Entre émotion spontanée et stratégie d’image, son équipe revendique « une communication par l’image vraie ».

Ce 9 octobre 2025, la nuit tombe doucement sur le marché aux bœufs de Maroua. La poussière rouge, soulevée par des milliers de pas, flotte comme un voile doré, piquant les yeux et chatouillant les narines. L’odeur de foin, de bétail, de charbon et de fumée de grillades se mêle aux épices des vendeurs ambulants, tandis que quelqu’un, quelque part, hurle : « Attention au bœuf ! » La foule rit, recule, avance, comme une vague qui hésite avant de se briser. Elle attend. Longtemps. Chaque minute devient un petit suspense digne d’une série télévisée : « Va-t-il enfin apparaître ? » Chaque cri, chaque chant transforme l’arrivée du candidat en moment mythique.
Quand il arrive, Issa Tchiroma Bakary, coincé dans sa voiture, devient l’objet d’une ferveur incontrôlable. Les mains frappent sur la carrosserie, sur les capots, parfois même sur des bouteilles vides qui résonnent comme des trompettes improvisées. Les tambours surgissent de ruelles inattendues, les klaxons des motos et les bêlements des bœufs créent une symphonie un peu chaotique, mais diablement efficace. Les jeunes frappent sur des bidons, des caisses, et un voisin essaie même de taper sur un seau de poubelle en rythme, à contretemps, ce qui fait éclater de rire toute la foule.
Les femmes, foulards et pagnes virevoltants, tournent sur elles-mêmes avec des rires qui se mêlent aux chants et aux slogans pour Tchiroma. Les enfants, curieux et téméraires, passent entre les jambes des adultes, parfois effleurant les pneus, parfois se retrouvant nez à nez avec un bœuf confus. Les téléphones portables s’élèvent comme une pluie de lucioles numériques, capturant chaque éclat de lumière et chaque silhouette dansante. Chaque photo, chaque vidéo devient un fragment tangible de ferveur, preuve que le candidat incarne une énergie populaire réelle… et que personne ne s’ennuie ici.
La mobilisation médiatique est impressionnante. Des équipes locales et internationales se faufilent entre les jambes, les caméras et micros en alerte. Des correspondants étrangers, visiblement un peu perdus mais charmés, tentent de comprendre qui hurle quoi, tandis qu’un journaliste local crie : « Reculez, vous êtes sur ma ligne ! » L’image circule aussitôt, transformant un marché poussiéreux en scène quasi mondiale.
Arrivée du « bon diable »
Derrière les vitres teintées de sa voiture, le candidat sourit, conscient que chaque seconde passée à contenir son impatience renforce son image de leader entouré d’une ferveur authentique. Le crépuscule dramatise les visages et les silhouettes. Les lampes torches dessinent des éclats sur les mains levées, et les tambours improvisés transforment le marché en carnaval où chacun est acteur et spectateur. Les foulards flottent comme des flammes mouvantes, chaque instant devenant fragment d’histoire, témoignage que la campagne se joue ici, au milieu de la poussière et des odeurs mêlées. Tchiroma, prisonnier consentant de cette marée humaine, lève la main derrière la vitre entrouverte. Geste bref mais chargé de sens : salut, remerciement, promesse implicite. Aucune déclaration. « L’idée est de créer une tension émotionnelle », confie un responsable local. « La longue attente amplifie la joie de son apparition. Effet calculé mais visible pour tous ».
Regards
Les experts observent, mêlant admiration et analyse froide. Le professeur El Hadj Baba explique : « La longue attente est un outil classique de mise en scène émotionnelle. Chaque minute de patience devient énergie collective. La couverture médiatique renforce l’effet. » Jeanne Nsoga ajoute : « Même orchestrée, l’émotion semble authentique. À peine Paul Biya a-t-il quitté la capitale du Diamaré que son ancien ministre, pose ses valises dans la même ville. Une arrivée calculée, un chassé-croisé digne d’un ballet électoral où chaque pas compte. La foule croit vivre un moment spontané, et les journalistes amplifient le spectacle. »
Albert Nkam, sociologue, commente : « La force de ce rassemblement est émotionnelle. On ne vote pas seulement, on participe à une expérience collective. La longue attente fait partie de la dramaturgie. La couverture nationale et internationale transforme un instant local en spectacle à grande portée. »
Pour les communicants de Tchiroma, la scène prouve qu’aucun montage n’est nécessaire. La vérité de la foule suffit. Dans cette marée humaine, entre poussière, éclats de rire et exclamations imprévues, l’image du candidat s’écrit avec la spontanéité d’une poésie populaire, le réalisme d’une scène de marché et l’humour d’une farce joyeuse orchestrée par des milliers de bras levés et de cœurs battants.
Jean René Meva’a Amougou à Maroua