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Transparence dans les industries extractives au Cameroun : une bombe dans une mine hantée

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Quelques membres de PWYP au sortir d'un conclave straté

Autour du rapport 2022 du Cameroun les esprits s’échauffent. Entre le Comité ITIE Cameroun et la société civile locale, si l’humeur n’est pas guerrière, elle est tendue.

Quelques membres de PWYP au sortir d’un conclave straté

Du 6 au 9 mai 2025, une délégation du Secrétariat International de l’ITIE va séjourner au Cameroun. Selon nos informations, Nassim Bennani (directeur régional ITIE pour l’Afrique francophone) et Ahmed Zouari (conseiller ITIE en charge des pays francophones) vont rencontrer les parties prenantes au processus ITIE au Cameroun, notamment les ministres des Finances, des Mines, la société civile, des cadres de la SNH (Société Nationale des Hydrocarbures) et de la SONAMINES (Société Nationale des Mines), le Comité ITIE Cameroun, l’équipe du secrétariat technique, les responsables du FMI (Fonds monétaire international) et de l’Union européenne en poste au Cameroun. Avec ce beau monde, précisent nos sources, la délégation du Secrétariat International de l’ITIE travaillera dans un triple objectif : renforcer l’engagement des parties prenantes, évaluer les progrès réalisés en matière de mesures correctives de la validation et des questions de transparence, et identifier les prochaines étapes pour améliorer la mise en œuvre de l’ITIE au Cameroun.


Au regard de ce programme, la délégation du Secrétariat International de l’ITIE a certainement la tête qui tourne. Et pourquoi ? Selon la Coalition Camerounaise Publish What You Pay (PWYP Cameroon, qui regroupe une vingtaine d’organisations de la société civile engagées pour la transparence et la redevabilité dans le secteur extractif), il y a trois manières de réfléchir à cette question. La première est difficile : pourquoi le Cameroun a-t-il publié son rapport 2022 avec un retard de trois mois? La deuxième est gênante : parce que vieilles de trois années, les données contenues dans ce rapport ne sont-elles pas erronées ? La troisième est très simple : cette situation ne limite-t-elle pas toute possibilité de suivi et d’analyse du rapport ITIE 2022 ? Toutes les trois sont alarmantes et mènent à une longue conclusion : « Malgré quelques lignes de satisfaction détectées dans le rapport 2022 du Cameroun, notamment l’augmentation significative des paiements du secteur extractif (en 2022, les entreprises extractives ont versé 1 416,22 milliards de FCFA à l’État, contre 776,09 milliards de FCFA en 2021, soit une hausse de 82,5%) ; la répartition détaillée des paiements par secteur (les hydrocarbures dominent largement les contributions, représentant 96,00% des paiements, suivis par le transport pétrolier 3,42% et les mines et carrières 0,58%) ; l’engagement renforcé des parties prenantes : (le processus ITIE a maintenu l’implication du gouvernement, des entreprises et de la société civile. Le gouvernement a adopté le décret ITIE du 31 janvier 2024 et mis en place huit textes d’application du Code minier. La société civile a adopté un code de conduite garantissant une participation plus structurée ; la transparence accrue des données (les données ITIE ont été mises en ligne sur la plateforme Open Data de l’Institut National de la Statistique (INS), incluant la contribution du secteur au PIB, aux exportations et à l’emploi) ; l’intégration progressive de la déclaration par projet ; la prise en compte des transferts infranationaux (certaines collectivités territoriales ont été incluses dans l’analyse des flux financiers ; la disponibilité en ligne du rapport (le rapport est accessible en version complète, renforçant l’accès à l’information) et la production du rapport ITIE 2022 sur la base de la norme 2023, il reste que, depuis plus de 20 ans de participation au processus ITIE, le Cameroun peine à produire les rapports de conciliation des volumes et des chiffres de façon régulière et dans les délais. Ce retard déplorable devenu chronique du fait de la procrastination qui anime le Comité ITIE, s’est renforcé dans le cadre de la préparation et de la publication du rapport ITIE 2022 ».

Tensions
Alors, les esprits s’échauffent. Entre le Comité ITIE et la société civile, si l’humeur n’est guerrière, elle est tendue. D’où la mise à l’écart totale des membres du collège de la société civile dans le groupe de travail ad hoc crée par Décision N°00000031/MINFI/CAB/du 20 janvier 2025, portant création et constatation de la composition du groupe ad hoc chargé de la lecture approfondie des versions provisoires et pré-finales des rapports ITIE des exercices 2022 et 2023. « Cette exclusion qui doit s’étendre sur les rapports des exercices 2022 (rapport produit) et 2023 (rapport attendu), pouvait se comprendre si les rapports provisoires devraient être mis à la disposition du Comité en considérant un délai raisonnable pouvant permettre au collège de la société civile d’examiner de son côté lesdits rapports pour y apporter singulièrement ses contributions », glisse une dame, membre de PWYP.

