François, premier pape jésuite et premier pape non-européen depuis le pape syrien Grégoire III au VIIIe siècle, s’est discrètement éteint le 21 avril 2025.

Elu à la tête de l’Église catholique, le 13 mars 2013, il avait choisi de vivre dans la résidence Sainte-Marthe non seulement parce qu’il aimait vivre dans la simplicité mais aussi parce qu’il voulait être en contact avec les gens, parler avec eux, comme il aimait deviser avec les gens des bidonvilles de Buenos Aires dont il fut l’archevêque, de 1992 à 2013. C’est un des traits qui le distinguaient de Pie XII qui vivait tout seul et communiquait peu ou de Benoît XVI qui n’aimait pas les foules. François voulait, lui, être aux côtés des plus vulnérables. D’où sa première visite en dehors de Rome aux immigrés de l’île de Lampedusa, le 8 juillet 2013. C’est pour défendre leur cause qu’il s’attaqua à « la mondialisation de l’indifférence et à l’anesthésie des consciences ». Jorge Bergoglio ne comprenait pas que certains pays occidentaux pourrissent la vie aux migrants. Il souhaitait que ces derniers soient traités avec plus d’humanité parce que « nous sommes tous des migrants » (discours prononcé le 16 avril 2016 sur l’île grecque de Lesbos).
François est certes né en Argentine mais son père, Mario José Bergoglio, est italien. Le père aurait quitté son Piémont natal en 1927 ou en 1929 pour s’installer en Argentine. C’est là qu’il rencontrera et épousera Regina Maria Sivori, la mère de François. Le couple eut 5 enfants (3 garçons et 2 filles). Jorge aimait ses 2 frères et 2 sœurs dont Maria Elena avec qui il échangeait souvent mais il voulait aussi être un frère pour tous les hommes, parce qu’il croyait que les hommes sont frères comme il l’a brillamment montré dans l’encyclique « Fratelli tutti » publiée le 3 octobre 2020. Parmi les nombreuses perles que contient cette encyclique on trouve cette réflexion: « Un moyen efficace de liquéfier la conscience historique, la pensée critique, la lutte pour la justice ainsi que les voies d’intégration consiste à vider de sens ou à instrumentaliser les mots importants. Que signifie aujourd’hui des termes comme démocratie, liberté, justice, unité ? Ils ont été dénaturés et déformés pour être utilisés comme des instruments de domination, comme des titres privés de contenu pouvant servir à justifier n’importe quelle action » (« Fratelli tutti », n.14). François pouvait écrire ce genre de choses parce qu’il était un pape du Sud global contrairement à Benoît XVI et Jean-Paul II qui venaient respectivement de l’Allemagne et de la Pologne.
Jean-Paul II était un globe-trotter. Il avait visité plusieurs fois certains pays. C’est le cas de la Côte d’Ivoire politique et catholique qui l’accueillit à trois reprises. Si Bergoglio ne put voyager autant que Wojtyla, ce n’est pas uniquement à cause de son âge mais parce qu’il aimait être avec les sans-pouvoir et laissés-pour-compte plutôt qu’avec les puissants. Ainsi, il décida d’aller en Corse en décembre 2024 et non à Paris pour la réouverture de la cathédrale Notre-Dame de Paris. C’est dans le même esprit qu’il se rendit à Cuba 9 ans plus tôt. Touché par le geste de François, Raoul Castro avait dit: » Si le pape continue ainsi, je retourne à l’Église. »
Une Église qui, aux yeux de François, devait aller vers les périphéries, ne plus se centrer sur l’Europe.
Comme Benoît XVI, François n’avait pas sa langue dans la poche mais il est le premier pape à avoir critiqué sévèrement la Curie romaine et le cléricalisme défini par lui comme « une véritable perversion dans l’Église parce qu’il condamne, sépare, frustre, méprise le peuple de Dieu ». Il ajoute : « Une dimension de ce phénomène est une fixation exclusive sur le sixième commandement (l’interdiction de l’adultère). Nous nous concentrons sur le sexe et nous ne donnons pas de poids à l’injustice sociale, à la calomnie, aux commérages, aux mensonges » (cf. sa rencontre avec les jésuites du Mozambique, le 5 septembre 2019).
