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Endettement : l’Afrique va de mal en pis

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25 Etats des 54 que compte le continent sont en situation de surendettement ou menacent de l’être. L’Union africaine prend le problème à bras le corps.

Après de nombreuses mesures d’allégement en direction des pays du continent, la dette africaine reprend de l’ampleur. Réunis à Lomé au Togo du 12 au 14 mai 2025, les décideurs prennent l’engagement de changer la donne. Ils planchent donc sur des mesures immédiates en vue de la résolution effective de la crise. Et pour cause, le bilan à fin 2024 fait état d’une dette publique de 1860 milliards de dollars. Ce qui représente un ratio de 66,7% du PIB et une augmentation significative par rapport aux 44,4% enregistrés moins de 10 ans plus tôt. L’Afrique se situe ainsi loin des records des années 1976-1980. Période au cours de laquelle, le continent enregistrait sa première crise de la dette avec une croissance de 39 milliards de dollars à 112 milliards de dollars. Le phénomène n’a cessé de prendre de l’ampleur pour finalement atteindre le plafond de 270 milliards de dollars en 1990.

Afrique centrale
La sous-région Afrique centrale reste elle aussi confrontée à cette dure réalité. Les signes d’amélioration perceptibles ne parviennent pas à endiguer le phénomène quoique le ratio de la dette globale au PIB soit passé de 51,2% en 2023 à 46,8% en 2024, selon le Rapport de politique monétaire de la Banque des Etats de l’Afrique centrale (BEAC) de mars dernier. A en croire l’institution, tout est globalement bon. Exception faite du ratio du service de la dette extérieure par rapport aux recettes budgétaire, en hausse de 23,1% en 2023 contre 21,1% un an plus tôt. Il en est de même du ratio du service de la dette extérieure par rapport aux exportations de biens et services non facteurs. Il passe de 13,4% en 2023 contre 13,6% un an plus tard. « Les Etats ont mobilisé des tirages de 1556,1 milliards et ont bénéficié de dons estimés à 433,0 milliards auprès des partenaires extérieurs en 2024. Ils ont aussi tiré environ 581,5 milliards auprès du système non bancaire de la Cemac (Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale). L’ensemble de ces ressources a permis aux Etats d’amortir leurs dettes extérieures, pour un montant de 2 354,8 milliards de FCFA et de se désendetter vis-à-vis du secteur bancaire régional à hauteur de 87,6 milliards », renseigne la Beac.

Au cas par cas, l’encours total de la dette du Cameroun au 31 mars 2025 se situe à 14 442 milliards de FCFA (dont 8 558 milliards de FCFA de dette extérieure), représentant 44,7% du PIB selon des données actualisées de la Caisse autonome d’amortissement (CAA). « Par rapport aux mois et trimestres précédents, cet encours diminue de 1,4% et progresse de 5,7% sur un an. Ces fluctuations traduisent une gestion active et prudente de la dette, en ligne avec les objectifs de la stratégie d’endettement à moyen terme 2025-2027, qui limitent la dette publique à un maximum de 50% du PIB », note la Caisse dans sa Conjoncture mensuelle n°03 de mars dernier. A fin mars, les créances extérieures du Gabon se chiffrent à 30,2% de son PIB contre 37,5% en 2023. Tandis que le service de la dette extérieure représente 18,5% des recettes budgétaires. Avec cette performance, le pays de Clotaire Oligui Nguema est le deuxième pays le plus endetté de la sous-région. Il est précédé du Congo avec son taux de créances à 40,3% du PIB l’année écoulée contre 42,6% en 2023. Les données pour la Centrafrique établissent le ratio de la dette sur le PIB à 22,5% l’an dernier. La Guinée Equatoriale et le Tchad enregistrent les taux de créances les plus bas de l’Afrique centrale. Il s’agit respectivement de 11,4% du PIB et 15,6%, selon la Beac. Les prévisions de l’institution pour ces deux pays restent cependant moroses avec une augmentation de la dette en 2025.

