Près d’une quinzaine d’années à négocier et à renégocier.
Yaoundé, 12 août 2022. Face à la presse camerounaise, Ingrid Babackas (alors ministre congolaise de l‘Economie, du Plan, de la Statistique et de l’Intégration Régionale) se fend en une phrase à résonnance singulière et plurielle à la fois. « Le projet de Traité constitutif de la nouvelle Communauté Economique Régionale devant remplacer la CEEAC et la CEMAC a été examiné et validé par le Conseil des ministres du Comité de pilotage de la Rationalisation des Communautés Economiques Régionales en Afrique centrale », confie-t-elle aux journalistes. Parmi les hommes et femmes de médias, une voix pose une question à forte tonalité provocatrice ; « Madame la ministre, que répondez-vous à ceux qui pensent que ce vous dites, ce ne sont pas simplement des mots perdus au milieu d’un brouillon illisible depuis au moins 10 ans ? » Réponse spontanée de Ingrid Babackas : « le projet de Traité constitutif adopté tient compte des expériences des CERs existantes en Afrique centrale. Ce projet, arrimé à l’architecture voulue par l’UA, consacre une ossature plus moderne de la Communauté. C’est le document le plus important du dispositif normatif de la nouvelle CER, en ce sens qu’il fonde la Communauté envisagée, en précisant entre autres ses structures organique et institutionnelle, ses domaines d’actions et valeurs, ainsi que son identité. S’il venait à être parachevé, cela faciliterait la mise en place d’autres textes».
«Acrobates du verbe»
Dans les analyses et commentaires journalistiques, l’arrière‐fond d’une telle réponse indique bien qu’un gros travail est fait par le Comité de pilotage de la Rationalisation des Communautés Economiques Régionales en Afrique centrale ((COPIL/CER-AC). « On peut dire qu’on avait beaucoup traîné parce que depuis, malgré les bonnes intentions affichées par l’ensemble des pays, les avancées étaient minces et l’essentiel des batailles menées par certains acrobates du verbe qui jouaient sur les mots. Des trésors de sémantique ont été déployés, donnant parfois lieu à des polémiques et à des exégèses sans fin sur bien des chapitres, ôtant ainsi toute possibilité d’évaluer les progrès dans la mise en œuvre d’une programmation resserrée et cohérente », glisse une source de première importance.
Constats
« Sur cette base, l’on est amené à en faire deux : Le premier montre que la programmation d’un sommet conjoint Cemac/CEEAC en juillet 2025 marque l’aboutissement d’un projet mûrement réfléchi. Le second correspond à un vrai tournant rythmé d’espoir et d’enthousiasme », postule Dr Alexandrine Nkou, internationaliste camerounaise. D’après cette dernière, c’est fort de la qualité des documents à lui remis que le président de la République du Cameroun, Paul Biya, en sa qualité de président dédié à la rationalisation des CERs en Afrique Centrale (depuis la 14ème Conférence des Chefs d’Etat de la CEEAC, tenue en octobre 2009 à Kinshasa) a profité de la tenue du le 15ème sommet des Chefs d’Etat et de gouvernement de la Cemac à Yaoundé, le 17 mars 2023, pour dire : « Notre volonté commune de promouvoir, de façon cohérente, le développement économique et social de nos pays, a fait apparaître la nécessité de la fusion de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC) et de la Communauté Economique des Etats de l’Afrique Centrale (CEEAC). Il en est de même de la réforme de certaines institutions communautaires, notamment la Banque de Développement des Etats de l’Afrique centrale (BDEAC), ou de la fusion des deux bourses de la sous-région ».
Sur d’autres gros dossiers, Dr Alexandrine Nkou estime que les avancées sur le processus de rationalisation des CERs se mesurent à l’aune de précieux détails. « Il s’agit notamment de deux propositions de dénomination de la nouvelle CER ; des recommandations sur l’intégration des institutions de la Communauté Economique des Pays des Grands Lacs (CEPGL) dans la nouvelle architecture de la future CER ; un projet de plan de transition ; des projets de conventions régissant la Cour des Comptes, le Parlement Communautaire, la Cour de Justice et des Droits de l’Homme ; des projets de protocoles régissant la haute autorité monétaire et la haute autorité des marchés financiers ».
