«Si la portée d’une reconnaissance d’Etat est largement symbolique et politique, dans le cas de la Palestine, cela fait quand même trois quarts des pays qui vous disent que la Palestine réunit les conditions nécessaires pour être un Etat ».

Interviewé par l’AFP (Agence France Presse) le 23 septembre dernier, Romain le Boeuf, professeur de droit international à l’Université d’Aix-Marseille résume l’opinion selon laquelle la Palestine a bien le profil qui lui garantit un meilleur accès aux mécanismes juridiques lui permettant de défendre ses droits sur la scène internationale. Seulement voilà : Chaque fois, le Cameroun se retrouve interpellé : que pense Yaoundé de la création d’un État palestinien ? La réponse, constante mais nuancée, reflète une diplomatie de prudence, à mi-chemin entre le respect des principes universels et la défense des intérêts stratégiques.
D’un côté, le Cameroun ne peut ignorer le poids du droit international. Depuis 1947, l’ONU a multiplié les résolutions reconnaissant au peuple palestinien le droit à l’autodétermination. L’Union africaine, à laquelle le Cameroun appartient, a réaffirmé sans ambages son soutien à la solution à deux États, avec Jérusalem-Est pour capitale de la Palestine. À Addis-Abeba, Yaoundé n’a jamais contesté cette ligne, signe de sa fidélité à la solidarité africaine et au multilatéralisme.
Mais d’un autre côté, le Cameroun entretient avec Israël une coopération vitale. Dans un contexte sécuritaire marqué par la lutte contre Boko Haram et d’autres menaces asymétriques, l’expertise israélienne en matière militaire, de renseignement et de cybersécurité représente un appui précieux. Sur le plan agricole, les techniques israéliennes d’irrigation et de gestion de l’eau inspirent plusieurs programmes pilotes au Cameroun. Rompre avec Tel-Aviv serait donc un luxe que Yaoundé ne peut se permettre.
Ce double attachement explique une ligne diplomatique faite d’équilibres subtils. À l’ONU, le Cameroun choisit souvent l’abstention lors des votes sensibles, évitant ainsi de se ranger totalement d’un côté ou de l’autre. Il réaffirme dans ses déclarations le droit légitime des Palestiniens à un État, tout en insistant sur le besoin d’une négociation directe entre les parties. Ce langage feutré lui permet de ne pas froisser ses partenaires arabes tout en ménageant Israël.
Certains y voient une frilosité, d’autres une sagesse. Dans un monde de plus en plus polarisé, Yaoundé revendique une diplomatie de non-alignement actif. C’est une tradition héritée de la guerre froide : ne pas se laisser enfermer dans les blocs, rester disponible comme interlocuteur pour tous. Sur la Palestine, cette posture traduit une conviction : seul le dialogue, et non les condamnations unilatérales, pourra un jour ouvrir la voie à la coexistence de deux États.
Mais cette prudence n’est pas sans risque. En différant une reconnaissance claire de l’État palestinien, le Cameroun s’expose à l’accusation de double langage. Comment plaider avec force pour la souveraineté et l’intégrité territoriale en Afrique centrale, si l’on hésite à soutenir frontalement la même exigence ailleurs ? Dans un contexte où l’opinion publique africaine reste largement solidaire des Palestiniens, le silence prudent de Yaoundé peut paraître en décalage.
Le défi, pour la diplomatie camerounaise, sera de transformer cette neutralité en atout. Le pays pourrait offrir ses bons offices dans des médiations discrètes, comme il a parfois su le faire dans des crises régionales. Il pourrait aussi s’engager davantage dans les instances multilatérales qui explorent les voies de la paix au Proche-Orient. Autrement dit, faire de son équilibre non pas un repli, mais une contribution positive. Car au fond, la question palestinienne ne concerne pas que le Moyen-Orient. Elle touche à l’universalité du droit, à la cohérence des engagements. Pour le Cameroun, continuer à marcher sur cette ligne de crête est une manière de rappeler que le monde n’est jamais noir ou blanc, mais fait de nuances qu’il faut savoir assumer. La prudence peut sembler timide ; elle peut aussi être l’autre nom de la constance.
Jean-René Meva’a Amougou