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La meilleure part n’est pas un statut, mais une priorité

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Place saint pierre de Rome

L’évangile de Luc (10, 38-42) rapportant la visite de Jésus chez Marthe et Marie a souvent été interprété de manière réductrice.

Place saint pierre de Rome

Marthe, l’active, serait reléguée dans la catégorie des « préoccupés par les choses du monde », tandis que Marie, assise aux pieds de Jésus, incarnerait l’idéal de la vie contemplative, plus noble, plus spirituelle. Poussée à l’extrême, cette lecture a contribué, consciemment ou non, à une hiérarchisation des vocations dans l’Église, opposant clercs et laïcs, religieux et engagés dans le monde.

Une fausse opposition

La prétendue opposition entre Marthe et Marie, entre action et contemplation, entre monde et Église, est non seulement simpliste, mais théologiquement infondée. Elle ne résiste ni à une lecture attentive de l’Évangile, ni à l’enseignement du Concile Vatican II, encore moins à l’appel constant des papes contemporains – Jean-Paul II, Benoît XVI et François – à reconnaître la dignité et la mission propre de chaque baptisé.


Le Concile Vatican II, dans « Lumen Gentium », affirme sans ambiguïté que les laïcs partagent pleinement, en vertu de leur baptême, la mission évangélisatrice de l’Église. Ils ne sont pas des fidèles de « second rang », mais des membres actifs, coresponsables. La sainteté, par ailleurs, n’est pas réservée aux prêtres, aux religieux ou aux contemplatifs. Elle est un appel universel, lancé à chacun, selon son état de vie. C’est pourquoi on ne peut pas dire que Marie a choisi la meilleure part parce qu’elle serait plus proche d’un idéal religieux ; ce serait méconnaître la logique même de l’Évangile.

L’enjeu véritable: la priorité donnée au Christ

Ce que Jésus reproche à Marthe, ce n’est pas son service, ni son agitation, mais le fait qu’elle s’inquiète et s’agite au point d’oublier l’essentiel. Ce n’est pas l’action en soi qui est problématique, mais une action déconnectée de la Présence, du cœur à cœur avec le Maître. Ce texte n’oppose donc pas service et prière, monde et Église, engagement social et spiritualité. Il nous rappelle simplement que tout commence par l’écoute.


Être disciple, c’est d’abord s’asseoir aux pieds de Jésus, dans la posture de celui qui apprend. Puis, seulement ensuite, se lever et servir. Une vie sacerdotale, religieuse ou même missionnaire peut être vide de sens si elle n’est pas enracinée dans cette écoute première. À l’inverse, un chrétien engagé dans le monde, dans les affaires sociales, familiales, politiques ou professionnelles, peut tout à fait vivre sa vocation avec profondeur s’il garde cette priorité au cœur: se laisser enseigner par le Christ, chaque jour, dans la prière, dans l’Évangile, dans l’écoute des autres.

Le fonctionnalisme

Nous connaissons des prêtres, religieux ou agents pastoraux qui s’épuisent dans le service. Leur apostolat devient une succession de tâches et de responsabilités. Ce zèle, s’il est coupé de la source, devient aride. Oui, on peut être ordonné, consacré, très actif dans l’Église, et pourtant perdre de vue Celui pour qui nous faisons tout cela.
Nous connaissons aussi des laïcs discrets, engagés dans leur vie familiale ou professionnelle, qui vivent profondément unis au Christ. Leur prière est simple, mais constante. Leur foi transparaît dans leurs gestes, leurs choix, leur manière d’aimer. Ils ne sont pas moins « saints » que les autres. Peut-être le sont-ils même davantage, précisément parce qu’ils ont su inscrire l’écoute du Christ au cœur d’un quotidien chargé.


Un jour, j’ai entendu un prêtre dire à l’un de ses confrères, qui fêtait son jubilé d’argent sacerdotal: « Tu as choisi la meilleure part. » Il voulait sans doute le féliciter. Mais il s’exprimait comme si être prêtre était, par essence, supérieur à toute autre vocation. La meilleure part, ce n’est ni le sacerdoce, ni le mariage, ni la vie religieuse. Ce n’est pas un état de vie. C’est une disposition intérieure. C’est la priorité donnée à Jésus-Christ, quel que soit le chemin par lequel on choisit de le suivre.
Cette précision est capitale pour notre temps, où beaucoup de laïcs, parfois considérés comme des « aides », redécouvrent leur mission au cœur du monde. Ils ne sont pas de simples assistants du clergé. Ils sont Église. Avec les prêtres, les religieux et les religieuses, ils partagent une unique vocation : faire rayonner l’Évangile dans toutes les dimensions de la vie humaine.


En conclusion, il est urgent de dépasser la lecture dualiste de l’évangile de Marthe et Marie. Ce texte ne nous invite pas à choisir entre l’action et la contemplation, mais à les réconcilier dans une hiérarchie juste des priorités. Jésus ne condamne pas le service. Il nous dit que l’action ne portera de fruits que si elle est enracinée dans l’écoute.


Alors, que l’on soit prêtre ou père de famille, religieuse ou infirmière, célibataire ou engagé en politique, chacun peut choisir « la meilleure part »: celle de vivre chaque jour en présence du Seigneur, d’écouter sa parole et de la mettre en pratique. Non pas pour être reconnu, non pas pour mériter quoi que ce soit, mais parce que c’est là que se trouve la joie véritable, la fécondité, la paix.

Jean-Claude DJEREKE

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