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Dr Blaise Simo : « Il est temps de mettre fin au règne de l’illusion »

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Selon l’expert financier camerounais, au-delà de la propagande politique, le risque de surendettement plane en zone Cemac.

Selon une analyse financière de Harvest Asset Management, une société de bourse agréée au sein de la Cemac, à fin janvier 2025, l’encours global de la dette des six pays de cette zone sur le marché des valeurs du trésor a atteint 7.492,1 milliards FCFA. Comment en est-on arrivé là ?
Il y a eu conjonction de plusieurs facteurs. Mais, un seul permet de comprendre l’action des autres. Il s’agit des effets néfastes du choc pétrolier de 2014. Cette situation a révélé les vulnérabilités des économies de la Cemac à la conjoncture internationale. Pour y faire face, des réformes ont été engagées. Malgré eux, plusieurs pays ont signé des programmes économiques, appuyés par la facilité élargie de crédit, avec le Fonds Monétaire International (FMI). L’objectif était d’assainir la situation des finances publiques et de créer les conditions de reprise d’une croissance soutenue et durable. Il convient de relever que jusqu’en 2014, les pays de la Cemac, à l’exception du Congo, avaient des taux d’endettement inférieurs à 70%. Le plus faible taux d’endettement de la zone (18% du PIB) a même été atteint en 2010. 


Cependant, à partir de 2015, la vitesse d’accumulation de la dette publique s’est accélérée, rendant légitime la nécessité de s’interroger à nouveau sur la pertinence du plafond de 70% actuellement en vigueur. En effet, le plafond de 70% avait déjà été questionné par des économistes et la Commission de la Cemac elle-même. A cet effet, à la demande de la Commission de la Cemac en 2015, la Fondation pour les Études et la Recherche sur le Développement International (FERDI), en examinant la viabilité budgétaire et le renforcement du nouveau dispositif de surveillance multilatérale de la Cemac, avait relevé l’aspect non contraignant du plafond d’endettement de 70%, corroborant ainsi les analyses du FMI.


Cependant, l’étude s’est basée sur trois objectifs spécifiques 3 relatifs à la surveillance multilatérale pour conserver ce plafond de 70% (identique à celui en vigueur dans l’UEMOA suite à la réforme du dispositif de surveillance multilatérale) et réguler la vitesse d’accumulation de la dette pour rendre ce plafond contraignant sur le long terme. Parallèlement, en 2023, les dépenses publiques ont augmenté dans la plupart des pays de la Cemac, réduisant l’espace budgétaire et apportant des défis en termes de maitrise de la dette publique. Les dépenses totales dans la Cemac ont donc augmenté pour atteindre une moyenne de 20,1% du PIB en 2023 contre 18,3% en 2022, et l’excédent budgétaire a diminué à 1,1 % du PIB contre 2,9% pendant cette période. 


Les pressions budgétaires sont restées particulièrement fortes en République centrafricaine (RCA) où le déficit budgétaire était de 3,5 % du PIB. La dette publique moyenne dans la région a augmenté pour atteindre 52,8 % du PIB en 2023, contre 51,5 %t en 2022. La République du Congo est le pays où les pressions pour réduire le ratio dette/ PIB sont les plus fortes ; ce ratio aurait atteint 96,0% en 2023. Le ratio dette/PIB du Gabon (70,5%) était juste au-dessus du critère de convergence de la dette de la Cemac qui est de 70% du PIB. La croissance négative en Guinée équatoriale et la moindre croissance au Gabon constituent un facteur important expliquant la faible croissance observée au niveau régional.


Après avoir connu deux années de reprise, l’économie équato-guinéenne est retombée en récession avec un taux de croissance du PIB réel estimé à -5,8% en 2023 (contre 3,8 pour cent en 2022), principalement à cause d’une baisse de la production d’hydrocarbures et de la demande intérieure.


Le Gabon a connu un ralentissement du taux de croissance du PIB qui est passé de 3% en 2022 à 2,3 % en 2023, à cause d’une baisse de la production de bois et de manganèse, dans un contexte de coûts élevés du carburant et de perturbations de la circulation ferroviaire causées par des glissements de terrain.


À l’inverse, le Cameroun, qui présente un niveau de diversification économique relativement plus élevé et une plus faible dépendance aux hydrocarbures, est l’économie dont la croissance a été la plus rapide de la région Cemac au cours des trois dernières années, la croissance moyenne de son PIB se situant à 3,4 pour cent sur la période 2021-2023 (3,3 % de croissance en 2023).


Le Congo présente les taux d’endettement les plus élevés. En effet, le stock de sa dette a d’ailleurs surplombé le niveau de 500% du PIB dans les années 1990. Toutefois, avec les programmes d’ajustement structurel, son niveau a progressivement diminué jusqu’à son plus bas niveau de 22,9% en 2010, suite à l’atteinte du point d’achèvement dans le cadre de l’initiative PPTE lancée en 1996. Depuis lors, le pays s’est lancé dans une nouvelle course à l’endettement, son stock de la dette ces dernières années demeure largement supérieur au critère communautaire de 70%

Pour pouvoir réaliser leurs aspirations respectives en matière de développement – qui exigent d’importants investissements dans les routes et l’énergie, les services publics et les domaines sociaux – tout en garantissant la viabilité budgétaire et de la dette, que doivent faires les Etats de la Cemac ?
Il y a lieu de préciser que les autres pays enregistrent des niveaux d’endettement inférieurs au seuil communautaire ces dernières années. Cependant, la vitesse d’accroissement du stock de la dette dans l’ensemble est inquiétante surtout dans un contexte de crise que connait la Cemac, cette dynamique d’accroissement peut conduire au surendettement si elle n’est pas contrôlée. Cette situation est d’autant plus préoccupante que la dette publique extérieure occupe une part importante dans la dette publique totale des pays de la Cemac.
Ils pourraient adopter des réformes visant à augmenter les recettes publiques et à améliorer l’efficacité, la gouvernance et le ciblage des dépenses publiques. Les mesures visant à renforcer la gestion de la dette et à rationaliser les dépenses consacrées aux subventions aux carburants et aux exonérations fiscales, en les redirigeant vers des investissements dans les infrastructures, le capital humain et des programmes ciblés de protection sociale, restent importantes. Il est temps de mettre fin au règne de l’illusion et de remettre en valeur les ressorts économiques fondamentaux sans lesquels il ne peut y avoir de vraie croissance


En conséquence, pour rendre plus contraignant le critère d’endettement dans le cadre de surveillance multilatéral, tout en évitant les effets néfastes de la dette sur la croissance économique dans la Cemac, il serait souhaitable de renforcer la coordination des politiques économiques dans la zone en plafonnant le taux d’endettement à 62,7% du PIB. Par ailleurs, ce critère pourrait être compléter en limitant également l’encours de la dette publique extérieure à 41% du PIB. En complément à ces recommandations, les investissements publics doivent être orientés vers des projets productifs. Il convient de relever que cet aspect ne prend pas en compte certaines variables institutionnelles, notamment de gouvernance, dont la dégradation pourrait réduire l’efficacité de la dette publique, impactant ainsi le taux d’endettement optimal. Cette extension est susceptible de fournir des variables sur lesquelles il est possible d’agir directement pour renforcer l’efficacité de la dette publique dans la Cemac.


Propos recueillis par
Jean-René Meva’a Amougou

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