Home INTÉGRATION RÉGIONALE Jean-Robert Kouam : « Tout se joue autour de quelques paramètres »

Jean-Robert Kouam : « Tout se joue autour de quelques paramètres »

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Le consultant-expert en commerce international élabore une analyse globale sur les facteurs de concurrence et de compétitivité des ports de l’espace Cemac.

Quels commentaires vous inspire la signature, le 28 avril dernier à Douala, d’un protocole d’accord entre le Port autonome de Douala (PAD) et le Conseil des Chargeurs du Tchad (COC-TCHAD) ?
On peut dire que c’est une expérience qui affiche une volonté marquée du PAD de reconquérir les trafics de transit tchadiens. De mon point de vue, cette expérience est intéressante, car elle s’attache à construire une offre compétitive à la fois sur le plan tarifaire, mais aussi sur le plan des délais, dans le but de reconquérir les opérateurs économiques tchadiens et de leur donner la possibilité de véritablement choisir Douala, et non d’en être chassés. Par ailleurs, sur le fond, l’articulation du cœur même de ce protocole d’accord traduit une synthèse exhaustive du rôle que jouent les pays de l’hinterland face à ceux dotés de ports en zone Cemac. En effet, par la multitude de contraintes que fournissent ces différents positionnements, ce protocole d’accord traduit également un environnement tout en muscle au niveau du trafic intra-communautaire. 

Peut-on, dans ce cas, conclure que les ports de la Cemac vivent dans des liens asymétriques et de dépendances?
Effectivement ! Vous savez, le port est à la fois un lieu de passage pour les marchandises, les passagers, les marins, et un lieu de refuge où les navires peuvent se mettre à l’abri du mauvais temps notamment. Dans un port, on voit donc passer des personnes et des marchandises en provenance et à destination du monde entier. On trouve dans les ports différents métiers comme les marins pêcheurs ou encore les dockers. Historiquement, ces métiers avaient l’habitude de travailler en coopération, c’est-à-dire ensemble dans une organisation fondée sur la solidarité. Et dans ces conditions, le développement des infrastructures constitue un investissement pour un État, et l’optimisation de la gestion desdits investissements est aujourd’hui une préoccupation majeure des dirigeants. Pour le cas des ports, les Etats se font une concurrence farouche. Et dans cette ambiance, tout se joue autour de quelques paramètres. Le premier est l’accès à l’hinterland, principalement la capacité à attirer les flux des pays enclavés (Tchad, RCA) ; le second est basé sur le coût et l’efficacité logistique notamment le temps de passage. Il s’agit de mettre en relation les coûts d’immobilisation du navire, les coûts de débarquement des marchandises et les risques liés à la manutention (coûts supplémentaires d’immobilisation du navire et de la marchandise). Le troisième, ce sont les investissements étrangers (Kribi, Pointe-Noire, des ports soutenus par des partenaires comme la Chine, bénéficient de meilleurs équipements).

La position concurrentielle d’un port est le résultat d’un compromis entre la réponse qu’il peut donner aux exigences de l’accueil des navires et comment il gère ses rapports avec ses partenaires de l’hinterland.

Pour répondre à votre question, je dirai que, comme dans toute concurrence, il y a des rivalités pour capter les flux régionaux (le cas de Douala vs Kribi) et des complémentarités (certains ports se spécialisent, ce qui peut réduire la concurrence directe). Et là, la logique du « winner take all » est l’enjeu qui sous-tend la forte concurrence observée dans le développement des ports de la Cemac. Compte tenu de la proximité entre les différentes places portuaires de la Cemac, le port qui veut s’ériger en hub régional, oblige les autres à jouer des rôles secondaires à tel point que certains supporteront des coûts comparables à ceux supportés par les pays enclavés. L’un des moyens les plus objectifs de mesurer l’attractivité d’un port est d’observer la vitesse de transit des marchandises, et d’en analyser l’évolution. Ce qui existait comme pratiques portuaires à Douala a offert à tous une opportunité de voir comment les pays enclavés ont réagi en réorganisant leurs dessertes. Avant, Douala constituait le principal débouché maritime pour les pays enclavés, particulièrement le Tcahd et la RCA. A cause des lenteurs dans le traitement des flux, vous avez vu, immédiatement, les opérateurs économiques de ces pays-là ont été obligés de se tourner vers d’autres ports, provoquant une redistribution des cartes dans les parts de marché des différents ports pour la desserte de la sous-région Cemac. 

Comment s’opère le choix d’un port A par rapport à un port B ?
Il se fait par élimination des problèmes plutôt que par sélection de l’efficacité. En effet, les acteurs économiques changent ou envisagent de changer de port uniquement lorsque les problèmes auxquels ils sont confrontés deviennent trop importants. 
Comment peut-on évaluer la bonne position concurrentielle d’un port ?
Déjà, la position concurrentielle d’un port est le résultat d’un compromis entre la réponse qu’il peut donner aux exigences de l’accueil des navires et comment il gère ses rapports avec ses partenaires de l’hinterland. Longtemps régionale, la concurrence portuaire est aujourd’hui continentale. Et même si l’on peut dire que, dans la Cemac, seuls quelques ports sont capables de recevoir de très grands navires porte-conteneurs, ils n’en seront que plus concurrents encore, car les marchés intérieurs, aussi lointains soient-ils, leur seront plus accessibles. 
Ne pensez-vous pas qu’en elle-même la géographie des ports de la Cemac permet aux pays enclavés de disposer d’un large éventail de choix ?
En toute logique, cela leur est vrai, puisqu’ils sont ainsi en mesure de faire jouer la concurrence entre les ports de la sous-région. Cependant, obtenir ce résultat supposerait une réelle négociation dans laquelle les pays enclavés bénéficieraient de conditions avantageuses en échange e leur fidélité.

