Le 24 août 2025, à Yamoussoukro, lors de la messe de clôture de la sixième édition des Journées nationales de la jeunesse catholique, Mgr Marcellin Yao Kouadio a lancé un message d’une rare intensité à la jeunesse ivoirienne et africaine.
Un discours sans compromis, qui mêle foi chrétienne, conscience politique et appel à la résistance morale. Ce prélat, président de la Conférence des évêques catholiques de Côte d’Ivoire, s’est encore une fois affirmé comme une voix libre dans un paysage ecclésial et politique souvent muselé.
Un diagnostic sans fard de l’Afrique postcoloniale
Dans son homélie, Mgr Kouadio n’a pas mâché ses mots. 65 ans après les indépendances « nominales » accordées par Charles de Gaulle, il dresse un constat sévère, mais lucide, sur l’état du continent africain: un continent appauvri, pillé systématiquement par des puissances étrangères avec la complicité de certains dirigeants africains. Pour lui, il ne s’agit pas d’un simple dysfonctionnement passager, mais d’un véritable verrouillage: empêcher l’Afrique de progresser, l’empêcher simplement de vivre.
Face à cette situation, l’évêque de Daloa rejette toute résignation. Il appelle à une révolte spirituelle et politique. Il recommande de « briser les chaînes de l’esclavage, de la colonisation, des accords coloniaux de la Françafrique, du néocolonialisme, de l’impérialisme militaire, des indépendances sous surveillance, de la souveraineté confisquée ». Cette dénonciation frontale résonne comme un appel à la libération intégrale de l’Afrique – non pas seulement par des discours politiques, mais à travers une prise de conscience collective.
Une jeunesse interpellée, une figure proposée
S’adressant à la jeunesse catholique, Mgr Kouadio a formulé une invitation claire et courageuse: « Prenez votre destin en main. » Il propose comme modèle un jeune africain, Floribert Bwana, un Congolais de 26 ans assassiné à Goma en 2007 pour avoir refusé de céder à la corruption. « C’est un modèle sûr », insiste-t-il. En opposition aux figures publiques corrompues ou aux influenceurs sans boussole morale, ce martyr de l’intégrité devient un exemple à suivre.
Mgr Kouadio rappelle ainsi que la foi chrétienne n’est pas une fuite hors du monde, mais un engagement radical pour la vérité, la justice, la dignité humaine. « Tout en l’homme ne relève pas de César », dit-il, évoquant la liberté de conscience, l’honneur, la foi. La jeunesse est donc appelée à s’indigner, à se solidariser avec tous ceux qui luttent pour la dignité humaine et la justice, à refuser de se conformer au mensonge ambiant.
Une Église qui doit sortir de l’ambiguïté
Le moins que l’on puisse dire est que Mgr Kouadio se démarque d’une certaine posture ecclésiale: celle des discours tièdes et complaisants, des sermons qui « ménagent la chèvre et le chou », des homélies sans relief qui évitent les sujets qui fâchent.
Il ne peut être accusé de silence complice, motivé par la peur de perdre des financements ou de déplaire aux puissants. Son homélie est le genre d’homélies que beaucoup d’Africains aimeraient entendre, pas les discours creux (…) où on renvoie dos à dos parti au pouvoir et opposition, pas les discours soporifiques où on refuse de dénoncer clairement le tribalisme, la dictature, les détournements de fonds publics ou la violation de la Constitution.
Ce rappel est d’autant plus nécessaire que l’Église se réclame du Christ, lequel s’est défini lui-même comme « le chemin, la vérité et la vie ». Possible que le Vatican ait ses raisons pour la nomination ou l’affectation des évêques mais on peut aussi se demander si, dans notre Église, certains n’ont pas peur de la vérité ». Le courage de dire cette vérité, même lorsqu’elle dérange, est précisément ce qui distingue Mgr Kouadio dans l’Église ivoirienne contemporaine.
Une voix que l’on cherche à marginaliser ?
La liberté de ton de Mgr Kouadio ne date pas d’hier. En décembre 2013, alors que l’alliance politique entre Henri Konan Bédié et Alassane Ouattara battait son plein, il s’était déjà interrogé publiquement sur la compatibilité entre « houphouétisme » et violences, mensonges ou crimes. Cette sortie lui valut une mutation de Yamoussoukro à Daloa, perçue par beaucoup comme une sanction.
Nombreux étaient ceux qui pensaient alors qu’il se tairait, qu’il apprendrait la langue de bois. Mais sa prise de parole en août 2025 prouve le contraire: non seulement il persiste, mais il élève encore plus haut la voix. Il refuse les honneurs obtenus au prix du silence. Il reste fidèle à sa mission prophétique, quitte à rester évêque « simple », tandis que certains, plus dociles, sont « bombardés archevêques ».
Une parole qui dérange, mais qui libère
En citant le pape François, qui appelait en janvier 2023 à Kinshasa les puissances à « retirer leurs mains de l’Afrique », Mgr Kouadio ajoute avec force : « Retirer leurs mains ne suffit pas. » Autrement dit, il ne s’agit pas seulement d’alléger la pression néocoloniale, mais de couper radicalement les racines du système d’exploitation. Il va plus loin que la diplomatie vaticane, en nommant explicitement les structures oppressives : accords coloniaux, impérialisme, idéologies toxiques comme le genre ou le mariage pour tous.
Cette clarté de propos ne plaît pas à tout le monde, y compris dans l’institution ecclésiale. Mais elle redonne espoir à une jeunesse en quête de repères, lassée de l’hypocrisie des discours religieux convenus et de la corruption des élites politiques. Dans une époque où tout pousse à la compromission, la voix de Mgr Kouadio est un souffle d’air frais, une parole de liberté, un rappel que l’Église ne doit jamais devenir l’otage des puissants.
Conclusion
Il est rare, aujourd’hui, d’entendre un évêque parler avec autant de franchise et de conviction. Dans une Côte d’Ivoire fragilisée par les tensions politiques et sociales, dans une Afrique en lutte pour sa dignité, la parole de Mgr Marcellin Yao Kouadio vient réveiller les consciences. Il parle non seulement en pasteur, mais en prophète. En refusant le silence complice, il rappelle à chacun – jeune ou adulte, croyant ou non – que la vérité ne se négocie pas, et que le destin de l’Afrique ne se jouera ni à Paris ni à Washington, mais dans le cœur de ses enfants.
Jean-Claude Djéréké