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Abbé Édouard Lacra : Cinquante ans de fidélité au service de Dieu et de l’Église

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Un pionnier du sacerdoce dans la région de Sassandra

Du 18 au 20 juillet 2025, l’abbé Édouard Lacra, premier prêtre du peuple Neyo et de la région de Sassandra, célébrera son jubilé d’or sacerdotal. Cinquante années de ministère ininterrompu, de service dévoué à l’Église catholique et à la communauté ivoirienne.
Ce parcours n’a rien d’un long fleuve tranquille. Il est fait d’obéissance parfois douloureuse, d’épreuves discrètes, de responsabilités inattendues, mais aussi de fidélité, de douceur, de rigueur intellectuelle et d’un attachement profond à sa culture d’origine.
Son ordination a ouvert une voie nouvelle, non seulement pour les jeunes de Sassandra rêvant de consacrer leur vie à Dieu, mais aussi pour la promotion des langues et cultures locales dans l’Église. À travers lui, c’est toute une région qui a vu son espérance portée sur les épaules d’un homme décidé à faire fructifier les dons reçus, malgré les obstacles et les surprises du destin.

Un appel inattendu au leadership spirituel

Dès la fin de ses études à l’Institut supérieur de culture religieuse (ISCR), le jeune abbé Lacra est affecté, en 1977-1978, au Petit Séminaire Saint-Dominique Savio de Gagnoa. Il y arrive en toute bonne foi, convaincu qu’il y enseignera la religion, le français, le latin ou quelque autre discipline scolaire. Mais ce que lui annonce alors Mgr Noël Kokora Tekry dépasse toutes ses attentes. Il ne sera pas simple professeur, mais directeur du séminaire.
Édouard Lacra, encore jeune prêtre, juge cette mission trop lourde pour ses épaules. Il refuse d’abord, avec la sincérité de celui qui ne veut pas prendre à la légère une fonction aussi capitale pour la formation de futurs prêtres. Mais l’évêque insiste. Il évoque l’obéissance, ce vœu fondamental du sacerdoce, et lui signifie que ce n’est pas une proposition, mais une mission. Pris entre sa conscience et sa promesse sacerdotale, le Père Lacra demande un temps de réflexion.
Quelques jours plus tard, lors de leur seconde rencontre, il n’a d’autre choix que de s’en remettre à Dieu. Il fait alors siennes les paroles du jeune Samuel dans l’Ancien Testament : « Me voici, je viens faire ta volonté. » Cette réponse inaugure une longue et féconde carrière au service de la jeunesse cléricale, dans un esprit de discernement et de fermeté.

Une autorité tendre et une mémoire vivante

Ceux qui ont côtoyé l’abbé Lacra pendant ses années à Saint-Dominique Savio gardent de lui le souvenir d’un homme à la fois exigeant et bienveillant. Il savait doser tendresse et rigueur. En 1979, au moment de préparer l’examen du BEPC, les élèves de Troisième, dont je faisais partie, étaient restés seuls au séminaire alors que les autres étaient déjà en vacances. Nous bénéficiâmes de son accompagnement constant.
Il ne nous laissa jamais seuls dans cette période décisive. Il nous encouragea, nous encadra et nous aida à affronter les épreuves avec confiance. Résultat: la majorité réussit brillamment. Un détail reste gravé dans ma mémoire: un commentaire qu’il avait inscrit sur mon bulletin de notes, qualifiant mon tempérament de « pince-sans-rire ». Ce fut l’occasion pour moi de découvrir une expression française jusque-là inconnue et, surtout, de comprendre que le supérieur savait observer finement, au-delà des résultats scolaires, la personnalité de chacun.

