Arc-boutés sur leurs positions respectives au sujet des réserves de change de la CEMAC, la France et les États-Unis se sont affrontés, au grand bonheur des entreprises extractives.

«J’avoue que, quand on nous propose de discuter en nous mettant un pistolet sur la tempe, avec l’activation de réseaux souterrains pour empêcher la signature avant le 30 avril prochain des conventions des comptes séquestres, c’est ce que j’appelle une négociation sous un chantage. Non, il n’y a pas une volonté d’entamer une véritable discussion avec les propositions faites par la Commission de la CEMAC, la banque centrale et les ministres présents à la réunion de Paris ». En tentant d’évaluer de l’infortune imposée à la délégation de la sous-région par le rapport de force, Pr Belinga Zambo illustre à merveille l’incapacité des pays de la sous-région à ériger des défenses efficaces face à la machine américaine. Bien placé pour le dire (puisqu’il a participé aux travaux), l’universitaire camerounais pense que, par rapport à la signature des conventions évoquées supra, les pays de la CEMAC sont en face d’un double phénomène. « D’un côté, ils s’attendaient à un geste unilatéral des entreprises extractives et se préparaient à prendre des engagements forts dans le cadre d’un audit des réserves de change. De l’autre côté, les mêmes entreprises extractives se sont retrouvées seules avec l’arme de la gestion de l’ordre du jour entre leurs mains et ont fait monter les enchères. Au milieu, les Français sont plus ou moins entraînés dans une logique d’affrontement sur ce sujet puisque c’est la survie même de leur trésor public qui est en péril », explique le politologue camerounais. Parmi les confidences faites à Intégration, il y en a qui éclairent sur l’enjeu réel du blocus. Dans un langage bien feutré, il a été suggéré à la délégation que « si vous aboutissez en matière d’aménagement de vos délais, alors nous vous aiderons à surmonter les distorsions économiques sous le poids desquelles ploient vos États ».
À cette aune, on a bien compris : les entreprises extractives américaines n’entendent pas céder et débloquer les négociations sans contrepartie. Une posture intransigeante qui a amené les officiels français à proposer un report des discussions. Sur cet aspect, le communiqué rédigé à l’issue de la réunion par le ministère français de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté Industrielle et Numérique n’en finit pas de renseigner sur l’embarras de Paris « Les Etats de la CEMAC s’engagent à poursuivre en 2025, les efforts pour la bonne mise en œuvre des programmes appuyés par le FMI et la conclusion de nouveaux programmes dans la zone afin d’accompagner la consolidation budgétaire et la mise en œuvre des réformes, d’assurer la viabilité de leurs finances publiques et de renforcer davantage les réserves de change de la zone. La France continuera à apporter son soutien à la CEMAC et à ses États membres, y compris dans la bonne mise en œuvre de la réglementation des changes et leurs relations avec le FMI pour la conclusion et le bon déroulement des programmes », indique le document.
«On les tient !»
Comme on peut le voir, celui-ci s’abstient de mentionner le coup de pression venu de Washington. Pour les faits, Pr Belinga Zambo dit que c’est ainsi que s’est exclamé un représentant d’une entreprise extractive américaine à l’issue des travaux du 17 avril 2025 à Paris. Selon celui qui rapporte ces dires à Intégration, le pronom personnel ne doit pas faire illusion. « Dans cette exclamation, le « on » est bien un » nous » pour parler des États- Unis à destination de la direction exécutive du FMI et de la France que des États de la CEMAC. « C’est le FMI qui, entre autres, a poussé la BEAC à demander à rapatrier les fonds, afin de renforcer les réserves de change et de stabiliser le franc CFA », peut-on lire dans les colonnes de Africa Intelligence (AI). Déjà, à Washington, précise le média confidentiel français, un projet de loi visant à contrer les actions de soutien du FMI à l’endroit des pays de la CEMAC, relativement aux réserves brutes de change a été élaboré et déposé à la Chambre des représentants des États-Unis. Intitulé « Cemac Act », ce projet de loi suivi de près par le républicain William P. Huizenga, a pour but de limiter le soutien du FMI envers les pays de la Cemac, tant qu’aucune « décision concernant les réserves de change de la Cemac n’est prise ».
Cette initiative, souligne AI, vise à répondre à la situation préoccupante d’endettement qui touche de nombreux États membres. On se souvient que depuis plusieurs mois, les industries extractives, en particulier américaines, ont entamé des négociations étroites avec la BEAC au sujet du rapatriement des fonds de préservation, avec le soutien des États membres. Selon le média français, « les pourparlers, menés par le directeur Afrique de la Chambre de commerce des États-Unis, Guevera Yao, bloquent sur l’immunité juridique de la BEAC, sur son rôle de dépositaire des comptes du fonds de réhabilitation, ainsi que sur la mise en œuvre des clauses de double incrimination et de changement défavorable important ». Yvon Sana Bangui avait laissé jusqu’au 30 avril aux opérateurs extractifs pour trouver un accord, sous peine de sanctions.