Complications accrues
Au-delà du chiffre, le problème tel qu’abordé à l’occasion de la première conférence de l’Union africaine (UA) sur la dette présente différentes facettes. La première est liée à l’étendue du phénomène sur le continent, avec 25 économies fortement impactées contre 9 pays en 2012. Malgré les diverses initiatives d’allégement de la dette déployées par la communauté internationale dont le continent a pu bénéficier, ce dernier continue de connaître des épisodes d’endettement massif. Le second aspect du problème a trait à son poids sur les finances publiques. «L’augmentation des coûts du service de la dette accapare de manière excessive les ressources publiques essentielles au développement et à la réalisation des Objectifs de développement durable (ODD) et de l’Agenda 2063 de l’UA ; reconnaissant qu’au-delà de l’alourdissement des paiements dus au titre du service de la dette, le continent fait face à un énorme déficit de financement du développement, estimé en moyenne à 200 milliards de dollars par an, pour atteindre avec succès les Objectifs de développement durables d’ici à l’horizon 2030», souligne la Déclaration de Lomé. La complexité de la question repose en troisième lieu sur la multiplicité des créanciers. « L’actuel problème en matière de dette laisse présager une tâche ardue pour le continent, en partie en raison de la complexité croissante des restructurations de dettes liée à la grande diversité des créanciers, ainsi que des difficultés accrues pour combler le déficit de financement imputable à la réduction des flux de financement du développement à destination du continent », lit-on.

Besoin en investissement
Les besoins en financement pour le développement des Etats africains vont pourtant crescendo. Face à eux, les appuis internationaux s’amenuisent. Notamment, avec la suspension de 83% des programmes d’aide américaine courant 2025 et les récentes restrictions des marchés financiers. Le schéma est tel que décrit précédemment par la Banque africaine de développement (BAD). « Les gouvernements africains sont confrontés à des coûts de financement plus élevés sur les marchés internationaux des capitaux comparés aux économies avancées et émergentes, en raison de la perception du risque et de la mauvaise évaluation de leur dette souveraine par les investisseurs internationaux, due à des notations de crédit subjectives. En 2021, les euro-obligations souveraines africaines ont été émises avec des rendements supérieurs à 5 % et, dans 40% des cas, des rendements supérieurs à 8%. En revanche, le rendement moyen des obligations souveraines des économies avancées était de 1,1% et celui des économies de marché émergentes de 4,9% », lit-on dans le rapport intitulé Perspectives économiques en Afrique 2024.

Trois jours décisifs

En Afrique la crise de la dette se conjugue dans l’espace-temps avec des arriérés de développement. Le deuxième cas nécessite toujours plus de ressources financières pendant que le premier en absorbe trop. Le service de la dette accapare chaque année des ressources assez suffisantes pour améliorer la santé, l’éducation et pour développer le capital humain dans de nombreux pays africains, s’accordent des penseurs. Ce qui souligne l’opportunité des récentes assises de Lomé ; où durant trois jours, du 12 au 14 mai 2025, les chefs d’Etats, des ministres des Finances, des gouverneurs des banques centrales, des responsables des communautés économiques régionales et de la société civile se sont fixés des objectifs à atteindre en matière de gestion de la dette. A l’occurrence parvenir à la formulation d’un mécanisme efficace de résolution de la dette pour les pays les plus exposés, à la refonte de l’architecture financière mondiale, à redéfinir des règles d’engagement avec les créanciers, ainsi que des principes communs qui faciliteront une mobilisation accrue des ressources nationales. C’est dans cette mouvance, et motivée par l’ampleur du phénomène sur le continent, que s’est tenue la conférence de l’Union africaine sur la dette, sur le thème « Agenda de gestion de la dette publique en Afrique : restaurer et préserver la viabilité de la dette ». Le présent dossier fait l’économie des résolutions prises à l’unanimité des 500 participants à cet évènement.

Louise Nsana

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