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Ebogo Emérant: l’ange a quitté la terre pour le ciel

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Ange Ebogo

Décédé la semaine dernière des suites de maladie à Yaoundé, l’artiste musicien s’en est allé, arborant le turban d’architecte de l’émotion musicale sur le front.

Collision entre la voiture d’un particulier et un car transportant des élèves. Trois morts ce 5 mai 2011 sur la route Yaoundé-Mfou. Sur le bitume, quelques riverains courageux tentent de ramener Abanda Aviateur à la vie. Peine perdue. Le musicien est mort. En prenant connaissance de ses pièces personnelles, les éléments de la compagnie de gendarmerie de Mfou découvrent un bout de papier. Il porte la mention « Ebogo Biloa ». Plus bas, un numéro. Plus bas encore, le mot « ange », écrit en lettres minuscules.

Un adjudant sent qu’il pourrait s’agir de Ange Ebogo Emérant. L’appel est lancé. Au bout du fil, une voix décline immédiatement l’identité de celui qui l’émet. Le pandore est sur la bonne piste. C’est bien le créateur du rythme Ozima. Lorsqu’il apprend la triste nouvelle, l’artiste musicien s’exclame : « Akieeeeee ». Son arrivée sur le lieu du drame est discrète. Ange Ebogo Emérant vient de perdre un compagnon. Il s’efforce de contenir ses larmes. Un instant, il regarde vers le ciel. Un autre instant, il se débarrasse de son béret blanc. De temps à autre, il fait défiler son répertoire téléphonique. Deux ou trois mots, il ponctue : « Abanda a wu ya » (« Abanda est mort » en langue ewondo).

Quelques mois plus tard, en hommage à Abanda Aviateur, la phrase est retenue comme le refrain d’une chanson écrite par Ange Ebogo Emérant, et interprétée par près d’une dizaine de chanteurs (Cathy Ballot, Messi Ambroise, Veronik Facture, Ossobo, Joiosco l’Inquiéteur…). Dans les playlists de plusieurs radios émettant à partir de de la capitale camerounaise, la chanson est incontournable. Dans les colonnes du quotidien Cameroon Tribune, Yvette Mbassi met sa plume au service de Ange Ebogo Emérant dont la voix colonise les césures repérées en milieu de chanson. « Cela s’appelle mettre en musique le texte.

La voix rajoute à une mélodie chantée par la voix d’un « Ange ». Celle-ci se charge d’un message émotionnel qui ne passe pas seulement par les mots. Elle vient souligner, servir le texte et même parfois le dépasser, pour transmettre un état d’âme pur. Ainsi, la combinaison du sens et de la voix donne à la chanson un pouvoir expressif unique, qui peut être utilisé dans toutes les civilisations et toutes les époques ». « C’était un ange sculpteur du bikutsi. Après Messi Martin, et avec Epeme Théodore (Zanzibar) et Jacob Atini (Tino Barozza), Ebogo Biloa Emérant fait office de baobab qui défie le soleil. Sa voix, écho des anciens jours, se lève et se déploie toujours dans les grooves de notre époque », s’épanche Serge Pouth, journaliste culturel à la CRTV.

Et là, on pense inévitablement à « Okon makon » (disque de l’année 1984 au Cameroun et meilleure vente étrangère au Gabon), « Nnem Mbie », « Nwulu Minam », « Soglo Moan » et puis…et puis. De son vivant, Ange Ebogo Biloa Emérant confessait au moins 1500 chansons écrites. « Pour celles qui ont été interprétées, chacune est un cocktail de rythme enivrant et une ligne d’instruments devenue mythique », cale Philippe Roger Essama.

« Cet homme était un pionnier des métissages. Très vite, il a fusionné plusieurs rythmes de la forêt équatoriale (Gabon, Congo, Guinée équatoriale notamment) avec ses racines camerounaises pour créer un son hybride, énergique, ouvert, Ozima. Il fallait l’écouter en live pour comprendre. Chaque note de son ozima semblait raconter une histoire vibrante de plusieurs sonorités d’Afrique centrale », poursuit le chef de la station régionale CRTV du Sud.

Musicien complet

Dans le fond, le journaliste du média à capitaux publics utilise ses mots pour dire ce que Ange Ebogo Biloa Emérant avait lui-même expliqué. « Ce qui, en 1985 devient le groupe Têtes Brûlées, n’était composé que des transfuges du groupe Ozima que j’ai créé avec Zanzibar. C’est moi qui découvre ce dernier. En lui, j’avais trouvé une grande facilité à me jouer une synthèse des folklores gabonais et équatoguinéen », avait exposé le géniteur de Tonton Ebogo lors du Festi-bikutsi 2017.

René Ayina, le promoteur de ce grand raout dédié aux musiques des peuples de la forêt d’Afrique centrale confirme : « Ange Ebogo Emérant était un musicien complet. Complet au sens que je donne personnellement à ce mot, à savoir être capable de jouer plusieurs instruments et être capable de valoriser les savoirs musicaux accumulés ici et là. Ange Ebogo Emérant, quand vous l’écouter, vous sentez en arrière-plan un jeu de percussions courant chez Maele ou de Hilarion Nguema. D’ailleurs, lors d’une tournée au Gabon, Hilarion a improvisé avec Ange Ebogo, une chanson qui donnait l’impression que les deux s’étaient concertés à l’avance ».

Dans le trio

D’autres biscuits que nous file l’artiste Atangana Quelqu’un sont plus édifiants. « Dans le bikutsi, le vrai et le bon bikutsi, tous ceux qui ont atteint les sommets se sont inspirés de trois messieurs : Messi Martin, Jacob Medjo Me Nsom et Ebogo Biloa ». Pour Atangana Quelqu’un, c’est ce trio qui a façonné le bikutsi et contribué à son évolution. « Messi Martin était le maître des paroles, du rythme et de la guitare balafon. Jacob Medjo Me Nsom avait pris chez Messi, en ajoutant un sacré jeu de percussions à sa musique.

Quant à Ebogo Emérant, il incarnait les deux que j’ai d’abord cités. Ce monsieur était fort dans le choix des mots, des images. Sa force résidait dans la capacité à créer des textes à la fois personnels, universels et émotionnellement puissants. Après les décès de Messi Martin et Medjo Me Nsom, Ebogo est resté l’unique architecte de l’émotion musicale, en ce qui concerne le bikutsi ».

En accompagnement à ce témoignage, intervient l’artiste musicien Govinal Ndzinga Essomba. « Jusqu’à sa mort, Ange Ebogo Emérant était resté l’unique porteur du flambeau d’une écriture bikutsi telle que créée par Messi Martin et Medjo Me Nsom Jacob. Quand vous apportiez une maquette à Ange Ebogo Emérant, il vous martelait que pour faire une bonne chanson, les mots comptent autant que les mélodies. Il vous rappelait que l’écriture n’est pas un simple habillage ; elle est le coeur du morceau.

Il vous disait que le public veut des chansons qui racontent, qui résonnent, des chansons percutantes et immédiates », se souvient Govinal Ndzinga Essomba. A ce dernier de suggérer une écoute attentive de la playlist du bikutsi de la fin des années 80 à ce jour. « Vous vous rendrez bien compte qu’au moment où il s’en va rejoindre ses collègues anges au ciel, Ange Ebogo Emérant a un bon bilan à leur présenter ».

Jean René Meva’a Amougou


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