Sur l’horizon encore brumeux de l’économie mondiale, l’Afrique avance lentement mais sûrement vers un rendez-vous avec son histoire. En 2026, l’Institut Monétaire Africain, l’IMA, doit devenir pleinement opérationnel. Derrière cet acronyme austère se cache une ambition immense : celle d’un continent qui veut enfin tenir sa monnaie à deux mains, sans tuteurs, sans cordes invisibles.

et Yvon Sana Bangui pendant le point de presse
Depuis plus de vingt ans, l’Union africaine porte ce projet comme une braise fragile, entretenue à travers des sommets, des rapports et des débats feutrés. L’IMA n’est pas une simple structure technocratique. Il est la promesse d’un futur où l’Afrique ne subira plus les humeurs des grandes devises comme une météo imprévisible. Il doit préparer la naissance de la Banque Centrale Africaine, ce cœur monétaire encore à l’état de battement discret. Harmoniser les systèmes de paiement, coordonner les politiques de change, fixer des règles communes : le chantier est vaste, presque vertigineux.
Au sein de l’Association des banques centrales africaines (ABCA), on parle chiffres, normes et calendriers, mais derrière les tableaux Excel se cache une autre musique, plus intime : celle de la souveraineté retrouvée. Car maîtriser sa monnaie, c’est aussi reprendre le fil de son récit économique. C’est décider quand serrer la vis, quand relâcher la pression, quand protéger et quand ouvrir. La route reste semée d’embûches. Cinquante-cinq économies, autant de rythmes, de fragilités et d’ambitions parfois contradictoires. Les écarts de développement, les faiblesses des infrastructures financières et les vieilles dépendances aux devises étrangères forment un paysage contrasté.
Pour le professeur Malla Dieng, économiste sénégalais, l’enjeu dépasse largement la technique. « L’IMA est un signal fort envoyé au monde : l’Afrique ne veut plus seulement s’adapter, elle veut décider. Une monnaie n’est jamais neutre, elle est toujours l’ombre portée d’un projet politique. » Selon lui, la crédibilité future de l’institution se construira moins dans les discours que dans la rigueur des premières décisions.
Levier économique
Sur le plan économique, l’espérance est réelle. Une monnaie africaine unifiée pourrait alléger le poids des transactions, fluidifier les échanges entre pays voisins et rapprocher enfin les marchés que des barrières monétaires invisibles maintiennent encore éloignés. Pour Amina Diallo, analyste financière nigérienne, « l’IMA peut devenir un accélérateur de développement, à condition que la confiance suive. Les investisseurs regardent moins les slogans que la stabilité, la transparence et la capacité des États à respecter leurs engagements ». Elle avertit que l’intégration monétaire ne sera crédible que si l’intégration économique progresse au même rythme.
Instrument géopolitique
Mais l’IMA porte aussi une charge géopolitique silencieuse. En filigrane, il redessine les rapports de force avec les grandes puissances monétaires. Sans fracas, sans slogans, l’Afrique affirme qu’elle ne veut plus seulement s’adapter aux règles du jeu, mais participer à leur écriture.
Un ancien banquier central d’Afrique de l’Ouest confie : « Le plus difficile ne sera pas de créer l’institution, mais de lui donner une âme indépendante. La vraie question est de savoir si les États africains sauront parler d’une seule voix quand les choix deviendront douloureux. »
Dans les couloirs des réunions techniques, on discute taux et réserves. Mais dans les silences entre deux chiffres, on sent battre une autre question, plus profonde : le continent est-il prêt à porter seul le poids de sa propre monnaie ? L’IMA avance ainsi comme un funambule, entre audace et prudence. Trop lent, il décevrait les impatients. Trop rapide, il inquiéterait les marchés. Chaque pas est pesé, chaque échéance discutée, chaque mot négocié.
Si 2026 tient sa promesse, l’Afrique n’aura pas seulement inauguré une nouvelle institution. Elle aura posé un acte de foi en elle-même. Elle aura choisi de faire battre son cœur monétaire à son propre rythme, avec ses forces, ses hésitations et ses rêves. Et dans cette respiration nouvelle, quelque chose s’élève doucement : non pas le bruit d’une rupture, mais la mélodie patiente d’une souveraineté qui s’invente.
Pour le professeur ghanéen Koffi Tano, spécialiste des finances internationales, « la réussite de l’IMA dépendra surtout de la discipline collective. Une monnaie partagée exige des renoncements, des concessions, parfois des sacrifices. Mais elle offre aussi un langage commun, une confiance mutuelle et une projection dans le long terme ». Dans ses mots, on devine autant l’espoir que la vigilance. Car l’histoire monétaire regorge de promesses non tenues. L’Afrique, cette fois, veut transformer l’essai, et faire de…
Et si le pari est risqué, il n’e est pas moins nécessaire, car les continents qui n’osent pas réinventer leur monnaie finissent toujours par emprunter celle des autres, au prix du silence. Encore un pas.
Jean -René Meva’a Amougou
Ils ont dit …