Ceci explique-t-il cela ?
La plupart des ports d’envergure mondiale font face à des enjeux croissants au niveau de la concurrence et de la performance. De nos jours, des trafics portuaires sont en train de croître de façon exponentielle dans la Cemac. Parallèlement, l’hinterland est en train de devenir un acteur de poids de la chaîne de valeur. Malgré tout, pour de nombreux ports et terminaux, l’environnement socio-économique régional reste une dimension-clé de leur développement, mais les mécanismes de ce développement restent mal connus et souvent limités aux mesures officielles ou aux discours technocratiques.


Propos recueillis par
Ongoung Zong Bella

Le ressac de la concurrence

Dans la guerre larvée à laquelle se livrent tous les ports de la sous-région Cemac, les armes à disposition de chaque pays sont ajustées à l’effet escompté.

« Nous voulons faire de Pointe-Noire la porte d’entrée de l’Afrique centrale », explique Dominique Lafont, qui mise à terme sur un trafic de 1,2 million de conteneurs par an. D’autant que les autres ports de la région ne présentent pas les mêmes avantages naturels. Douala est handicapé par son faible tirant d’eau, à cause de l’estuaire ensablé du Wouri ». Ainsi s’exprimait Séraphin Bhalat, un proche du Français Vincent Bolloré, devant la presse brazzavilloise en mai 2021. Les journalistes camerounais qui avaient rapporté ces mots (très clairement géopolitiques) estimaient alors qu’ils étaient le fait d’un individu exalté. Séraphin Bhalat les avait pourtant énoncés à plusieurs reprises et à d’autres occasions. « Sur le plan sous-régional Cemac, la modernisation en cours du terminal à conteneurs du Port de Pointe-Noire et la réhabilitation du CFCO sont des menaces potentielles pour le Port de Douala. En effet, ce chemin de fer pourrait assurer des liaisons avec les autres pays de la sous-région tels que la RCA, le Tchad, le Cameroun et la RDC. Face à ces corridors plus compétitifs que ceux de Douala, certaines multinationales pourraient quitter Douala pour cette destination à la recherche d’économies d’échelle plus significatives et des solutions plus compétitives.

Jeter le discrédit sur un autre port sur ses produits ou services avec l’intention de lui faire perdre sa réputation auprès de sa clientèle. C’est la démarche qui intègre non seulement des déclarations publiques des uns, mais également l’élaboration des contenus éditoriaux laudateurs. « Le port d’Owendo est le plus performant en zone Cemac en 2021 (Banque mondiale) », c’est le titre qui barre la Une de « Le Nouveau Gabon » du 28 juin 2022. « Le port d’Owendo est le port le plus performant de la zone Cemac (Cameroun, Congo, Gabon, Guinée Équatoriale, RCA, Tchad) en 2021 selon la deuxième édition de l’indice mondial de performance des ports à conteneurs (CPPI). Dans ce rapport publié depuis mai par la Banque mondiale et S&P Global Market Intelligence, le port gabonais obtient un score de 32,8 points, occupe la 21e place continentale et la 302e dans le monde sur 370 ports recensés et classés. Dans la Cemac, le port à conteneurs d’Owendo est suivi par le port de Douala (Cameroun) qui se positionne au 340e rang mondial avec 106,2 points. Il précède le port en eau profonde de Kribi au Cameroun (174.5 points et 355e mondial). Avec 320.3 points, le port de Pointe-Noire au Congo se classe au 362e rang mondial », vantait le journal Le Nouveau Gabon.
En visite à Douala à la mi-mars dernier, le ministre d’Etat, secrétaire général à la présidence de la République du Cameroun, Ferdinand Ngoh Ngoh s’était, pour sa part, fendu en une prose : « « Hier cette infrastructure (le port de Douala, NDLR) connaissait d’énormes difficultés, aujourd’hui des Camerounaises et des Camerounais ont pris en main sur ordre du chef de l’Etat la gestion complète de cette infrastructure et les résultats sont là et palpables »

Il n’est pas seul
En juillet 2019, lors de l’inauguration du Port de Bata, le vice-président de la Guinée Equatoriale, Teodoro Nguema Obiang, montrait comment le port de Bata renforcerait les revenus du pays, attirerait les investissements étrangers et créerait plus de 2 000 emplois directs, tout en favorisant la formation et le développement des compétences locales. « Cette signature démontre une fois de plus l’excellente position de la Guinée Equatoriale en matière d’infrastructures portuaires, ses niveaux de standardisation et son réseau routier enviable », avait lancé Teodoro Nguema Obiang. 


Jean Rene Meva a Amougou

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