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RESTONS TOUS MODERES !

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(ACTE I)

Le corps électoral convoqué, la candidature du Président Paul Biya et celles d’une trentaine d’autres postulants déposées, le contentieux pré-électoral à l’horizon avec en perspective des sentences à la défaveur de certains aspirants qui ne rempliront pas les conditions, le CNC prêt à jouer à fond sa partition, des administrations au taquet pour veiller sur nos moindres « débordements », des discours de haine sous fond de tribalisme, et des partis politiques prêts à exploiter la base communautaire…tout ou presque semble réuni pour un scrutin sous « haute tension » le 12 octobre prochain, dans l’excès et l’immodération. Personne ne semble disposé à se maîtriser, à anéantir ses passions, à cultiver la retenue, alors même que l’avenir de notre pays dépend de la manière dont nous allons dégager la prochaine élection présidentielle de toute passion violente.

La modération. De quoi s’agit-il ?

Il s’agit à la fois d’une vertu morale individuelle et d’un principe politique. Certains situent ses origines dans la philosophie grecque (Platon et Aristote), c’est-à-dire globalement dans la pensée occidentale, alors qu’on la retrouve également dans l’Egypte ancienne sous le mot Mâât. Protégé par le Pharaon qui en était le garant, le Mâât était enseigné par les prêtres considérés comme philosophes et grands influenceurs de la justice et du droit. Platon qui a fait des études en Egypte, notamment à Héliopolis auprès des prêtres, fut certainement influencé par eux dans sa conception de la modération.

Le Mâât encourage la maîtrise des instincts par l’esprit, le bien, la miséricorde et l’amour d’autrui. Il est soucieux de combattre le mal par le bien en soumettant l’individu à la mesure. C’est également le cas de la modération au sens occidental du terme. Elle est une sorte de juste milieu entre d’une part l’excès dans les actes et les paroles, et de d’autre part, le défaut de ne rien faire et ne rien dire. C’est l’abstinence vis-à-vis de l’abus. D’ailleurs pour Camus « la démesure constitue la tragédie de la civilisation ».

La question de la modération est d’une très grande importance durant les campagnes présidentielles, parce qu’elle fait appel aux émotions, la politique même étant fondamentalement « un partage du sensible » (Rancière, 2000). Les campagnes présidentielles véhiculent d’abondants messages visant à influencer les attachements et les impulsions, les espérances et les craintes, tant à l’égard des institutions que des programmes des candidats. Ces périodes sont particulièrement favorables à l’activation des émotions en raison du double enjeu que représente l’élection d’un président de la République : l’accession ou le maintien à la plus haute fonction de l’Etat d’une part, et le maintien des rapports de domination par une élite au pouvoir d’autre part. Ce double enjeu favorise une levée en masse des affects et entraîne la plupart du temps des débordements tant de la part de ceux qui aspirent à gouverner que de ceux qui veulent se maintenir au pouvoir. D’où la nécessité de faire preuve de cette vertu morale individuelle, qui est également un principe politique.  

En tant que vertu morale individuelle

La modération est la disposition permanente d’un individu à agir selon un idéal ou une loi morale en cherchant à la fois à ne pas offenser son prochain et à se limiter à dire ou à faire ce qui est strictement nécessaire. Il s’agit de rester dans les limites du raisonnable. La modération ne signifie pas le défaut ou l’inaction. Il ne s’agit pas de dire qu’il ne faut pas critiquer ou se défendre en cas d’offense ou de provocation. Il s’agit de se limiter à dire ce qui est essentiel, indispensable à la résolution du problème ou de la controverse. Aristote pense d’ailleurs que la modération doit être virile, c’est-à-dire qu’elle doit caractériser l’homme adulte qui est un être responsable. Mais elle ne se substitue pas à la masculinité car la féminité peut également être le siège de l’excès, de l’immodération.

Entant que vertu morale individuelle, la modération nous éloigne du vice qui consiste à attribuer à l’Autre tous les malheurs et les échecs d’une situation donnée ou de la société toute entière, quand bien même les conditions extérieures de leur production sont connues. La modération rend compréhensif, tolérant, et donc vertueux. Elle nous éloigne de nos certitudes qui nous font tenir pour vrais des jugements sans aucun mélange de doute ou de nuance. Aristote avait bien constaté dans le comportement humain et la vie en société qu’il y a à la fois du plus, du moins et de l’égal (ou du moyen). Si le plus et le moins sont condamnables, c’est le moyen qui est donc la vertu.

Souvent on peut entendre dire « c’est lui qui m’a provoqué, je n’ai fait que réagir ! ». Une telle énonciation qui a pour but de justifier la colère et l’immodération dans les propos et les actes en appelle justement à la modération. L’homme modéré est celui qui ne cède pas à la provocation, à l’agressivité, aux débordements. C’est celui qui reste calme même quand il est offensé. Il est flegmatique et placide en toute occasion et fait de la douceur « une disposition générale du corps » (Boudon, 2011 : 26). Pourquoi ne pas être indifférent à l’offense, être au-dessus de tout, éviter l’irascibilité et rester débonnaire ? Pourquoi ne pas être « classe » ? En ce moment où nous semblons tous surexcités, il est important que nous soyons habités par une seule inclinaison corporative : le patriotisme, l’unité et la grandeur du Cameroun dans le concert des nations. C’est l’amour de notre patrie qui nous rendra modéré. On ne peut pas aimer sa patrie, stigmatiser et avoir une animosité pour ses compatriotes. On ne peut se réclamer humaniste et voir exclusivement l’autre sous une altérité menaçante. Respectons, comprenons et acceptons la différence d’opinion parce que nous sommes en démocratie, même si c’est un système de gouvernement imparfait, voire dangereux. Acceptons la dialectique, la contradiction ; ne soyons pas triomphalistes et méprisants à l’endroit des autres compatriotes qui veulent savourer les saveurs et délices du jeu démocratique. Nous ne sommes pas une société anomique. Nous avons des lois qu’il faut respecter, mais ces lois ne doivent avoir pour finalité principale que la protection, la liberté et l’épanouissement de l’individu. La modération nous appelle à être anthropocentrique, c’est-à-dire de mettre l’homme au centre du monde tout en considérant le bien de notre patrie comme la cause finale du reste des choses (A suivre).    

     Dschang, 21 juillet 2025, Guy Mvelle Professeur de sciences politiques Guymvelle@gmail.com     

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