Jean-René Meva’a Amougou
Plus l’objet de doute
Yaoundé accueille le 18 juillet prochain le sommet conjoint Cemac-CEEAC. Selon des sources proches du comité d’organisation de ce grand raout diplomatique, le 14 juillet 2025 est la date arrêtée pour la tenue, dans la capitale camerounaise, de la réunion des experts commis pour la rationalisation des communautés économiques régionales d’Afrique centrale (CEEAC, Cemac et CEPGL). Ces experts sont chargés de préparer des éléments techniques à soumettre au conseil des ministres, planifié pour le 16 juillet 2025 à Yaoundé. Deux jours plus tard, à huis clos, les dirigeants (ou les représentants) de l’Angola, du Burundi, du Cameroun, du Gabon, de Guinée Equatoriale, de la République Centrafricaine, de la République du Congo, de la République Démocratique du Congo, du Tchad, de Sao Tomé et Principe et du Rwanda vont jouer cartes sur table au niveau politique.
De l’avis de nombreux analystes, le sommet conjoint Cemac-CEEAC représente l’arène cruciale pour la renégociation de la gouvernance communautaire. « Etant donné qu’il met face à face 11 pays, il offre la possibilité d’une nouvelle vision dans le grand jeu pour le futur de l’Afrique centrale », postule Pr Belinga Zambo. Pour le politologue camerounais, ce sommet conjoint « ouvre enfin une fenêtre de tir pour refonder et aller de l’avant ». On peut alors imaginer que chacune des délégations va se donner les moyens de faire entendre sa voix. Le message implicite, c’est que les assises du 18 juillet 2025 à Yaoundé se retrouvent légitimées en tant que forum compétent pour affronter les différences d’une part, et réfléchir sur les défis communs d’autre part.
Viendra, viendra pas ?
Prenant acte de l’importance stratégique de ce sommet, des indiscrétions répondent aux doutes exprimés autour de la participation du Rwanda.
« Conformément à l’article 110 (alinéas i et 2) du Traité révisé de la CEEAC (« Tout État membre désireux de se retirer de la Communauté notifie par écrit son intention au Président en exercice de la Conférence, un (1) an à l’avance. Dès réception de cette notification, des négociations sont engagées entre l’Etat candidat au retrait et la Communauté à l’effet notamment de discuter de l’impact de ce retrait sur le fonctionnement de la Communauté. A l’expiration du délai de préavis, il cesse d’être membre de la Communauté, à moins que dans l’intervalle il n’ait renoncé à son retrait » ; « Pendant la période d’un (1) an visée au paragraphe 1 du présent article, tout Etat membre désireux de se retirer de la Communauté se conforme néanmoins à ses dispositions et reste tenu de s’acquitter de ses obligations y relatives »), Ce qui, en langage clair, signifie qu’au regard des menaces brandies par le Rwanda lors du 26e sommet ordinaire de la CEEAC, tenu à Malabo, le 7 juin dernier, il est encore membre de cette organisation et devrait, en principe, prendre part au sommet de Yaoundé », répètent quelques analystes apparentés au comité d’organisation. Bien plus, ils estiment que les récentes déclarations de Kigali combinent à la fois un discours générique et des décisions ciblées. Mieux, il s’agit d’un exercice diplomatique effréné, mis en scène par Kigali pour délivrer deux messages. Le premier : la CEEAC, souffrant de paralysie institutionnelle et d’un manque croissant de dynamisme, va bientôt disparaître parce l’illusion d’une réforme de l’intérieur, longtemps caressée par une CEEAC en mal d’imagination, s’est fracassée sur le réel. Le second : la nouvelle communauté ouvre un horizon d’avenir. « Pour Kigali, les assises de Yaoundé créent des attentes réelles mais difficiles à mesurer pour le moment ».
Jean-René Meva’a Amougou