l’état actuel du e-commerce en Afrique centrale ?
Le e-commerce en Afrique centrale progresse, mais il reste encore embryonnaire comparé à d’autres régions d’Afrique. Dans la zone CEMAC – Cameroun, Gabon, Guinée équatoriale, République Centrafricaine, Tchad et Congo – le taux de pénétration d’Internet varie entre 20 % et 40 %, et la population qui fait confiance aux paiements en ligne est encore minoritaire. Le marché est fortement concentré dans les grandes villes comme Douala, Yaoundé ou Libreville, où l’accès à Internet mobile est plus régulier et les services financiers numériques sont plus développés. Le e-commerce y prend différentes formes : certains opérateurs ciblent le B2C, d’autres le B2B, notamment pour l’import-export de biens manufacturés et de produits agricoles. Cette croissance est encourageante, mais elle masque encore des disparités importantes entre zones urbaines et rurales. Les projections indiquent que le marché pourrait tripler d’ici 2030 si les infrastructures et la régulation s’améliorent, ce qui ferait de la CEMAC un hub régional encore sous-exploité.
Douala semble être un point névralgique. Pouvez-vous nous détailler les initiatives qui y sont mises en place ?
Douala est effectivement le moteur économique et numérique du Cameroun, avec son port et son aéroport international qui facilitent l’import-export et le e-commerce transfrontalier. Plusieurs start-ups locales, en partenariat avec des investisseurs internationaux, développent des plateformes de vente de produits alimentaires, vêtements, électroniques et biens de consommation courante. L’innovation logistique est également au cœur de ces initiatives : des entrepôts automatisés commencent à apparaître, et des solutions de livraison “last mile” par moto ou mini-camionnettes permettent de desservir des quartiers jusque-là isolés.
La ville expérimente aussi des systèmes de paiement mobile intégrés, souvent en partenariat avec des banques locales et des fintechs, pour sécuriser et accélérer les transactions. Ces solutions permettent non seulement de traiter des paiements en ligne classiques, mais aussi de gérer des micro-transactions et des abonnements réguliers, adaptés à la réalité économique des consommateurs urbains. Douala bénéficie également d’un écosystème dynamique d’incubateurs et de hubs technologiques, comme Douala Tech Hub et Silicon Mountain East, qui offrent mentorat, formation et accès à des financements pour les jeunes entrepreneurs du numérique.
Ces initiatives ont un impact direct sur l’économie locale : elles créent des emplois, modernisent la chaîne logistique et favorisent l’émergence d’un marché de consommation numérique. De plus, elles servent de modèle pour d’autres villes de la CEMAC, qui observent de près les succès de Douala pour adapter leurs propres stratégies. Enfin, les autorités locales ont commencé à faciliter l’installation de data centers et à moderniser les infrastructures électriques et Internet dans les zones industrielles, ce qui renforce encore le rôle de Douala comme hub numérique régional.
Quels sont les principaux obstacles au développement du commerce électronique dans la région ?
Les obstacles sont multiples et souvent interdépendants. Le premier est l’infrastructure numérique : malgré les progrès, la couverture Internet haut débit reste irrégulière, surtout dans les zones rurales et semi-urbaines. Le coût de l’accès à Internet est encore prohibitif pour une grande partie de la population. Le deuxième obstacle est logistique : les routes en mauvais état, le manque d’adresses standardisées et l’inefficacité des services de livraison compliquent la distribution des marchandises. Ensuite, la régulation et la fiscalité sont hétérogènes au sein de la CEMAC, ce qui complique le commerce transfrontalier. Certains pays imposent des taxes élevées sur les ventes en ligne ou sur les produits importés, rendant les plateformes moins compétitives. Enfin, le facteur humain est crucial : beaucoup de consommateurs restent méfiants vis-à-vis des paiements en ligne, et les compétences numériques des commerçants et clients sont limitées. Ces obstacles doivent être surmontés simultanément pour que le e-commerce devienne réellement inclusif et durable dans la sous-région.
Face à ces défis, quels leviers sont actuellement explorés par les acteurs locaux et les autorités ?
