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Kouokam Narcisse: le champion en pitres est mort

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Evocation d’un parcours artistique de plus d’une quarantaine d’années.

 Connaissez-vous le « dog whistle » ? Cette expression anglaise, qu’on pourrait traduire par « sifflet à chien », est un sous-discours qui permet de de se faire identifier autrement. « Saa’ Foguaing Dieunedort Pompidou », c’est le personnage dessiné par Kouokam Narcisse. D’abord pour le public et ensuite pour lui-même. « Saa’ Foguaing Dieunedort Pompidou » et Kouokam Narcisse, « les deux noms suggèrent une parenté structurelle entre un humour qui fait rire en coin et un autre qui fait pleurer sans bruit », tel que l’explique Pr Mathias-Eric Owona Nguini.  Et s’il n’y avait sûrement pas d’actualité brûlante dans le monde de la culture au Cameroun et dans le monde, les dires de son fils, Franklin Kouokam, n’en finissent pas d’affirmer le contraire.

« Il était 2 heures du matin quand il a rendu l’âme au CHU.  Papa a été opéré. Les complications qui ont suivi cette opération l’ont plongé dans le coma pendant 18 jours. Il en est mort ». Encore vivant sur son lit d’hôpital, il y a quelques semaines, il gardait la fibre humoristique face à l’auteur de ces lignes : « Il manque seulement l’argent, sinon j’allais sortir les pommes François pour rendre cette maladie malade aussi ». 

Œuvre  

Malheureusement, Kouokam Narcisse est mort !  Il avait 63 ans. Si nous nous doutions que cela devait arriver, l’annonce du décès de l’humoriste constitue un choc. « Le Cameroun est en deuil, l’humour universel porte le deuil », se désole Jean-Marie Ahanda. Et lorsque cet ancien journaliste culturel du quotidien Cameroon Tribune commence à apprécier les vieux sketchs de Kouokam Narcisse, il se montre mainstream. Il va chercher plus loin.

Il se remémore, pêle-mêle, quelques œuvres du disparu : « Le match Nord-Sud », « Le Mbongo Tchobi », « Coup Franc », « Ahmed au Paradis », « la coupe est pleine », « Le Discours dort » et surtout… « Appelez-moi honorable » et « Le téléphone circulaire ». « Dans ces sketchs, l’identité du discours de Kouokam Narcisse griffe, bouscule, dézingue les tabous, assume ses pensées à contre-courant, même les plus noires, même les plus tordues. On pourrait croire qu’il est né en costume de scène quelque part à Bafoussam, avec, en bouche, des bouffonneries au goût d’une purée bien beurrée », commente Daniel Ndo.

Ce que donne à connaître « Oncle Otsama », c’est que, de son vivant, Kouokam Narcisse était doué dans l’art de combiner humour, poésie loufoque, lucidité, tout en y ajoutant une bonne dose d’ironie, d’effronterie bien ordonnée, d’insolence et même d’impudeur et des allusions à des faits connus et reconnus. « Sa marque distinctive c’était l’art des périphrases et comparaisons inattendues, du détail incongru et du dérapage contrôlé, le glissement progressif vers un autre sujet, les phrases digressives, souvent rédigées de façon pompeuse et académique et bourrées de clichés, d’une grandiloquence burlesque », explique le journaliste et critique camerounais Serge Pouth.

« En Kouokam Narcisse, il y avait un œil fin, une mémoire affûtée, une culture pétrie d’humanité, sans esbroufe, qui place l’ironie avec la précision d’un horloger, et qui tente de sourire, coûte que coûte, pour permettre au public d’affronter ses petites et grandes misères », s’épanche Mgr Samuel Kleda, l’archevêque métropolitain de Douala.

Lu ailleurs…

Avec ça, Kouokam Narcisse a conservé son audience auprès de segments très précis et hétérogènes de la population camerounaise, perçant même auprès de nouveaux milieux internationaux au fil des ans. « Quand chaque jour les médias recherchent un humoriste nanti d’un tel talent, il est certain qu’il n’en existe presque pas en Afrique subsaharienne, tant les comiques d’aujourd’hui, talentueux ou pas, ne possèdent pas la moitié du style de Kouokam Narcisse avec sa diction parfaite, sa présence scénique impeccable et son contact facile avec le public », assume Cherif Lahdiri.

Approché par le site d’informations El Shad, ce 10 août 2025, un mécène culturel algérien, poursuit : « Kouokam Narcisse a réussi l’exploit de passer d’ancien élève du lycée polyvalent de Bonabéri à l’humoriste qui a rempli les plus grandes salles du monde et rassemblé des milliers de téléspectateurs devant leur télé pour assister à ses blagues. Une explosion logique pour un homme qui a parfaitement compris que rire était la façon la plus efficace d’amuser tout le monde ». 

C’est carrément sur la même veine qu’écrit le journaliste sénégalais Boris Ndiaye : « Kouokam Narcisse, un monstre de scène, peut-être le plus de fou de tous. Depuis sa révélation dans les studios de radio au Cameroun, son ascension a été irrésistible. Enchaînant les spectacles, gravissant la montagne de l’humour africain et mondial, mêlant un art de la punchline ciselée à des réflexions plus touchantes sur plusieurs sujets graves, il a déployé l’une des plumes les plus intelligentes dans l’humour universel. Tant il a confirmé par ses textes qu’il était un virtuose de l’écriture comique. Il démontrait une extraordinaire aisance sur scène, alliée à un sens du récit inénarrable, un goût pour les situations absurdes et une grande inventivité.

Un art très difficile dans lequel trop d’humoristes croient briller En effet, rares sont les humoristes dits “populaires” à parvenir à maintenir un tel niveau d’exigence avec leur public. Lui en fait partie. Et pour parler de lui aujourd’hui, il faut bien se distinguer de la masse moutonnière, qui ne rigole qu’à l’humour consensuel qu’on lui sert à la télé ».

« Celcom »

Dans une société qui valorise le paraître à grand spectacle, la discrétion était une forme heureuse et nécessaire de résistance pour Kouokam Narcisse. Entre le plaisir baudelairien de flâner anonymement parmi la foule et la joie silencieuse de se regarder dans ses habits de « chargé de communication et de relations publiques à la Sotuc (Société de transports urbains du Cameroun, NDLR) et au Crédit Agricole du Cameroun », l’homme éprouvait à chaque seconde le soulagement de ne pas voir son égo triompher. Dissimulation ? Calcul prudent ? Ou peur d’être vu ? En tout cas, l’âme discrète de Kouokam Narcisse a offert une utile présence au monde.

Jean-René Meva’a Amougou 

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