Depuis plus de cinquante ans, une seule famille règne sans partage sur le Togo : les Gnassingbé. Installés au pouvoir depuis le coup d’État de 1967, d’abord avec le père, Gnassingbé Eyadéma, puis avec le fils, Faure Gnassingbé, ce régime autoritaire s’est distingué par une gouvernance basée sur la violence, la confiscation des libertés et le pillage systématique des ressources nationales.
Tout cela s’est fait avec la complicité silencieuse — parfois active — de dirigeants étrangers, notamment français, pour qui la stabilité d’un régime-client prime sur les droits et aspirations des peuples africains.
Une dynastie soutenue de l’extérieur
Le rôle trouble de la France dans la longévité du régime togolais ne fait plus de doute. Un juriste français, Charles Desbach, fut longtemps le conseiller juridique à la fois du père et du fils Gnassingbé. Ce genre de proximité juridique et politique illustre à quel point les anciennes puissances coloniales continuent de peser dans les affaires intérieures des États africains, souvent au détriment des populations. Cette mainmise étrangère ne se limite pas à des conseils techniques : elle se manifeste par un soutien diplomatique, économique et militaire tacite, même face aux exactions les plus graves.
La récente révision constitutionnelle opérée par Faure Gnassingbé est une nouvelle manœuvre pour s’éterniser au pouvoir. En modifiant la loi fondamentale du pays pour se maintenir, Faure prouve une fois encore que l’alternance démocratique n’a jamais été son intention. Ce verrouillage institutionnel s’ajoute à un climat de répression permanente et à une gouvernance catastrophique.
Un pays à genoux : pauvreté, répression et abandon
Les maux qui accablent le Togo sont nombreux, et profondément enracinés. Le chômage des jeunes atteint des niveaux alarmants, créant une génération sans perspective. Les infrastructures sont délabrées, les routes impraticables, les services de base précaires. Dans ce contexte déjà difficile, l’augmentation récente des tarifs de l’électricité est venue aggraver la précarité quotidienne de millions de Togolais.
Pire encore, les demandes populaires sont systématiquement ignorées. Faure Gnassingbé s’est toujours montré sourd aux revendications légitimes de son peuple. Même l’Église catholique, pourtant souvent prudente dans ses prises de position, n’a pas été épargnée. Monseigneur Philippe Kpodzro, ancien archevêque de Lomé, avait osé affirmer que la dernière élection présidentielle avait été remportée non pas par Faure, mais par son adversaire Agbéyomé Kodjo. Son courage politique lui valut l’exil. Il est mort loin de sa terre natale, symbole tragique d’une opposition muselée.
Le 26 juin 2025 : la colère d’un peuple et la brutalité d’un régime
Le 26 juin 2025, le peuple togolais est descendu dans les rues pour exiger la démission de Faure Gnassingbé. Des manifestants, venus de tous les horizons, ont exprimé pacifiquement leur ras-le-bol face à la dictature. Mais, comme à son habitude, le régime a répondu par la violence. L’armée, composée en grande majorité de membres de l’ethnie kabyè — fidèles à Faure —, a tiré à balles réelles sur la foule, faisant au moins sept morts.
Il faut ici avoir le courage de nommer les choses. La structure même de l’armée togolaise, son recrutement ethnique, sa brutalité et son absence de formation démocratique, en font un outil de terreur au service d’un clan. Cette armée ne protège pas le peuple, elle le réprime.
La répression ne s’arrête pas aux rues. Le rappeur engagé Aamron, figure montante de la contestation populaire, a été emprisonné simplement pour avoir dénoncé l’injustice. Il n’a été libéré que grâce à la mobilisation de la société civile et de l’opposition. Dans un pays libre, un artiste critique est un acteur du débat démocratique. Au Togo, il devient un ennemi à neutraliser.
Silence complice et opportunisme panafricaniste
Devant tant d’injustice, le silence de la CEDEAO et de la France est assourdissant. Ces deux entités n’ont pourtant pas hésité à condamner avec virulence les récents coups d’État militaires ailleurs sur le continent. Pourquoi ce deux poids, deux mesures ? Pourquoi la dictature civile d’un Faure Gnassingbé est-elle tolérée, voire couverte, alors que d’autres régimes, militaires ou révolutionnaires, sont cloués au pilori ? Ce silence démontre une hypocrisie institutionnelle, où les droits de l’homme ne pèsent pas lourd face aux intérêts géostratégiques.
Pire encore, certains soi-disant panafricanistes, mus par l’opportunisme ou la cupidité, ont accepté de participer à un congrès sur le « panafricanisme », organisé sous l’égide du régime togolais. Ce qui devait être un espace de réflexion critique est devenu une opération de blanchiment politique. Ces intellectuels et activistes ont trahi les peuples qu’ils prétendent défendre en prêtant leur image à une mascarade destinée à légitimer un pouvoir honni. Ce genre de duplicité tue l’espoir et affaiblit la lutte. Fort heureusement, le congrès fut annulé à la dernière minute grâce à une intense campagne d’information et de sensibilisation sur les objectifs cachés de cette conférence menée par des personnes comme moi.
Conclusion : Togo, la case qui brûle
Un proverbe africain dit : « Tu ne peux pas voir la case de ton voisin brûler et rester sans réagir. » Ce qui se passe au Togo concerne donc tous les Africains. La lutte pour la démocratie, la dignité, et la justice dans ce petit pays d’Afrique de l’Ouest est aussi la lutte de tout un continent. Si Faure Gnassingbé réussit à écraser impunément son peuple, cela envoie un message dangereux aux autres régimes : la répression paie, la trahison ne coûte rien, et la résistance populaire peut être étouffée sans conséquences.
Il est urgent que la communauté africaine et internationale prenne position. Il est urgent que les vrais panafricanistes, les vrais démocrates, dénoncent cette tyrannie. Le peuple togolais mérite mieux que le silence. Il mérite la solidarité, l’écoute et le soutien de tous ceux qui croient encore en un avenir juste pour l’Afrique.
Jean-Claude Djéréké