Un vrai problème mal posé
Le kémitisme a raison de déplorer le fait que certains Africains valorisent plus la religion que l’éducation, le travail et la lutte pour la justice.
Ce qu’il dit des Africains qui attendent que leurs problèmes soient réglés par Dieu est aussi indiscutable que le rôle joué par le christianisme et l’islam dans la traite négrière qui dura 3 siècles. Peut-on pour autant rendre ces deux religions responsables de la faillite des États africains? Est-ce leur faute si les pays francophones sont mal gérés? Les dictateurs incompétents et violents qui sont au pouvoir depuis 2, 3 ou 4 décennies ont-ils leur caution? Le Bénin et Haïti qui ont conservé la religion vaudou sont-ils plus “développés” que la Corée du Sud ou le Quatar? Bref, le message de Jésus et de Mahomet est-il contre la justice, la liberté et le progrès?
J’ai été baptisé enfant dans la religion catholique mais, devenu adulte, j’ai choisi d’y rester malgré les imperfections que j’y ai trouvées, car je suis d’accord avec le message de Jésus qui n’a rien à voir avec la mauvaise interprétation que certains missionnaires en ont faite. Jésus disait être envoyé par l’Esprit du Seigneur pour guérir les cœurs brisés, rompre les chaînes des captifs, rendre la vue aux aveugles, renvoyer libres les prisonniers (Luc 4, 16-31), être venu apporter le feu sur terre (Mt 10, 35-39). Plus tard, il traita Hérode Antipas de renard (Luc 13, 32), qualifia scribes et pharisiens d’hypocrites remplis d’iniquité (Mtt 23, 13-39), invita ses apôtres à nourrir eux-mêmes la foule affamée au lieu de la renvoyer (Luc 9, 13), transgressa la loi du sabbat pour sauver des vies humaines. Saint Paul conseille que celui qui refuse de travailler pas ne doit pas manger (2 Thessaloniciens 3, 10). Moïse fut envoyé auprès de Pharaon pour libérer les fils d’Israël de l’esclavage et de l’oppression qu’ils subissaient en Égypte (Ex 3, 7-12), etc.
Les premières universités européennes (Bologne, Paris et Salamanque) ont été fondées par l’Église catholique. Les moines bénédictins et cisterciens ont beaucoup apporté à l’agriculture en Europe. En 1986, le cardinal Jaime Sin mobilisa les chrétiens de Manille contre Ferdinand Marcos qui voulait voler la victoire de Corazon Aquino. Qu’est-ce qui empêche les chrétiens africains (laïcs et clercs) de travailler durement, de lutter contre l’ignorance, de protester contre les régimes autoritaires et les pays étrangers qui veulent les asservir? “Ce qui est important, ce n’est pas ce dont on s’est nourri, c’est de savoir ce qu’on en a fait et au service de quoi on a mis la culture que l’on a reçue”, disait Césaire (cf. Lilyan Kesteloot et Barthélemy Kotchy,” Aimé Césaire, l’homme et l’œuvre”, Présence Africaine, 1973). Qu’avons-nous fait du message subversif de Jésus? L’utilisons-nous pour nous libérer de la pauvreté et de la dictature?
Jean-Claude DJEREKE