Home AMBASSADES Le « trio infernal » : une vérité douloureuse mais nécessaire

Le « trio infernal » : une vérité douloureuse mais nécessaire

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Jean Claude Djereke

Parmi ceux qui ont lu mon billet d’hier sur la Côte d’Ivoire, certains ont été choqués par l’usage de l’expression « le trio infernal », créée par Tiburce Koffi.

Jean Claude Djereke

À leurs yeux, Laurent Gbagbo ne saurait être mis dans le même panier que ses anciens rivaux. Pour eux, l’ancien président serait uniquement une victime, et non un acteur de la tragédie qui a plongé notre pays dans le chaos en 2010-2011. Pourtant, j’ai volontairement conservé cette formule. Non pas par provocation, mais parce que tous les trois – Henri Konan Bédié, Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara – portent une part de responsabilité dans cet épisode dramatique. Et la seule victime incontestable de cette crise, c’est la Côte d’Ivoire elle-même.

Pourquoi inclure Gbagbo dans cette responsabilité partagée ? Parce que les tueries atroces qui ont secoué Abidjan, notamment autour de la résidence présidentielle, auraient pu être évitées si le président sortant avait fait preuve d’un sacrifice politique. Une bande passante diffusée sur la RTI annonçait une adresse du président. J’étais parmi ceux qui attendaient ce discours. Je m’imaginais un message fort, courageux : « L’élection présidentielle de 2010, moi, Laurent Gbagbo, je l’ai remportée. Le Conseil constitutionnel, seule institution habilitée, m’a proclamé vainqueur. Mais, pour préserver la paix et éviter que le sang ne coule, je choisis de me retirer. » Un tel discours aurait changé le cours de l’histoire. Des centaines de vies auraient été épargnées. Le silence, à ce moment-là, fut lourd de conséquences.

Certes, Laurent Gbagbo avait proposé un recomptage des voix, signe qu’il cherchait une solution pacifique, là où son adversaire semblait prêt à tout pour s’emparer du pouvoir. Mais cela restait insuffisant. Face à la gravité de la situation, un geste plus fort, plus radical, était attendu. Il aurait dû démissionner, même s’il estimait – et à juste titre – avoir gagné « haut la main ».

Reconnaître cela ne signifie pas nier ce que Gbagbo a apporté à notre pays. Il fut injustement attaqué le 19 septembre 2002, injustement bombardé, puis envoyé à La Haye. J’ai modestement participé à la dénonciation de cette injustice, et je ne le regrette pas. Aujourd’hui encore, sa radiation de la liste électorale constitue une aberration que tout Ivoirien épris de justice devrait condamner. Mais présenter l’ancien président uniquement comme une victime de la crise post-électorale, c’est faire fausse route. Car, si Ouattara est l’artisan principal de l’enfer d’avril 2011, il n’était pas seul. Qui était avec lui à l’Hôtel du Golf ? Qui lui a ouvert la porte de la candidature en 2005 ? Ces questions appellent des réponses honnêtes. L’enfer a peut-être un auteur, mais il a aussi des coauteurs.

Les dix années passées à La Haye ont marqué Laurent Gbagbo, affaibli son corps mais renforcé son image. Il était devenu, aux yeux de beaucoup, une icône africaine, placé aux côtés de Nkrumah, Sankara, Mandela ou Cabral. Il avait lui-même déclaré que passé 75 ans, on ne devrait plus briguer la présidence parce qu’on n’est plus en possession de toutes ses facultés physiques et mentales. Je le voyais déjà endosser le rôle de sage, de conseiller, de conférencier pour inspirer la jeunesse africaine, partager son expérience d’opposant et de chef d’État. J’espérais qu’il passe la main, comme Senghor le fit avec Abdou Diouf, et qu’il adoube un successeur capable de porter le flambeau de la justice, de la liberté et de la dignité.

Je ne souhaitais pas son retour dans les méandres de la petite politique ivoirienne, où il risquait d’être sali, humilié, et de recevoir des coups. Il avait déjà tant donné à son pays. Le moment était venu, pour lui, de se retirer avec grandeur et de rester à jamais dans la mémoire collective comme un homme qui, malgré ses erreurs, aura marqué son époque. Le véritable hommage qu’on pouvait lui rendre, c’était de le laisser devenir un repère, pas une cible.


Jean-Claude DJEREKE

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