Home INTÉGRATION RÉGIONALE Pourquoi l’ONU ne peut pas être la solution

Pourquoi l’ONU ne peut pas être la solution

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Le retour éventuel de Laurent Gbagbo dans l’arène politique ivoirienne suscite enthousiasme et espoir chez ses partisans, notamment depuis la diffusion d’une note dans laquelle l’Organisation des Nations Unies (ONU) aurait, semble-t-il, enjoint au régime de Ouattara de le rendre à nouveau éligible.

Si cette nouvelle ravit les GOR (Gbagbo ou Rien), elle appelle néanmoins une réflexion plus profonde sur la nature de l’ONU, son rôle dans les affaires africaines, et surtout sur l’illusion dangereuse de croire que le salut de l’Afrique viendra de l’extérieur. L’Histoire, avec ses blessures encore béantes, nous enseigne pourtant que cette organisation internationale a rarement, pour ne pas dire jamais, agi dans l’intérêt des peuples africains.

I. L’ONU : instrument au service des puissances impérialistes ?

Ceux qui aujourd’hui saluent l’intervention présumée de l’ONU en faveur de Laurent Gbagbo semblent avoir la mémoire courte. Ont-ils déjà oublié que c’est cette même organisation, bras juridique de l’ordre impérial, qui légitima les frappes françaises sur Abidjan en 2011 ? Ont-ils oublié le rôle de l’ONUCI, censée être neutre, dans l’installation d’Alassane Ouattara au pouvoir au mépris de la souveraineté populaire ? Le soutien de l’ONU n’est pas le gage d’une justice retrouvée, mais bien souvent la confirmation d’une ingérence stratégique.

Frantz Fanon, penseur incontournable de la décolonisation, avait déjà dénoncé cette dérive dans un texte visionnaire publié en 1960, au lendemain de l’assassinat de Patrice Lumumba. Selon lui, « l’ONU n’a jamais été capable de régler valablement un seul des problèmes posés à la conscience de l’homme par le colonialisme ». Pis, elle agit, chaque fois, au secours de la puissance coloniale contre les intérêts des peuples. Ce fut le cas au Congo avec l’abandon de Lumumba, au Cameroun avec le contrôle de l’autodétermination, et cela se répète encore aujourd’hui dans d’autres formes, plus subtiles mais tout aussi toxiques.

II. L’illusion onusienne

Croire que l’ONU peut aujourd’hui jouer un rôle de médiateur juste et impartial en Afrique, c’est faire preuve d’une naïveté désarmante.
L’ONU ne défend pas les faibles contre les forts : elle sert les intérêts des grandes puissances qui la financent et la manipulent à leur guise. Loin d’être un arbitre neutre, elle est un acteur intéressé, dont les décisions sont souvent dictées par les rapports de force mondiaux, et non par la justice ou l’éthique.

Cette foi aveugle dans l’ONU est symptomatique d’un mal plus profond : le refus de croire en nos propres capacités. C’est la résurgence d’un complexe d’infériorité hérité de la colonisation, ce que d’aucuns pourraient appeler un « complexe de Stockholm politique » : aimer son oppresseur, espérer son salut de celui là même qui nous a trahis. Et pendant que les peuples attendent l’intervention de la « communauté internationale », les régimes autocratiques se réorganisent, se renforcent, et continuent d’asphyxier la démocratie.

III. Le modèle occidental : faux idéal et vraie aliénation

L’ONU n’est qu’un des nombreux éléments du système occidental que nous adoptons sans discernement, oubliant que ces modèles ne
sont pas toujours adaptés à nos réalités. La démocratie importée, dans sa version caricaturale et corrompue, ne respecte souvent pas le choix du peuple. D’autres pratiques sociales que nous copions sans recul — maisons de retraite pour les anciens, mariages entre personnes de même sexe, limitation des naissances — nous éloignent progressivement de nos propres valeurs.

Le problème n’est pas tant l’existence de ces pratiques ailleurs, mais leur adoption mécanique et servile chez nous, sans réflexion, sans adaptation, sans débat. Nous oublions que chaque peuple doit inventer son propre modèle de société, fondé sur son histoire, sa culture, sa spiritualité. Fanon nous avait pourtant mis en garde dans Les Damnés de la Terre contre une Europe « mesquine, carnassière, homicide », qui « n’a été généreuse qu’en technologie, jamais en humanité ». Devons-nous suivre aveuglément cette Europe en perdition, alors même qu’elle étouffe sous ses contradictions internes ?

IV. La vraie solution : le peuple en action, la rue comme tribunal

Le 9 août 2025, des milliers d’Ivoiriens sont descendus dans la rue pour dénoncer un régime moribond. Cette journée historique a montré, s’il en était encore besoin, que le peuple uni est capable de faire trembler n’importe quelle forteresse politique. Mais cet élan aurait dû se poursuivre, se renforcer, s’organiser. Car les pauses dans la lutte ne servent qu’à l’adversaire.

La vraie solution n’est pas dans les chancelleries étrangères ni dans les rapports des institutions internationales. Elle est dans la mobilisation populaire, dans le courage de ceux qui refusent de se résigner, dans la volonté d’imposer une rupture radicale avec un système injuste. Ce ne sont pas les intellectuels ou les écrivains qui doivent mener les marches, mais bien ceux qui aspirent à diriger le pays. Ce sont eux qui doivent faire leurs preuves, non dans les discours, mais dans l’action, en s’exposant au danger, en payant le prix de leurs ambitions.

V. L’Afrique debout : un impératif de dignité

Les exemples tunisiens (2011), burkinabè (2014), et maliens (2020) montrent que lorsqu’un peuple se met debout, aucun pouvoir, aussi armé ou soutenu soit-il, ne peut résister longtemps. Ce sont là des preuves concrètes que la libération est possible, que la peur peut change de camp, que l’histoire n’est pas écrite d’avance. Pourquoi la Côte d’Ivoire ferait-elle exception ? Pourquoi notre peuple serait-il incapable d’un sursaut de dignité et de courage ?

Nous devons comprendre, une bonne fois pour toutes, que personne ne viendra nous libérer à notre place. Ni l’ONU, ni la France, ni les États- Unis, ni même les belles déclarations de l’Union africaine. La liberté se conquiert, elle ne se quémande pas. Elle s’impose par la force du nombre, la clarté du message, la légitimité de la cause.

Conclusion

La solution à la crise ivoirienne et plus largement à la crise africaine ne viendra ni des institutions internationales ni de quelque messie étranger. Elle viendra des peuples eux mêmes, lorsqu’ils auront décidé de rompre avec l’attentisme, la soumission et l’illusion d’un secours extérieur. Il est temps de refermer le chapitre de la dépendance, de sortir de la posture de victime, et d’embrasser pleinement notre rôle d’acteurs de notre propre destin.

Quittons enfin cette « Europe » dont parlait Fanon, pas seulement comme continent géographique, mais comme symbole d’une domination mentale, politique et économique. Osons rêver, bâtir et imposer une Afrique souveraine, fière et libre. Ce combat ne se mène ni à l’ONU ni dans les salons diplomatiques, mais dans la rue, dans les cœurs, et surtout dans les actes.

Jean-Claude DJEREKE

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