Télécoms : Comment Orange Cameroun a échappé aux sanctions de l’ART

Pour éviter la tempête sur son réseau, l’entreprise française a mis à la disposition du régulateur des détails confidentiels sur l’état d’avancement des travaux techniques relatifs à la connectivité entre elle et Campost.

La menace était vertigineuse. Après avoir constaté en date du 22 juillet 2020, le «refus d’Orange Cameroun de se soumettre aux dispositions réglementaires en vigueur» (décision N° 0000248/ MTP/ CAB/IGT/CT2 du 26 novembre 2019 déterminant les conditions et les règles d’exploitation de la ressource USSD pour l’accès à la plateforme nationale d’agrégation des communications électroniques; décision N°0000415/ ART/ DG/DLCI/SDHCE/SIAR du 13 décembre 2019 énumérant les directives sur les conditions et les modalités d’interconnexion à la plateforme nationale d’agrégation des communications électroniques; décision N°00000051/ ART/ DG/ DT/ SDGR/ SGRNA du 3 mars 2020 portant attribution du code #237# à la société Cameroon Postal Services (Campost), le spectre de sanctions qu’agitait l’ART (Agence de régulation des télécommunications) devant l’opérateur français de téléphonie mobile n’était pas des moindres.

En effet, le 7 août 2020, Philémon Zo’o Zame, dans un courrier adressé à Frédéric Debord préparait ce dernier à affronter la tempête. Le directeur général de l’ART invitait alors son homologue d’Orange Cameroun à s’exécuter dans un délai de trois jours. Faute de quoi, l’entreprise de télécoms tomberait sous le coup de lourdes sanctions. Sur la correspondance mentionnée supra, le régulateur menace d’appliquer une pénalité de trois cent millions (300 millions FCFA), conformément à l’article 69, alinéa 1 de la loi N°2010/013 du 21 décembre 2010, modifiée et complétée par la loi N°2015/006 du 20 avril 2015 d’une part, et la réduction d’un (01) an sur la durée du titre d’exploitation de Orange Cameroun, en application de l’article 68, alinéa 2 de la même loi d’autre part.

Calme
Le 11 août dernier, la filiale camerounaise du Groupe Orange a écrit au patron de l’ART. Dans son esprit et sa lettre, le courrier met globalement Philémon Zo’o Zame au courant de «l’état d’avancement des travaux d’interconnexion à la plateforme d’agrégation des communications électroniques logée à la Campost». A la lecture, l’entreprise renseigne sur son activité. Exemple: «Suite à nos précédentes correspondances, nous avons l’honneur de vous adresser en annexe un tableau récapitulant l’état d’avancement des travaux techniques relatifs à la connectivité entre Orange et Campost, travaux qui ont effectivement démarré depuis le mois de mars 2020». Pour décliner sa bonne foi, l’opérateur français écrit encore: «Vous constaterez qu’il ressort de la lecture de ce tableau qu’à ce jour, la connectivité entre les serveurs de Orange Cameroun et ceux de la Campost est effective depuis le 23 mars 2020 à travers la mise en place d’un tunnel VPN IP SEC via Internet (lien de back up). Orange Cameroun s’étant en parallèle reconnectée au réseau CAMIX depuis le 7 juillet 2020, les équipes sont à pied d’œuvre en vue de la mise en place de la connectivité principale (Main) avec Campost via CAMIX».

Tel qu’écrit, il s’agit de faire flotter le drapeau de la paix et éteindre l’opposition avec l’ART au sujet du code unique #237#, permettant d’accéder aux services financiers mobiles. En validant cette option, Frédéric Debord (directeur général de la filiale camerounaise du Groupe Orange et non moins président de l’Association des opérateurs concessionnaires de téléphonie mobile implantés au Cameroun) fait ainsi barrage aux sanctions, en attendant «la finalisation» des travaux.

Dans cette attente, le gouvernement croise les doigts pour enfin disposer d’un fichier de concessionnaires de téléphonie mobile à jour en ce qui concerne l’accès équitable pour tous les opérateurs au marché des transferts financiers électroniques. À l’aide de ce fichier, l’État peut appliquer pleinement la décision n°00000248/ MPT/ IGT/ CT2 du 26 novembre 2019 déterminant les conditions et les règles d’exploitation de la ressource USSD pour l’accès à la plateforme nationale d’agrégation des communications électroniques au Cameroun. Dans le fond, il sera possible de faciliter l’identification et la localisation instantanées de tous les utilisateurs des services financiers mobiles, de lutter contre le financement du terrorisme et le blanchiment d’argent. Il sera également possible de permettre la traçabilité et le stockage des données, à l’effet de collecter les taxes et impôts sur toutes les transactions financières numériques ; de faciliter la fourniture des services financiers publics et privés.

Curiosité
Entre-temps, la rapidité avec laquelle Orange Cameroun a répondu au régulateur camerounais des télécoms ne manque pas d’interroger. Surtout quand on sait que depuis de longs mois, les deux parties se livraient à un bras de fer. Pour l’ART, l’entreprise française arrivée au Cameroun il y a plus d’une vingtaine d’années s’était murée dans un mépris de la réglementation en vigueur en matière de téléphonie mobile dans le pays. Dans une correspondance servie au patron d’Orange Cameroun le 13 décembre 2019, Philémon Zo’o Zame invitait alors Frédéric Debord «à prendre les dispositions nécessaires pour l’application de la décision N°0000415/ ART/DG/ DLCI/ SDHCE/SIAR du 13 décembre 2019».

En réaction, et par correspondance du 10 janvier 2020, le directeur général d’Orange Cameroun dit ne pas être disposé à prendre quelque disposition en vue de la mise en œuvre de la décision sus-évoquée. Pour cette réponse hors du goût de l’ART, cette dernière déposait une mise en demeure sur la table d’Orange Cameroun. Bien avant, le 7 janvier 2020 précisément, Frédéric Debord avait adressé un recours gracieux au ministre des Postes et Télécommunications (Minpostel). Une ligne forte de ce courrier plaidait pour l’annulation de la décision N°0000248/ MTP/ CAB/ IGT/ CT2 du 26 novembre 2019. Frédéric Debord faisait alors savoir à Minette Libom Li Likeng que ladite décision est hors du champ de ses compétences de l’ART. Pour le même motif, au courant du 1er trimestre 2020, Orange trainait l’État du Cameroun devant les juridictions à Douala avant d’être débouté en juillet dernier.

Jean-René Meva’a Amougou

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