Plusieurs leviers sont activement explorés. Les autorités publiques travaillent à renforcer l’infrastructure Internet et mobile, notamment à Douala et à Libreville, pour réduire la fracture numérique. La CEMAC envisage un cadre harmonisé pour simplifier la fiscalité, uniformiser la TVA et la douane, et faciliter les transactions transfrontalières. Les start-ups locales développent des solutions logistiques adaptées : centres de distribution régionaux, partenariats avec des transporteurs locaux, suivi des livraisons en temps réel et paiement à la livraison lorsque nécessaire. Il y a aussi des initiatives de formation des jeunes entrepreneurs et commerçants pour développer leurs compétences numériques et améliorer la qualité du service client. Enfin, certains programmes pilotes visent à sensibiliser la population à l’usage du e-commerce et à renforcer la confiance des consommateurs via des plateformes sécurisées et transparentes. Ces efforts combinés créent un environnement favorable à l’émergence d’un marché numérique solide.
Peut-on citer des exemples concrets d’initiatives réussies dans la sous-région ?
Absolument. À Douala, certaines plateformes alimentaires ont mis en place des entrepôts connectés à une application mobile permettant de suivre les commandes et de gérer les stocks en temps réel, réduisant les ruptures de produits et améliorant la satisfaction client. Au Gabon, des start-ups développent des services e-commerce adaptés aux zones rurales, utilisant SMS ou USSD pour passer des commandes, afin de pallier le faible accès Internet. Au Cameroun et au Congo, des accords bilatéraux facilitent désormais la circulation des marchandises entre les deux pays, avec des procédures douanières simplifiées pour le e-commerce. En République centrafricaine et au Tchad, des initiatives de commerce électronique B2B permettent aux commerçants de s’approvisionner plus facilement en produits importés. Ces projets illustrent comment l’innovation et l’adaptation locale peuvent surmonter des défis majeurs et stimuler l’économie numérique.
Quel rôle joue la confiance des consommateurs dans cette équation ?
La confiance est essentielle. Un consommateur doit être sûr que son paiement est sécurisé, que la commande arrivera dans les délais et que le service après-vente est fiable. Dans la CEMAC, beaucoup hésitent encore à utiliser les cartes bancaires en ligne ou les portefeuilles mobiles, surtout dans les zones rurales. Les plateformes investissent donc massivement dans la transparence, le suivi des livraisons et la gestion des litiges. L’introduction de garanties, de politiques de retour et de systèmes de notation des vendeurs renforce la confiance et incite davantage de personnes à adopter le commerce en ligne. Sans cette confiance, le marché restera limité aux segments urbains aisés et aux consommateurs déjà familiarisés avec le numérique.
Quels sont vos pronostics pour les cinq prochaines années dans la zone CEMAC ?
Si les infrastructures, la régulation et les compétences numériques continuent de progresser, le e-commerce pourrait devenir un moteur significatif de l’économie régionale. Douala restera le hub principal, mais d’autres villes comme Libreville, Brazzaville et N’Djamena devraient émerger progressivement. Les projections montrent que le marché pourrait croître de 20 à 30 % par an, avec un rôle accru du mobile commerce et des plateformes régionales capables de desservir plusieurs pays simultanément. L’harmonisation fiscale et douanière, associée à des solutions logistiques efficaces, sera décisive pour permettre aux entreprises locales de rivaliser avec des acteurs internationaux.
Enfin, quels conseils donneriez-vous aux acteurs locaux pour réussir dans ce marché en plein essor ?
Trois points sont essentiels. Premièrement, miser sur la confiance et la relation client, en garantissant la sécurité des paiements et la qualité des livraisons. Deuxièmement, innover en matière de logistique et adapter les solutions de paiement aux réalités locales, notamment via le mobile ou le paiement à la livraison. Troisièmement, collaborer avec les autorités pour construire un environnement réglementaire harmonisé et favorable à l’expansion régionale. Ceux qui réussiront à combiner ces éléments seront bien positionnés pour tirer profit d’un marché encore largement sous-exploité, qui offre des opportunités considérables tant pour le commerce local que pour le e-commerce transfrontalier.
Merci, pour ces éclairages détaillés. Il est clair que le e-commerce en Afrique centrale est à la fois un défi et une formidable opportunité…
Merci à vous. C’est un secteur passionnant et plein de promesses, et il mérite toute l’attention des décideurs et des entrepreneurs de la région.
Propos recueillis par JRMA