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Désacraliser l’argent ou périr

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Jean-Claude-Djereke

Il est des moments dans la vie d’un peuple où se pose, avec une insistance brûlante, la question du sens. Pourquoi tant de renoncements ? Pourquoi une si grande facilité à courber l’échine, à pactiser avec ses propres bourreaux, à se vendre au plus offrant ?

Jean-Claude-Djereke

En Côte d’Ivoire, ces interrogations s’imposent à l’observateur honnête dès lors qu’il scrute l’histoire récente. Car, à bien y regarder, notre mal profond ne réside pas uniquement dans les coups d’État, les rébellions ou les fraudes électorales, mais dans une autre tragédie plus silencieuse et plus perverse : le culte de l’argent, la sacralisation du matériel, la vente systématique de la dignité contre quelques miettes. Il est temps d’en finir.

la leçon cruelle de la poule et des grains de blé

L’histoire racontée par Ferro Bally à propos de Hitler et de la poule n’a rien d’anodin. Il s’agit d’une allégorie brutale mais limpide du pouvoir par la terreur, de la soumission par l’humiliation, de la domination par l’avilissement. Ce jour-là, devant un auditoire attentif, Hitler plume une poule vivante, la blesse, la torture, l’humilie. Puis, sans un mot, il jette au sol quelques grains de blé. La poule, affamée, souffrante, s’approche, picore et suit docilement son bourreau.

Et Hitler de conclure : « C’est ainsi que
l’on gouverne les lâches, les idiots et les faibles.

Sommes-nous devenus cette poule ?
Acceptons-nous, année après année, mandat après mandat, d’être plumés dans notre dignité, notre mémoire, notre espérance, pour ensuite courir derrière quelques « grains de blé » ? La métaphore est saisissante. Et elle prend tout son sens quand on pense aux récents événements politiques en Côte d’ivoire.

soumission politique et mémoire courte

En 2020, alors que le peuple contestait avec raison la candidature inconstitutionnelle de M. Ouattara à un troisième mandat, plusieurs leaders de l’opposition avaient fait preuve de courage. Ils dénonçaient la dérive autoritaire, appelaient à la désobéissance civile, organisaient des manifestations. Certains furent arrêtés, d’autres s’exilèrent. Le peuple, une fois de plus, fut brutalisé, endeuillé, réduit au silence. Puis, le temps a passé. Et, comme dans un triste refrain, beaucoup de ces mêmes leaders sont revenus à la table du pouvoir : certains pour « travailler sous lui », d’autres pour « travailler avec lui ». Les discours de résistance ont été remplacés par des discours de « réconciliation ». Le mot est beau. Mais, dans ce cas précis, il a surtout servi de masque à la compromission.

À force d’accepter de manger dans la main de celui qui les a opprimés, ces responsables politiques ont fini par ressembler à la poule de Hitler. Et le peuple ? Désabusé, il regarde, muet, résigné. Mais pour combien de temps encore ?

l’argent : cette nouvelle religion nationale

Derrière cette résignation se cache un mal plus insidieux : le culte de l’argent. L’Ivoirien, comme beaucoup d’Africains, est aujourd’hui obsédé par l’enrichissement.

Non pas par la richesse au sens noble – celle que l’on bâtit à force d’efforts, d’ingéniosité, de mérite –, mais par l’argent facile, l’argent corrupteur, l’argent humiliant. Pour quelques billets, certains sont prêts à trahir leurs convictions, à renier leur histoire, à se soumettre à ceux qui les oppriment.

Ils sont nombreux, ces hommes politiques, ces leaders religieux, ces cadres, ces jeunes entrepreneurs ou artistes, qui se prosternent devant l’argent comme devant une idole. La dignité, la morale, l’honneur sont devenus des luxes pour eux. Ils justifient leur compromission par des phrases toutes faites : « Il faut bien vivre », « La politique, c’est comme ça », « On ne mange pas la dignité ». Mais à force de vendre leur âme au diable, ils finissent par se perdre. Et pendant ce temps, le pays s’enfonce.

la désacralisation de l’argent : une nécessité pour renaître

    Le salut ne viendra pas d’un énième discours politique. Il ne viendra pas non plus d’un sauveur providentiel venu d’ailleurs. Le salut viendra d’une révolution morale, d’un sursaut collectif : il faut désacraliser l’argent.

    Désacraliser l’argent, ce n’est pas rejeter la richesse ou le développement économique. C’est refuser d’en faire une fin en soi. C’est remettre au centre de nos vies des valeurs fondamentales : la simplicité, la sobriété, l’honnêteté, la justice. C’est réapprendre à dire non, à refuser l’humiliation, à préférer la pauvreté digne à la richesse honteuse. C’est enseigner à nos enfants qu’on ne vend pas son avenir pour un billet, qu’on ne pactise pas avec l’oppresseur, qu’on ne sacrifie pas l’intérêt général pour des gains personnels. Il nous faut une élite de conviction. Des femmes et des hommes qui ne soient pas achetables. Des citoyens capables de résister à la tentation de l’argent facile. Des leaders qui préfèrent perdre une élection à perdre leur âme.

    le besoin d’un rawlings

    Dans un monde idéal, cette révolution morale serait conduite par le peuple lui même. Mais parfois, il faut une figure forte pour incarner ce renouveau. Jerry Rawlings, au Ghana, fut cet homme. Il avait ses défauts, mais il eut au moins le mérite de nettoyer le système, de remettre de l’ordre, de redonner à son peuple une certaine fierté.

    La Côte d’Ivoire a besoin d’un Rawlings. Pas forcément un militaire ou un dictateur, mais un homme ou une femme de rupture, de principes, de rigueur, capable de briser le cercle vicieux de la corruption et de la servilité. Ce Rawlings ivoirien devra faire face à une tâche immense : balayer les ordures qui nous gouvernent, traduire les voleurs devant la justice, redonner au peuple le goût de la vérité et de la justice.
    Mais ce Rawlings n’arrivera pas par miracle. Il ne viendra que si le peuple se prépare à l’accueillir. Il ne viendra que si nous commençons dès aujourd’hui à refuser les miettes, à rejeter les « grains de blé » que nous jette notre bourreau.

    Conclusion

    Il est temps de désacraliser l’argent. Car Il est temps de désacraliser l’argent. Car tant que nous continuerons à le vénérer, à lui sacrifier notre dignité, notre avenir sera écrit d’avance : un peuple de poules plumées, courant après quelques miettes, au lieu de revendiquer sa liberté et sa souveraineté.

    Le moment est venu de choisir entre l’indignité et la révolte. Entre l’humiliation et l’espérance. Entre les grains de blé et la marche vers la dignité.

    Fasse Dieu que le Rawlings que nous attendons ne vienne pas trop tard. Beaucoup d’entre nous aimeraient le voir avant de fermer les yeux.

    Jean-Claude DJEREKE

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