C’est clair : les pays de la Cemac sont désormais pris dans l’engrenage ; Quelles en sont les causes et les conséquences ?

« Il y a urgence à dégonfler la dette des pays de la Cemac ». A la fin de l’exposé sur le thème : « Réflexions sur les mécanismes de restructuration de la dette souveraine dans la Cemac », un participant donne l’impression que le colloque s’emballe. Le fait est qu’une bnne partie de l’auditoire est d’accord avec l’intervenant. Selon celui-ci, « le cercle vicieux est bien connu : les pays de la Cemac, contrairement aux pays avancés dont le marché obligataire dans leur propre devise est très développé, les pays de la sous-région sont soumis à des taux d’intérêt prohibitifs, et souvent ne peuvent emprunter auprès des investisseurs internationaux que dans leur propre devise. Alors, ils se retrouvent contraints de travailler toujours plus pour rembourser leurs emprunts aux pays riches ».
Créanciers véreux
En expliquant, l’économiste Géneviève Mbang soutient que « le marché de la dette des pays de la Cemac est libellée en dollar ou en euro). Cela accroît leur vulnérabilité aux changements de politique monétaire de quelques banques centrales d’importance systémique, et de ce fait au cercle vicieux de la dette qui les pousse vers le surendettement ». « Plus schématiquement, renchérit Dr Samuel Ndjom (macro-économiste), les Etats de la Cemac remboursent leurs dettes et financent leurs déficits en contractant de nouveaux emprunts». Et alors, pour continuer ainsi, il faut que leurs créanciers ne doutent pas de leur capacité à emprunter suffisamment pour pouvoir toujours rembourser leurs dettes anciennes, notamment le principal, et financer son déficit. S’ils en doutent, ils pensent prendre un risque en continuant à souscrire à leurs emprunts et ajoutent une « prime de risque » importante au taux d’intérêt qu’ils exigent pour continuer à y souscrire. « Cette hausse des taux d’intérêt ne peut qu’aggraver le déficit et la dette », esquisse Géneviève Mbang. « C’est pour cette raison qu’en fin janvier 2025, l’encours global de la dette des six pays de cette zone sur le marché des valeurs du trésor a atteint 7.492,1 milliards FCFA », appuie l’universitaire. Dit autrement, l’augmentation des dépenses d’intérêt sur la dette publique et les échéances plus courtes des nouvelles dettes ont exposé les pays de la Cemac à des risques plus élevés de refinancement. « L’augmentation des charges d’intérêt en proportion des recettes pour de nombreux pays compromet leur capacité à assurer le service de la dette arrivant à échéance. La baisse des liquidités disponibles pour de nombreux pays constitue une vulnérabilité majeure aux perspectives de la dette en Afrique. Les fardeaux des intérêts augmentent rapidement et les recettes publiques diminuent. Pour certains pays, le fardeau des intérêts a doublé au cours des cinq dernières années », fait constater Dr Samuel Ndjom.
Recours accru au financement extérieur non concessionnel
A ce stade, l’analyse de la décomposition de la dette montre que les leviers de la dynamique de la dette ont été la dépréciation des taux de change, l’augmentation des charges d’intérêt et le niveau élevé des déficits primaires. « Le recours accru au financement extérieur non concessionnel sur le marché expose les pays à des risques plus élevés en matière de taux de change et de refinancement La composition évolutive de la dette de la Cemac vers une dette extérieure non concessionnelle et financée par le marché (principalement libellée en devises étrangères, dollar américain et euro) implique que les pays sont de plus en plus exposés à des risques de taux d’intérêt réels plus élevés et, plus important encore, à des risques de dépréciation des taux de change. La dépréciation de la devise locale entraîne une réévaluation à la hausse de la dette d’un pays et rend également le service de la dette en devise étrangère plus coûteux. Cette exposition à la non-concordance des devises explique une part importante de la dynamique de détérioration de la dette montrée par la décomposition », démontre Dr Samuel Ndjom.
