Home AMBASSADES Le RHDP et la tentation autoritaire: une démocratie bâillonnée

Le RHDP et la tentation autoritaire: une démocratie bâillonnée

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Le 19 juin 2025, Joël N’Guessan, ancien ministre des Droits de l’Homme et figure historique du RDR, a été placé sous mandat de dépôt à la prison du Pôle Pénitentiaire d’Abidjan, l’ex-MACA.

Cette arrestation alimente les inquiétudes croissantes sur la dérive autoritaire du pouvoir en place. Celui qui fut porte-parole du Rassemblement des Républicains n’est pas un opposant traditionnel, encore moins un marginal : il est un homme du sérail, un militant du RHDP. Son crime ? Avoir eu le courage de s’exprimer librement sur deux sujets brûlants : la candidature contestée d’Alassane Ouattara à un quatrième mandat présidentiel, et la radiation arbitraire de plusieurs figures politiques majeures de la liste électorale. Son interpellation révèle une fois de plus l’intolérance du pouvoir en place face à la contradiction, et pose une question fondamentale : peut-on encore parler de démocratie en Côte d’Ivoire ?

Joël N’Guessan paie son franc-parler

À peine trois jours avant son incarcération, Joël N’Guessan exprimait de sérieuses réserves sur l’orientation actuelle de son parti. D’une part, il dénonçait ouvertement la volonté d’Alassane Ouattara de briguer un quatrième mandat, en totale violation de l’esprit et de la lettre de la Constitution ivoirienne. D’autre part, il s’insurgeait contre la radiation de plusieurs personnalités politiques – Laurent Gbagbo, Charles Blé Goudé, Guillaume Soro, Tidjane Thiam – de la liste électorale, dénonçant une instrumentalisation de la justice à des fins d’exclusion politique. Dans une formule percutante, il mettait en cause les magistrats, les accusant d’être devenus des agents de crise plutôt que des garants d’impartialité.

Pour ces propos, qu’on pourrait tout simplement qualifier d’analyse critique, Joël N’Guessan a été convoqué par la police, puis incarcéré sous l’accusation de « propos incendiaires et menaçants à l’encontre des institutions judiciaires ». Or, au regard du contexte, cette arrestation ne peut être interprétée autrement que comme une volonté claire du régime de museler toute voix dissidente, y compris en son propre sein. C’est donc un signal fort envoyé aux autres militants du RHDP à quelques jours du deuxième congrès ordinaire du parti : la loyauté ne se discute pas, elle se soumet.

Vers un parti unique déguisé ?

La violence de la réaction contre Joël N’Guessan montre que le RHDP n’est plus le parti des débats internes ni de la pluralité d’opinions. Il s’est transformé en un appareil fermé, centré sur la personne du président Ouattara et son cercle rapproché. Toute parole divergente est assimilée à de la trahison. Ce verrouillage du débat interne n’est pas sans rappeler les heures sombres du parti unique, où la moindre critique était considérée comme un acte de sabotage.

Mais cette réaction traduit aussi une fébrilité croissante. En effet, le pouvoir sait que la candidature de Ouattara à un quatrième mandat soulève une large opposition dans le pays, y compris dans son propre camp. La population ivoirienne est lasse de cette présidence sans fin, de ce règne jalonné de crises électorales, d’exclusions, de violences politiques et de répression. Plutôt que de préparer une transition apaisée et démocratique, le régime choisit l’affrontement et la peur.

Le cas de Joël N’Guessan est donc exemplaire. Il est arrêté non pas parce qu’il a incité à la haine, mais parce qu’il a dit tout haut ce que beaucoup pensent tout bas. Son arrestation marque une nouvelle étape dans la dérive autoritaire du régime. Elle montre que, désormais, aucune voix, même modérée, même interne au RHDP, ne sera tolérée si elle remet en cause le projet monarchique d’Alassane Ouattara.

Peut-on étouffer le peuple indéfiniment ?

Peut-on se revendiquer de la démocratie tout en muselant systématiquement le peuple ? Depuis plusieurs années, la Côte d’Ivoire vit sous un régime de plus en plus autoritaire qui multiplie les interdictions, les arrestations, les radiations électorales et les censures. Les médias indépendants sont menacés, les opposants harcelés, et les anciens compagnons d’armes qui osent penser autrement sont jetés en prison. Or, une démocratie digne de ce nom suppose la liberté d’expression, la séparation des pouvoirs, la transparence électorale et le respect des droits fondamentaux. En Côte d’Ivoire, tous ces piliers sont gravement fragilisés.

La situation actuelle confirme que la démocratie ivoirienne n’est plus qu’un habillage institutionnel. Elle fonctionne à coup de procès politiques, d’exclusions ciblées et de répressions policières. Et ceux qui, en Occident, ont soutenu le régime Ouattara au nom d’un supposé progrès démocratique doivent aujourd’hui faire face à leurs responsabilités.

Silence complice de Paris: les architectes du « changement » interpellés

Lorsque, en 2011, Nicolas Sarkozy affirmait fièrement avoir « sorti Gbagbo pour installer Ouattara », il revendiquait un rôle actif dans le changement politique en Côte d’Ivoire. Ce changement était présenté comme une avancée vers la démocratie, la stabilité et la prospérité. Aujourd’hui, où sont ces promesses ? Que pensent les promoteurs de l’ingérence bienveillante de cette démocratie devenue coercitive ? Leur silence est assourdissant.

La France officielle, qui continue d’entretenir des relations étroites avec le régime d’Abidjan, ne dit mot sur les dérives actuelles. Elle se tait devant les arrestations arbitraires, les atteintes à la liberté d’expression, la confiscation du droit de vote. Ce silence, qu’on peut interpréter comme une forme d’acquiescement, ternit son image sur le continent et l’enferme dans une logique néocoloniale, où les intérêts économiques priment sur les principes démocratiques.

Joël N’Guessan a eu le courage de dire ce que la majorité des Ivoiriens pensent : qu’un quatrième mandat est une imposture, qu’exclure les adversaires de la compétition électorale est une forfaiture, et que la justice ne doit pas être l’instrument d’un parti. Pour cela, il est aujourd’hui en prison. Son cas symbolise la fragilité de la démocratie ivoirienne et la tentation d’un pouvoir absolu.

Mais son arrestation pourrait aussi marquer un tournant. Car elle révèle au grand jour les contradictions d’un régime qui ne tolère plus le débat. Elle montre qu’en Côte d’Ivoire, la liberté d’expression n’est pas un droit garanti mais une faveur accordée au gré des humeurs du pouvoir. Elle rappelle que la démocratie n’est jamais acquise, qu’elle doit être défendue, y compris par ceux qui en ont jadis profité.
En dernière analyse, Joël N’Guessan, en rompant le silence, pose une question simple: jusqu’à quand le peuple ivoirien acceptera-t-il de se taire ?


Jean-Claude DJEREKE

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