Le cléricalisme ne fut pas sa seule cible. Le dérangeait aussi un certain train de vie dans l’Église, ce qui le poussa à dire: « Je voudrais une Église pauvre pour les pauvres… Saint Pierre n’avait pas de compte en banque. » Le dépouillement et la simplicité n’étaient jamais feints chez lui. Et ce n’est pas par hasard qu’il choisit de se faire appeler François. Il avait adopté ce prénom en souvenir de François d’Assise, le poverollo italien qui marqua l’histoire de l’Église en rappelant celle-ci à ses devoirs envers les pauvres. Le but était aussi de « montrer qu’il ne se rattache pas aux courants de l’Église marqués par la force, le machiavélisme classique, l’infaillibilité et le pouvoir absolu » (cf. René Nouailhat et Jacques Bénézit, « Le pape François et les défis du 21e siècle », juillet 2016).
François eut à se prononcer sur les questions qui travaillent notre monde. Ainsi, la crise financière était perçue par lui d’abord comme une crise anthropologique: « Quand, au centre de l’économie mondiale, il règne le dieu argent et non la personne, l’homme et la femme, c’est déjà le premier terrorisme. »
Le 31 janvier 2023, à Kinshasa, il dénonça le colonialisme économique, invitant l’Occident à cesser d’étouffer l’Afrique qui, selon lui, « n’est pas une mine à exploiter ni une terre à dévaliser ».
En entendant ces paroles de feu mais justes, j’avais le sentiment d’entendre les théologiens de la libération dont les grandes figures avaient été désavouées ou condamnées par ses prédécesseurs. François fut bien inspiré de réhabiliter certains théologiens de la libération comme le Péruvien Gustavo Gutiérrez, reçu au Vatican en septembre 2013 ou l’évêque salvadorien Oscar Romero qu’il beatifia en mai 2015. François se permit même d’inviter à Rome Mgr Jacques Gaillot, ancien évêque d’Évreux, en septembre 2015 pour lui dire combien il appréciait son apostolat auprès des exclus, marginalisés et sans-papiers. Gaillot avait été démis de ses fonctions en 1995. Pourtant, il posait déjà, dans les années 1985-1990, la question de l’incarnation de l’évangile, avait compris que l’Église devait sortir de sa tour d’ivoire pour rencontrer ceux qui se sentent oubliés ou écartés. Oui, Gaillot était déjà l’évêque des périphéries. Lui et François avaient en commun cette sensibilité à ceux que la société a rejetés. Les deux partageaient également l’idée que l’Église ne devait jamais cesser d’être prophétique, c’est-à-dire de secouer les consciences endormies et de déranger l’ordre établi. Je me souviens encore de ces mots prononcés par François, le 8 juin 2014, devant la foule rassemblée sur la place Saint-Pierre: « Certains à Jérusalem auraient préféré que les disciples de Jésus restent chez eux, bloqués par la peur pour ne pas créer la pagaille. L’Église de la Pentecôte est une Église qui ne se résigne pas à être inoffensive, simple élément décoratif. Elle n’hésite pas à sortir pour annoncer un message qui lui a été confié, même si ce message perturbe, inquiète. » Pour moi, ces paroles fortes sont sans équivalent. Jamais pape n’avait été aussi loin que le pape argentin dans l’incarnation du prophétisme.
François n’était pas irréprochable pour autant. Certains le trouvaient autoritaire et un peu laxiste sur certaines questions. Sa position sur les homosexuels fit polémique tout comme son attitude pendant la dictature militaire en Argentine (1976-1983). Le 11 janvier 2024, le cardinal Fridolin Ambongo, au nom des évêques d’Afrique et Madagascar, eut le courage de lui dire que les bénédictions des couples homosexuels proposées par « Fiducia supplicans » ne pourraient pas se faire en Afrique. L’archevêque de Kinshasa estimait que le document, en plus de créer la confusion, était en contradiction avec la culture africaine.
En 12 ans, François a abattu un énorme travail, bousculé les habitudes, redonné espoir et confiance aux laissés-pour-compte. Son successeur ira-t-il dans son sens ou bien prendra-t-il un autre chemin?
Jean-Claude Djéréké