Gabegie et dette cachée
Mais, il y a autre chose : Les problèmes de gouvernance, les grands programmes d’investissement public et les dépenses liées à la défense sont d’autres facteurs d’accumulation de la dette Dans certains pays, la mauvaise gouvernance et la faiblesse des capacités institutionnelles sont aussi responsables de la récente augmentation de la dette en zone Cemac. Certains pays avaient aussi une « dette cachée », à savoir des obligations absentes des comptes publics. « Au Cameroun et au Tchad par exemple, la découverte de « dettes cachées » a engendré une augmentation soudaine du fardeau de la dette », affirme Dr Blaise Simo, expert financier camerounais. Selon lui, « les problèmes de gouvernance économique, la corruption et la mauvaise gestion ont été identifiés comme à l’origine des épisodes de surendettement récemment enregistrés en République du Congo». « De plus, poursuit-il, la mauvaise gestion des entreprises publiques a contribué à la récente accumulation de la dette. De fait, des pays de la Cemac ont enregistré au cours des cinq dernières années une détérioration de leur note selon l’évaluation de la politique et des institutions nationales de la Banque mondiale sur la gestion et la politique de la dette, alors que seuls quelques-uns se sont améliorés ».
A la faveur de l’exposé sur le thème : « Etat des lieux de la dette souveraine dans la Cemac » le 10 avril 2025, il est également apparu que des investissements publics importants et ambitieux, quoique nécessaires, ont largement contribué à l’augmentation récente de la dette des pays de la Cemac. « Bien que les soldes budgétaires se soient détériorés dans la plupart des pays de la sous-région, il s’agissait principalement d’emprunts destinés à accroître les investissements. Pour la plupart des pays, la part des investissements publics en capital dans le total des dépenses a augmenté plus rapidement que la part des dépenses courantes ».
Délais et transparence
Les échéances plus courtes de la dette ont créé une concentration de remboursements de prêts extérieurs arrivant à échéance dans les cinq prochaines années L’augmentation des emprunts auprès des créanciers commerciaux et non membres du Club de Paris s’est traduite par des échéances plus courtes et des risques de refinancement plus élevés. Les créanciers non membres du Club de Paris ayant des conditions de prêt moins transparentes compliquent les problèmes de gestion de la dette Le nombre de créanciers non membres du Club de Paris dans le paysage des créanciers africains a augmenté, le plus important étant de loin la Chine (voir figure 2.23). Une grande partie de ces prêts ne sont pas transparents sur les conditions de prêt et les garanties. La plupart des pays actuellement en situation de surendettement ou jugés à haut risque de surendettement sont fortement exposés aux prêts chinois, République du Congo (45 %), Cameroun (32 %) et aux prêts garantis sur le pétrole accordé par les négociants de matières premières. Ainsi, toute restructuration ou résolution significative de la dette des pays de la Cemac nécessiterait de négocier avec les prêteurs officiels du Club de Paris et d’autres pays, tels que la Chine.
Ongoung Zong Bella
Le débat
Pourquoi la dette occupe-t-elle une telle place dans les débats économiques en zone Cemac? Comment s’est-elle imposée comme la contrainte suprême qui justifie toutes les politiques d’austérité budgétaire et qui place les États sous surveillance des bailleurs de fonds et des agences de notation ? Lors du Colloque financier international dédié à la dette souveraine en zone Cemac tenu du 10 au 11 avril 2025 à Yaoundé, plusieurs experts ont fait des choix d’en parler sans faux-semblants. En essayant de répondre aux questions que chacun se pose sur la pertinence des arguments économiques exposés depuis la naissance du débat sur le surendettement des pays de la Cemac a pris corps, ces experts-là pensent à l’unisson que l’endettement des États de la sous-région ne sert qu’à transférer la richesse aux prêteurs et aux financiers au détriment de l’économie réelle. Dès lors, des mesures beaucoup plus fermes doivent être prises pour que les États de la Cemac reprennent le contrôle de la dette : séparer les activités de marché des banques et les activités de dépôt, exiger que leurs actionnaires les recapitalisent à hauteur suffisante, contrôler les mouvements de capitaux. C’est à ce prix que la Cemac sortira du marasme économique dans lequel elle est plongée.
Les participants ont alors présenté l’état actuel de la dette des pays de la Cemac ; ils ont exploré les principaux défis qui entravent la viabilité de celle-ci ont également été explorés ; ils ont braqué les projecteurs sur les enjeux, sur les logiques à l’œuvre, sur les indispensables clés de compréhension du réel sans lesquelles il est illusoire de penser pouvoir prendre la mesure de la catastrophe et en empêcher d’autres. Zoom sur le conclave d’évaluation et de l’appel au sursaut.