Priscilla Muthora Thakoor, Gouverneure de Bank of Mauritius
« L’Afrique se dote d’un outil pensé par elle-même »
L’Institut monétaire africain ouvre une fenêtre historique pour l’unification économique du continent. Pour la première fois, l’Afrique se dote d’un outil pensé par elle-même pour structurer ses politiques monétaires, réduire les coûts de transaction et fluidifier les échanges entre ses marchés. L’opportunité majeure réside dans l’accélération du commerce intra-africain, aujourd’hui freiné par la fragmentation monétaire. L’IMA peut aussi renforcer la crédibilité financière du continent face aux investisseurs internationaux, en créant un cadre plus lisible et plus prévisible. C’est également un levier puissant pour financer les grands projets d’infrastructures et soutenir l’industrialisation. Si la gouvernance est rigoureuse, l’IMA pourrait devenir le socle d’un marché financier africain intégré, capable de transformer la croissance démographique en véritable dividende économique durable.

Yann Marin, secrétaire général de Network for Greening the Financial System, Directeur adjoint de la stabilité financière à la Banque de France
« Renforcer la crédibilité financière du continent »
L’Institut monétaire africain ouvre une fenêtre historique pour l’unification économique du continent. Pour la première fois, l’Afrique se dote d’un outil pensé par elle-même pour structurer ses politiques monétaires, réduire les coûts de transaction et fluidifier les échanges entre ses marchés. L’opportunité majeure réside dans l’accélération du commerce intra-africain, aujourd’hui freiné par la fragmentation monétaire. L’IMA peut aussi renforcer la crédibilité financière du continent face aux investisseurs internationaux, en créant un cadre plus lisible et plus prévisible. C’est également un levier puissant pour financer les grands projets d’infrastructures et soutenir l’industrialisation. Si la gouvernance est rigoureuse, l’IMA pourrait devenir le socle d’un marché financier africain intégré, capable de transformer la croissance démographique en véritable dividende économique durable.

Yvon Sana Bangui, Gouverneur de la Beac
« Stimuler l’intégration régionale »
L’Institut monétaire africain est une opportunité de rééquilibrage du rapport de force économique mondial. En se dotant d’un organe monétaire continental, l’Afrique se donne les moyens de mieux défendre ses intérêts dans les négociations financières internationales. L’IMA peut renforcer l’autonomie stratégique du continent, réduire sa dépendance aux grandes devises et sécuriser ses échanges commerciaux. Il peut aussi stimuler l’intégration régionale en donnant une cohérence nouvelle aux politiques économiques nationales. L’opportunité la plus décisive reste celle de la souveraineté : une Afrique capable de piloter sa monnaie peut mieux protéger ses populations contre l’inflation importée, financer ses priorités de développement et parler d’une voix plus forte sur la scène mondiale.




