Chronique d’un putsch dans un putsch

On n’en parle jamais. On n’en parle pas d’ailleurs parce que tous ceux qui s’aventurent sur cet aspect du conflit sont rapidement catalogués d’islamophobes par leurs frères du Grand-Nord. Et pourtant, c’est bien un sujet qui mérite toute l’attention du citoyen camerounais avide de connaissances. Le coup de force militaire qui intervient le 6 avril 1984 contre Paul Biya n’est rien d’autre que l’expression du mécontentement politique d’une caste de privilégiés, des islamo-peuls et de leurs assimilés, ex-affidés d’Ahmadou Ahidjo l’ancien président de la République. Cette manifestation pour « rétablir la république exemplaire » s’est payé au prix du sang de plusieurs fils du Nord, les non musulmans, quelques fois victimes collatérales de cette guerre fratricide.
Ahidjo en pyromane
Au plus fort de la mutinerie de 1984, alors qu’on s’attendait à un appui de réconfort même lointain de sa part, Ahidjo déclara malencontreusement sur les ondes d’une radio étrangère : « si ce sont les miens, ils auront le dessus ». N’eut été la mise au point immédiate de Paul Biya, au soir du 7 avril 1984, en plein feu de l’action, au moment même où on le croyait captif ou mort, cette déclaration incendiaire de l’ancien président aurait ouvert inéluctablement une interminable guerre entre le Nord et le Sud. Pour parler vrai, elle a néanmoins servi de prétexte à quelques dérapages regrettables enregistrés dans le pays. Le vent qui souffla sur la capitale camerounaise au lendemain de ce coup d’Etat manqué a malheureusement créé la désolation au sein de la communauté nordiste, emportant tous ceux qui se trouvaient à « certains mauvais endroits en ce mauvais temps ».
Lorsqu’on rappelle cet évènement, des langues se délient aujourd’hui pour accuser la généralisation dans l’accusation des fils nordistes présents à Yaoundé aux moments des faits. A Maroua, au quartier Palar, Talba, ex-supplétif de l’armée camerounaise affecté à la Garde Républicaine, âgé aujourd’hui de 76 ans, ressasse encore les jours difficiles qui ont précédé cet incident. « Je n’étais pas à mon poste ce jour. J’étais avec des frères du village dans un cabaret de bil-bil près du quartier Mokolo ce vendredi-là. C’est vrai que beaucoup d’entre nous, des non musulmans du Nord, avons pris part à cette entreprise sans rien comprendre des réels enjeux de son déclenchement. Et après, au moment du « dératisage », tout le monde était mis dans la même nasse.
Victimes collatérales du conflit
Le silence des non musulmans dans cette guerre était bien perceptible. Ce silence était perçu par l’homme du Sud comme un silence complice. Dans la conscience de la majorité des camerounais du Sud, les Nordistes sont presque tous des Haoussa musulmans. Ce 6 avril 1984, le Nordiste non musulman de l’armée, frustré par son éternel statut d’homme de troupe se verra propulser au-devant de la scène, combattant en première ligne contre son gré. « En réalité, ce n’était pas notre affaire. C’était essentiellement une affaire des proches alliés d’Ahidjo. Ceux-là qui souhaitaient revenir aux devants de la scène après leur mise-à-l’écart par les nouveaux maitres du pays. C’était une revendication stupide. Nous avons été embarqués dans cette entreprise sans toutefois que notre consentement soit donné. A cette époque, nous les non musulmans, nos propres frères du Grand-Nord ne nous considéraient même pas comme leurs semblables. Et d’ailleurs, moi, fils animiste des montagnes ayant refusé de s’islamiser, j’étais à la marge de la société nordiste. Les miens étaient tenus à bonne distance de la gestion des affaires de l’Etat dans le Nord. Quelques militaires et moi avons fui pour nous tirer d’affaires. Au moment de ce périple, nous avons parcouru à pied, les 836 kilomètres qui séparent Yaoundé de Ngaoundéré. Nous avons marché pendant 7 jours. Nous n’avions pas d’autres choix. C’était ça ou mourir. Nous sommes partis de nuit à travers la forêt, déguisés en chasseurs. C’était pénible. Partis de Yaoundé le mercredi 11 avril 1984 à 3h du matin, nous sommes arrivés à Ngaoundéré le mercredi 18 avril 1984 très tard dans la nuit, les pieds bien enflés. Nous cherchions à avoir les nouvelles de nos familles laissées sur place » renchérit le septuagénaire.
TOM.