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Les victimes oubliées ?

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Jean-Claude Djéréké

La Côte d’Ivoire avait amorcé un processus de paix et de réconciliation bien avant les drames qui allaient suivre.

Jean-Claude Djéréké

En 2001, un forum de réconciliation nationale fut organisé, réunissant toutes les forces politiques, y compris les plus critiques du régime. Cette main tendue visait à tourner la page des tensions passées. Mieux encore, le Rassemblement des Républicains (RDR), longtemps considéré comme marginalisé, intégra le gouvernement.

C’était un signal fort d’apaisement et d’ouverture, un geste politique rare en Afrique, où le vaincu est souvent exclu. L’histoire aurait dû prendre un autre tournant. Mais, au lieu de renforcer l’unité nationale, cette période d’apaisement fut cyniquement exploitée.

Dans la nuit du 18 au 19 septembre 2002, alors même que le pays avait fait preuve de bonne volonté, une rébellion armée venue du Burkina Faso attaqua la Côte d’Ivoire. Cette attaque divisa le pays en deux : le nord aux mains des rebelles, le sud resté sous contrôle du gouvernement légal. Cette trahison fut un coup de poignard dans le dos de la République. Elle révéla que certains acteurs politiques n’avaient jamais eu l’intention de jouer le jeu démocratique. Le masque tomba.

Une paix de façade

Face au chaos né de cette rébellion, l’État ivoirien tenta, une fois encore, de faire preuve de sagesse. Une loi d’amnistie, promulguée le 13 avril 2007, fut censée effacer les fautes d’hier et ouvrir la voie à une paix durable. Des cérémonies de réconciliation furent organisées.
Simone Gbagbo dansa avec Sidiki Konaté à Yopougon, devant une foule médusée. Des chefs de guerre comme Issiaka Ouattara alias Wattao furent accueillis avec chaleur dans des villages bhété. On voulait croire à une Côte d’Ivoire nouvelle, guérie et réconciliée.
Mais cette paix-là, était-elle réelle ? Cette réconciliation, sincère ? L’avenir allait nous prouver qu’il ne s’agissait que d’une mise en scène, un simple entracte avant une nouvelle tragédie.

La vraie nature révélée

Avril 2011 fut un réveil brutal. Les mêmes qui avaient chanté la paix revinrent, cette fois avec plus de violence, plus de haine, plus de cynisme. Ils pillèrent, violèrent, égorgèrent, détruisant tout sur leur passage. Des milliers d’Ivoiriens furent jetés sur les routes de l’exil, privés de leurs biens et de leur dignité.

Le drame se joua avec la complicité de l’ONU et de la France, qui se targuent pourtant d’être les garants des droits de l’homme. Le silence de la communauté internationale, son aveuglement volontaire, furent une deuxième trahison.
Les Ivoiriens comprirent alors qu’ils n’avaient pas affaire à de simples adversaires politiques, mais à des voyous, des fourbes, incapables de respect ou de repentance.

Des criminels sans remords

Les événements qui suivirent achevèrent de détruire l’illusion. Soro Kigbafori, l’un des chefs de la rébellion, loin de regretter ses actes, les revendiqua comme une victoire démocratique.

En 2018, il osa parler de la rébellion de 2002 comme la “naissance d’un nouvel espoir”. Un de ses lieutenants affirma même que les Ivoiriens devraient remercier Soro et sa bande pour les avoir “sauvés d’un génocide”.

Ces déclarations sont une insulte à la mémoire des victimes. Une gifle pour les veuves, les orphelins, les déplacés, les exilés.
Elles montrent surtout que les chefs rebelles ne regrettent rien, ne regretteront jamais, et que leur prétendue volonté de réconciliation n’est qu’une escroquerie.

Le piège du pardon sans justice

Certains, par naïveté ou calcul politique, ont appelé à “tourner la page”. Ils ont traité d’ennemis de la paix ceux qui refusaient d’absoudre les coupables. Ceux qui conseillaient la prudence ont été traités de “rancuniers”, de “revanchards”.
Mais le pardon sans vérité est une farce ; la paix sans justice, une illusion ; la réconciliation sans reconnaissance des fautes, une mascarade.
Soro Kigbafori n’a jamais admis que l’attaque du 19 septembre 2002, menée après l’entrée du RDR dans le gouvernement et malgré les efforts du forum de réconciliation, était une trahison. Il n’a jamais reconnu le rôle de la France dans la déstabilisation de notre pays. Il n’a jamais exprimé le moindre regret.
Et pourtant, certains osent plaider sa cause, souhaitant le voir candidat à la présidentielle. Ils ont déjà oublié tout le mal qu’il a causé à des milliers d’Ivoiriens.

L’oubli est une insulte

Peut-on réellement tendre la main à un homme qui n’a jamais présenté d’excuses ? Peut-on bâtir un pays avec ceux qui l’ont détruit et s’en vantent encore ? Ceux qui souhaitent que la Côte d’Ivoire fasse table rase du passé insultent la mémoire des morts. Pour ma part, je refuse cette légèreté. Je refuse cette insulte. Et je me tiens à la sagesse de Nelson Mandela, prix Nobel de la paix, qui disait : “Quand tu t’es battu si dur pour te remettre debout, ne retourne jamais auprès de ceux qui t’ont mis à terre.”

Nous avons trop souffert. Nous nous sommes relevés. Mais nous ne devons plus jamais nous laisser berner. Nous ne devons pas accepter que les bourreaux se déguisent en sauveurs.

Une démocratie à réinventer

La démocratie ne peut se construire sur le mensonge, l’oubli et l’impunité. Elle ne peut s’épanouir dans un pays où les tueurs sont célébrés et les victimes oubliées.

Tant que des hommes comme Soro Kigbafori continueront d’être portés aux nues, tant que la France continuera d’agir comme marraine de l’instabilité, tant que la vérité sera étouffée sous les discours de “réconciliation”, la Côte d’Ivoire ne connaîtra pas de paix véritable.
Il est temps de dire non. Non à l’oubli. Non à l’impunité. Non à la manipulation.

La paix est une conquête. Elle commence par le refus d’être complice du mensonge.

Jean-Claude Djéréké

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