Responsabilités nationales et service pastoral

Après avoir dirigé le petit séminaire, l’abbé Lacra est appelé à occuper des fonctions encore plus stratégiques. Il devient responsable de l’enseignement catholique au niveau national. Cette nouvelle mission l’amène à s’installer à Abidjan. Je ne sais pas pendant combien d’années il s’acquitta de cette mission. Ce que je sais, c’est que, après l’enseignement catholique, il déposa ses valises au secrétariat de la Conférence épiscopale. Il avait succédé à l’abbé Marcel Eboï. Là encore, il fit preuve de rigueur, de diplomatie et de discrétion.
Le 23 octobre 1989, San Pedro se détache du diocèse de Gagnoa pour devenir une entité autonome. C’est dans ce nouveau diocèse que l’abbé Lacra est appelé à poursuivre sa mission. Il sert successivement à Sassandra, sa terre natale, et à San Pedro, participant à la mise en place des structures ecclésiales de cette jeune circonscription. Depuis quelques années, il y exerce les fonctions de chancelier, avec la même constance et la même humilité.

Un artisan de l’inculturation de la foi

Parmi toutes les missions qu’il a assumées, il en est une dont le Père Lacra est particulièrement fier: la traduction de l’Évangile en langue Neyo. Dans une Église encore trop souvent prisonnière de la langue coloniale, ce travail de traduction constitue une œuvre pionnière d’inculturation.
Traduire la Parole de Dieu dans la langue maternelle d’un peuple, c’est bien plus qu’un acte technique. C’est permettre à chacun de rencontrer le Christ dans la texture même de sa culture, de son histoire, de ses mots familiers. C’est affirmer que Dieu parle toutes les langues et que la foi n’est pas l’abandon de son identité, mais sa transfiguration.
En s’engageant dans ce travail, le Père Lacra ne s’est pas contenté d’annoncer l’Évangile. Il l’a incarné dans la culture Neyo. Il a ainsi contribué à restaurer la dignité d’une langue souvent marginalisée et à redonner à son peuple la fierté de sa spiritualité propre. Dans un monde globalisé, cet enracinement est une leçon de fidélité à soi-même.

Un évêque manqué ? Non, un prêtre accompli

Beaucoup de ceux qui ont croisé la route de l’abbé Édouard Lacra ont vu en lui un évêque en puissance. Son intelligence, sa pédagogie, sa foi paisible et profonde, sa capacité à gérer les hommes et les institutions, tout cela semblait faire de lui un candidat naturel à l’épiscopat. Mais, comme le rappelle le proverbe biblique, « les voies de Dieu sont insondables et ses plans ne sont pas les plans des hommes ».
Il n’a pas été élevé à la dignité épiscopale, mais il a gardé le cap, fidèle à son engagement initial. Il est resté prêtre, tout simplement. Prêtre de village, prêtre de séminaire, prêtre de diocèse, prêtre du quotidien. Et cette fidélité, cet enracinement dans le service modeste, a probablement plus de valeur que bien des couronnes humaines.

Conclusion : Un demi-siècle de fidélité, un exemple pour tous

Cinquante ans au service de Dieu et des hommes. Peu de prêtres atteignent ce cap sans rupture, sans crise majeure, sans renoncement. L’abbé Édouard Lacra, lui, est resté fidèle. Fidèle à son Dieu, fidèle à son Église, fidèle à son peuple. Fidèle surtout à sa vocation première: servir sans chercher les honneurs, aimer sans bruit, enseigner sans s’imposer.
Aujourd’hui, alors qu’il célèbre son jubilé d’or, la communauté catholique ivoirienne, et en particulier celle de Sassandra et San Pedro, peut légitimement lui dire merci. Merci pour l’exemple donné. Merci pour les jeunes formés. Merci pour les familles accompagnées. Merci pour la langue Neyo honorée. Merci pour les semences plantées, qui continueront de porter du fruit bien après lui.
Puisse son parcours inspirer d’autres jeunes à répondre à l’appel de Dieu, avec la même liberté intérieure, la même fidélité et la même profondeur. Car, si l’on reconnaît un arbre à ses fruits, le Père Lacra est assurément un bon arbre, solidement planté, qui a su traverser les tempêtes, et donner à chacun l’ombre et les fruits de sa foi inébranlable.

Jean-Claude Djéréké

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