Cette dernière poursuit : « Malheureusement, entre la date de publication du rapport provisoire (7 mars 2025) et la date de sortie du rapport définitif (11 mars 2025, il n’y avait que deux jours. Cette démarche cavalière compromet significativement les possibilités de renforcement des capacités des acteurs alors même que l’inexistence d’un plan de travail (puisque jamais adopté) n’est pas favorable à la formation des membres du Comité et de son Secrétariat Permanent sur le processus d’élaboration et le contenu du rapport ITIE. En outre, la société civile s’indigne contre le fait que le compte rendu de la session du Comité du 7 mars 2025 qui lui était parvenu faisait état de ce qu’au cours de ladite session, ‘‘des contributions de la société civile en vue d’améliorer le contenu du Rapport de conciliation ITIE 2022 auraient été transmises séance tenante’’. Non seulement ces éventuelles contributions n’ont pas été partagées par les pairs, ce qui relève pourtant des bonnes pratiques à promouvoir, mais aussi, elles n’ont pas été discutées en session du Comité. Copie ayant été dite transférée au groupe ad hoc. Cette démarche caporaliste constitue une volonté affirmée d’isoler et de marginaliser la société civile, non sans vouloir la diviser en incitant ses membres à la suspicion ».

Griefs
D’après PWYP, le rapport 2022 du Cameroun contient plusieurs aberrations. « Ce document n’indique pas clairement comment les 1 119,58 milliards de FCFA captés au niveau du budget de l’État ont été redistribués ou investis dans les secteurs sociaux. De même, il n’indique aucune information sur les contrats entre communes minières et certaines entreprises à petite échelle pour la réalisation de projets sociaux. L’exigence de divulgation des contrats ne se rapportant pas seulement à la grande mine, le rapport ne fait aucune allusion aux cahiers de charges signés par les entreprises à petite échelle. Bien plus, le même rapport ne fournit pas suffisamment d’indicateurs sur la réduction des inégalités dans les zones d’exploitation. Il utilise un langage technique complexe, rendant difficile sa compréhension par les citoyens non-initiés, dans un contexte où l’absence d’une version citoyenne ou traduite du rapport se fait sentir. Dans ce document, l’on note à la fois une absence de données sur l’impact des projets extractifs (y compris dans la mine artisanale et à petite échelle et sur les compensations versées aux communautés locales), et une faible transparence sur les mesures prises suite aux rapports précédents. Alors que la Norme a renforcé ses exigences dans les domaines tels que le suivi et l’impact social et environnemental, l’exploitation minière artisanale et à petite échelle et les consultations des communautés, le rapport y compris ses annexes ne partage pas de données, ni sur les entreprises exerçant dans la mine à petite échelle, ni sur le respect des obligations environnementales et sociales dans le secteur de la mine artisanale et à petite qui pourtant est la cause des plaintes, d’accidents et de décès à ciel ouvert », tonne un membre de PWYP Cameroon.

Opacité
Tout à côté, un autre membre dégaine : « En ce qui concerne le processus de diffusion du rapport ITIE 2022, nous déplorons et dénonçons le fait que, depuis juin 2013, aucun rapport ITIE n’a fait l’objet d’une quelconque vulgarisation. Nous dénonçons également la faible prise en compte de la décentralisation et du secteur artisanal et à petite échelle dans l’exercice de conciliation des données et informations ». La suite s’insurge contre « la réduction du processus ITIE au Cameroun à la production et publication du rapport et la tenue de sessions du Comité ». « Nous considérons la production du rapport et sa présentation publique en un lieu élitiste comme une volonté manifeste d’’éloigner les communautés riveraines des informations susceptibles de mieux comprendre la gouvernance extractive, et ainsi envisager de questionner les administrations et les élus locaux sur les retombées au niveau local des exploitations extractives. Par ailleurs, certains instruments juridiques ayant pourtant un caractère public restent non divulgués, voire inaccessibles. Nous pouvons, pour illustrer ce constat citer : les arrêtés N°000284/A/MINMIDT/SG/DAJ/CRC du 30 octobre 2023 et N°000335/A/MINMIDT/SG/DM/SDCM du 11 décembre 2023 qui selon le rapport encadre l’obligation de réalisation de projets sociaux (éducation, santé, énergie, routes, eau potable), la signature d’un cahier de charges entre l’administration, les maires et les exploitants et la fermeture des sites non conformes, NDLR », peste notre interlocuteur.

Craintes
En rappelant l’actualité mettant en lumière un cas de corruption avérée dans le secteur pétrolier, relativement en matière d’octroi des contrats pétroliers et gaziers, d’autres cadres de PWYP Cameroon attirent l’attention des pouvoirs publics sur le risque de corruption, de non transparence dans l’octroi des titres et contrats extractifs. « Alors que ce scandale reste à éclaircir, la lecture et l’analyse des rapports ITIE de 2021 et 2022 du point de vue des procédures d’octroi et de transfert des titres miniers permet de mettre en lumière l’existence de plusieurs titres miniers octroyés sans respect du cadre juridique en vigueur. Une situation d’autant plus alarmante dans la mesure où, dans le cadre de ces deux conciliations, le Ministre des Mines et du Développement Technologique (MINMIDT) avait affirmé par le biais de la lettre N°000653/L/MINMIDT/SG/DM/SDCM/STM du 31 janvier 2025 que « les titres ont été octroyés conformément à la loi en vigueur », signale une dame. Selon celle-ci, « il y a lieu de s’interroger sur la pertinence du maintien de la clause de confidentialité dans le Code pétrolier de 2019 (Article 96 à 98), en contraction totale avec l’article 6 de la Loi N° 2018/011, 11 juillet 2018, portant Code de transparence et de bonne gouvernance dans la gestion des finances publiques au Cameroun ».

Jean-René Meva’a Amougou

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