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Exister par les mots

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La scène se passe à la direction générale de Elections Cameroon (Elecam) à Yaoundé. Sous les perches des preneurs de son, on aperçoit une foule de journalistes au milieu d’un cordon de gardes du corps. Ils sont prêts à se marcher dessus pour arracher quelques mots au candidat retenu par le Manidem pour le scrutin d’octobre prochain au Cameroun.

En face, des militants hystériques. Ils hurlent, jurent qu’ils ne se laveront plus jamais la main après avoir serré celle de Maurice Kamto. Ils menacent même d’avoir la peau de celui qui oserait compromettre le destin de leur « sauveur ». Les quelques phrases débitées par l’ancien président du MRC (Mouvement pour la Renaissance du Cameroun) sont travaillées, ciselées afin de demeurer fortement ancrées dans l’opinion publique.


Cette mise en scène n’est pas une exclusivité de Maurice Kamto. Tous ceux qui vont à Elecam déposer leurs dossiers de candidature, savent que seul leur discours en cette période hautement sensible leur permet d’exister politiquement. On comprend alors que les mots choisis par les candidats eux-mêmes ou leurs mandataires constituent des armes, et de surcroît, leur usage en ce moment présente un véritable enjeu existentiel. Alors, tous les candidats s’enjaillent de sortir de leur anonymat ou d’affirmer leur célébrité, et d’aborder la faune bavarde des hommes et femmes de médias. De temps à autre, l’un des sbires du candidat initie des apartés et donne des directives. D’ici, on voit bien comment, avant diffusion, les faits subissent déjà un traitement déformant, parce que déjà moulinés entre des journalistes et certains candidats.


Sur le coup, la position du journaliste embarqué produit alors les effets attendus. Les rendus ont tendance à ronronner. Et quiconque s’attend à avoir des informations objectives est profondément déçu. Car, il n’apprend pas grand-chose du candidat, en dehors de ce que ce dernier est capable, à lui tout seul, de faire basculer la présidentielle avant le 12 octobre 2025. Comme l’araignée face aux animaux et insectes géants contre lesquels elle doit se défendre pour survivre, les « opposants » se mordent mutuellement. Pour masquer ce « cannibalisme politique », lesdits « opposants » refusent le statut d’outsider, face à un poids lourd de 92 ans. Alors, chacun annonce d’emblée ne point partir en victime résignée. À l’instar de la célèbre araignée nommée « Kocoumbo » dans les contes ivoiriens, qui a toujours plus d’un tour dans son sac face à ses prédateurs, chacun se construit une image de conquérant intrépide afin de séduire le peuple.


Une chose est certaine : il va y avoir compétition ! Pour l’instant, on attend encore lire dans les starting-blocks, lorsque s’arrêtera l’érosion des partis et le siphonnage de militants ; lorsque s’arrêtera la fragmentation des loyautés politiques. En effet, la pré-campagne semble naviguer un peu à vue. On sent combien les promesses de changement et les convictions fortes disparaissent au fur et à mesure que les heures passent. Un peu, on croirait qu’alors que se dessinent tous les contours de l’élection présidentielle, chacun s’échauffe comme il peut devant les médias, quitte à dire ou à faire n’importe quoi. Pas étonnant, dans ce cas, de voir des individus qui voudraient se servir des instants de pré-campagne pour attirer sur eux quelque attention. On sait déjà qui est capable de passer toutes les épreuves éliminatoires et accéder à la finale. Car, en fait, l’élection présidentielle ressemble à une course de fond.

Chaque coureur reste soigneusement dans son couloir, tourne en rond jusqu’au sprint final. Cette année, ce n’est pas le cas. Avant le top départ de la campagne proprement dite, seuls quelques candidats restent dans leur couloir. Les lignes elles-mêmes sont effacées. Chacun fait sa course comme il peut, à son propre rythme. Difficile d’identifier des projets de société ou des électorats clairement différenciés en termes idéologiques. Chacun dit incarner les aspirations des Camerounais de plus en plus désenchantés par le mal être.

Jean René Meva’a Amougou

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