Jean René Meva’a Amougou
Le combat
La semaine dernière, Intégration l’écrivait déjà : À Paris, au cours de la réunion des ministres en charge de l’Economie et des Finances des pays membres de la CEMAC, le sujet relatif à la signature avant le 30 avril 2025 des conventions des comptes séquestres pour les fonds de restauration des sites par les entreprises extractives sera débattu. À la fin du conclave tenu le 17 avril 2025 dans la capitale française, la routourne n’a pas tourné. Blocus sur toute la ligne. D’un côté, certains acteurs ont manœuvré de telle sorte que les négociations avec les représentants des pays de la CEMAC se sont enlisées. De l’autre, il y en a qui se sont employés à déjouer ce ballet immuable piloté depuis les États-Unis. Actuellement, c’est le bras de fer. Bras de fer géopolitique entre la CEMAC (prétendument soutenue par Paris) et Washington qui menace de retirer son soutien à l’action du Fonds monétaire international (FMI) au sein de l’espace communautaire, si une évaluation des réserves de change n’est pas réalisée. Entre temps, la menace américaine n’est pas tombée dans les oreilles de sourds. Dans la clique des entreprises extractives, ce que dit Washington résonne comme un feu vert inespéré au cœur d’une CEMAC qui veut voir clair sur un argent qui lui revient de droit. Zoom sur les coulisses d’un combat qui vire au chantage.
Dévaluation du FCFA d’Afrique centrale
Cet objectif paré de faux-semblants
Selon des experts, la confrontation entre Paris et Washington n’est qu’un habillage visant à occulter la dépréciation de la monnaie utilisée par les six États de l’espace communautaire.
«Les pays de la CEMAC font une erreur d’interprétation majeure lorsqu’ils acceptent que Paris soit leur allié. C’est juste une sorte de maison d’accueil de réseaux divers et variés. ; un théâtre où se pressent comédiens, mimes, souffleurs et propagandistes. Lorsqu’un tel portrait-robot se retrouve à être brandi par un économiste français spécialiste de l’Afrique centrale, on s’efforce de se placer dans sa perspective afin de mieux saisir ce qu’il énonce. En rapport avec ces actualités en provenance de Paris, et les ravages qu’elles provoquent, la tentation est grande de regarder dans le rétroviseur. Sur la foi des déclarations d’ Alex Segura-Ubiergolon ( alors chef de mission de mission du FMI au Gabon) en 2016, on fait vite le parallèle avec les actuelles positions intransigeantes des caïds américains et français sur la question des réserves de change de la CEMAC. La sous-région a perdu 6 milliards de dollars de réserves de change en 2016, à en croire Alex Segura-Ubiergolon. Ce dernier, lors d’une conférence de presse donnée à Libreville, avait suggéré d’ « augmenter les recettes d’exportation pour sécuriser les réserves. Il faut endiguer et régler définitivement l’érosion des réserves de change des pays de l’espace communautaire, qui souffrent tous ou presque, de la crise pétrolière qui secoue les Etats producteurs, si on veut éviter une dévaluation de la monnaie ».
Aussi, avait-il révélé, les fonds affectés aux pays de la Cémac dans le cadre des programmes négociés avec le FMI doivent-ils « partiellement et impérativement servir à la reconstitution des avoirs extérieurs nets » dont l’érosion manifeste aurait pu « déboucher sur un ajustement monétaire aux conséquences négatives ».
« En 2016, les pays de la Cémac perdaient près de 500 millions de dollars de réserves de change par mois », a déclaré Segura. Une information conforme à celle fournie par la Banque Centrale qui, dans son rapport annuel 2016, a indiqué une baisse des réserves de l’ordre de 5,7 milliards $ en comparaison au niveau de 2015. Mais le rythme de dégradation de ces réserves a reculé, toujours selon le FMI. Pour les premiers mois de 2017, ces pertes ne représentent plus que 100 millions de dollars par mois.
Pour l’ingénieur financier camerounais Flavien Nkoudou, « ce qui vient de se dérouler à Paris est le résultat de décisions politiques, celle de Washington d’abord, puis celle de la France et enfin celles des principales puissances capitalistes qui se retrouvent à Bretton Woods. Ces gens savent que bloquant les négociations sur les réserves de change de la Cemac, celle-ci fatalement se retrouverait asphyxiée sur le marché international ».
JRMA