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La recherche scientifique confrontée aux aléas des dérapages sociaux : le cas des chercheurs incinérés a Soulédé-roua dans l’Extreme-nord du Cameroun

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Vendredi 14 mars 2025, les corps des chercheurs assassinés et de leur guide ont été exhumé. Ensevelies nuitamment et en catimini par les autorités locales de Soulédé-Roua quelques heures seulement après leur incinération. Les chercheurs Dr Bello Bienvenu, Muntsi Frédéric et Kabalay Oumarou leur guide ont été attrapés, ligotés, torturés et brulés vifs par les habitants de Mbalda, un village de la Commune de Soulédé-Roua, département du Mayo-Tsanaga dans la région de l’Extrême-Nord.


La famille scientifique camerounaise est secouée par cet incident d’une rare gravité. Pour améliorer les conditions de travail des chercheurs, le Syndicat National des Chercheurs du Cameroun a lancé un avis de grève à l’intention de tous ses membres. Les amphithéâtres et les postes de travail ont été déserté par les hommes en toge.


Les faits
Approché par Intégration, Sambo, instituteur à Soulédé raconte que « tout commence le dimanche 2 mars 2025 lorsque, sous un ciel ensoleillé, trois inconnus munis de matériels étranges (une boussole, un marteau et objets divers de recherche) sont aperçus par les populations dans ces massifs montagneux. L’alerte donné au représentant du chef traditionnel va lui permettre d’aller à leur rencontre, accompagné d’un conseiller municipal et du président du comité de développement. Une fois sur les lieux, les chercheurs et leur guide seront soumis à un interrogatoire inhabituel. Sans rechigner, ils obtempèrent à la volonté de cette élite locale à les emmener à la Brigade de gendarmerie de Roua. Les deux chercheurs vont donc chevaucher la mototaxi du jeune garçon qui leur servait de guide et suivre le représentant du Chef traditionnel. En passant par le lieu qui sert de marché hebdomadaire dans ce village, tout va dégénérer puisque la rumeur selon laquelle « des membres de Boko Haram avait été appréhendé » s’y était répandu. Puisque « la foule ne réfléchit pas », les chercheurs et leurs guides seront soumis au supplice de la torture et des flammes par les villageois devenus, par ignorance, leurs véritables bourreaux».


Un acte condamné
« Un acte odieux », « c’est une ignominie ». C’est ce qui transparait des déclarations des hommes de science depuis que les vidéos de l’incinération de leurs collègues et de leur guide ont été relayées dans les réseaux sociaux. Trois jeunes hommes, lynchés puis brulés vifs par une foule en furie alors qu’ils n’avaient rien à se reprocher. Pour justifier cette idiotie, le prétexte d’une confusion de ces chercheurs à des affidés de Boko Haram est avancé par les populations et quelques autorités locales. Un argument vide de sens et dénué de toute logique puisque ces jeunes hommes détenaient des livres et faisaient des efforts pour expliquer à leurs bourreaux, en français et en fufuldé, qu’ils n’étaient là que pour faire de la recherche. Et puis les apparences physiques de ces « trois étrangers » ne se rapprochent guère à celles des combattants de la secte islamiste. Salomon, animateur à la Radio-Campus, où exerça Muntsi, soutient qu’« il est impensable que Muntsi soit confondu à un combattant de Boko Haram. Comment cela a pu arriver ? Muntsi était un homme facile à l’abordage. Il était très humble et facile à la parole. Nous regrettons cette supercherie».


La recherche pour le développement
C’est par solidarité de métier que le docteur Bello avait accepter d’accompagner son compère, Muntsi, à travers les chemins rocailleux des Monts Mandara dans le but de faire des prélèvements dans les sites dédiés à ses recherches. Il s’inscrivait dans la logique d’un questionnement qui portait sur la problématique de l’accès à l’eau potable par les populations des Monts Mandara. Il s’avère que dans cette région, l’eau, une ressource vitale pour les hommes et les animaux, est une denrée très rare. Depuis la création de l’université de Maroua, le gouvernement camerounais a accentué la recherche sur les problématiques sahéliennes. C’est dans cet élan que l’Institut Supérieure du Sahel fut créé. Elle deviendra plus tard Ecole polytechnique de Maroua. Des sujets de thèses et de mémoires sur les questions de développement local sont habituellement développé par les étudiants dans les facultés de cette université.


L’un des responsables en charge de la recherche et de la Coopération dans l’une des facultés que compte l’Université de Maroua rappelle à Intégration que « depuis la création de l’université de Maroua, la politique gouvernementale en matière d’enseignement supérieure est axée sur la vulgarisation des thématiques liées au développement des régions septentrionales, confrontées à la misère et la sécheresse. Le développement de cette région devra donc, selon les orientations des pouvoirs publics, être dirigé vers des prérequis pensés par les fils du terroir, principaux acteurs au développement local. La recherche par immersion ne peut être productive que lorsque les individus sensés la menée ont un rapport consubstantiel avec le milieu mis en étude».


L’opprobre jeté sur les agents des comités de vigilance
Les agents des comités de vigilance sont des acteurs incontestés de la lutte contre le terrorisme dans le bassin tchadien. Le crime crapuleux perpétré sur les deux chercheurs et leur guide a peint en noir l’image de marque que détenaient ces hommes et femmes qui se sacrifient au quotidien pour permettre à leurs populations d’éviter le pire. C’est le danger dans lequel l’on devrait éviter d’être conduit. Jeter subitement du discrédit sur le rôle des COVI pourrait être une lame à double tranchant pour les populations vivants dans les zones de conflit. Certes, il y’en a qui sèment l’ivraie au sein de la famille des COVI mais tous ne sont reprochables. Il faut donc savoir extirper le mauvais grain et rétablir la confiance entre ces agents des groupes d’autodéfense et leurs populations respectives.

TOM

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