Penci Sport plugin only working with the Soledad theme.

Archives des Jean-Claude DJEREKE - Journal Intégration

Journal Intégration

Étiquette : Jean-Claude DJEREKE

  • Repenser la solidarité africaine

    Repenser la solidarité africaine

    Quand les autres portent un regard négatif sur nous, quand nos actes positifs ne trouvent jamais grâce à leurs yeux, quand nous nous sentons incompris ou rejetés, quand certaines personnes trouvent toutes sortes d’astuces pour nous dépouiller du peu que nous avons difficilement gagné , nous pouvons penser avec Jean-Paul Sartre que « l’enfer, c’est les autres ».
    Mais, d’un autre côté, pouvons-nous vivre en autarcie ? Coupés des autres, ne mènerions-nous pas une existence misérable ? Une vie sans les autres ne serait-elle pas un enfer ? Si je vis seul et si j’ai un souci de santé, le secours me viendra-t-il de mon joli appartement, de ma belle voiture, de ma carte bancaire ou de mon iPhone dernier cri ? Chacun a déjà entendu l’histoire de telle ou telle personne découverte plusieurs jours après qu’elle avait rendu l’âme dans une maison où elle vivait seule.
    Les biens matériels, aussi nécessaires soient-ils, ne peuvent appeler l’ambulance qui nous conduira dans un hôpital. Seul l’homme peut le faire. Seul l’homme peut nous secourir. Voilà pourquoi Seydou Badian affirme que « l’homme n’est rien sans les hommes ». L’écrivain malien ajoute : « il [l’homme] vient dans leurs mains et s’en va dans leurs mains. » En effet, ceux qui sont nés à l’hôpital ont dû bénéficier des soins d’une sage-femme. Le jour où ils quitteront ce monde, ce sont des semblables qui les mettront dans un cercueil, puis dans une tombe.
    L’Africain doit-il opter pour l’individualisme qui a montré ses limites en Occident ou bien embrasser une vie communautaire sans limites ? La solution serait peut-être de trouver un équilibre entre vivre replié sur soi et se laisser bouffer par les autres, de pratiquer la solidarité tout en combattant le solidarisme qui n’a rien à voir avec la solidarité. Léon Bourgeois donne à ce mot la même signification que « solidarité ». C’est une erreur. Moi, j’appelle « solidarisme » la solidarité poussée à l’excès. Loin d’enrichir ceux qui en profitent, ce solidarisme finit par appauvrir et tuer quiconque n’a pas le courage de dire non à certaines sollicitations.

    Jean-Claude Djéréké

    Vu sur le site : Mes vœux pour 2024

  • Mes vœux pour 2024

    Mes vœux pour 2024

    Je voudrais d’abord former pour chacun de nous des vœux de santé, de paix intérieure et de prospérité dans ce que nous entreprendrons.
    Puisse l’étoile qui jadis guida les rois mages d’Orient vers le Roi des rois nous conduire vers plus de liberté, de vérité et de justice, valeurs qui seules assurent la stabilité et la grandeur des nations!
    La République centrafricaine, le Mali, le Burkina Faso et le Niger ont osé et remporté des victoires décisives sur le chemin de la liberté et de la souveraineté, preuve qu’aucun peuple n’est voué à subir ad vitam aeternam l’occupation, la domination, l’exploitation et le mépris d’un autre peuple. D’autres pays de l’Afrique dite francophone peuvent leur emboîter le pas si leurs populations en prennent l’engagement en 2024 et acceptent d’en payer le prix car Dieu ne sauve pas les hommes sans eux.
    Je prie pour que la nouvelle année enfante des hommes et des femmes courageux et déterminés qui pourront se lever pour briser le joug qui pèse sur nous depuis 6 siècles.
    Bonne et heureuse année à nous tous!

    Jean-Claude Djéréké

  • Afrique-Occident: reconquérir notre liberté et notre souveraineté en prenant un autre chemin

    Afrique-Occident: reconquérir notre liberté et notre souveraineté en prenant un autre chemin

    La visite des mages, ces savants venus d’Orient, à l’enfant Jésus, on peut en tirer différentes leçons. L’une d’entre elles sera proposée à la fin de ce post. Mais, bien avant, je voudrais répondre aux questions suivantes:

    Quelle place Hérode le Grand occupait-il dans la société? Quel genre d’homme était-il? Quelles intentions avait-il à l’égard de Jésus? Hérode était le roi de Judée, titre qu’il obtint de l’empire romain grâce à ses nombreux pots-de-vin. Il était connu pour sa cruauté comme le montrent la manière dont il traita sa propre famille (enfants et belle-famille) et le massacre des innocents. C’était surtout un homme jaloux, c’est-à-dire incapable de supporter la présence et la réussite d’une autre personne à côté de lui. Il voulait briller seul, être la seule personne qui soit connue et reconnue, qui soit admirée et aimée. Sa philosophie pourrait se résumer dans cette formule : tout pour lui et rien pour les autres. Son intention était donc de tuer le roi des Juifs bien qu’il fît croire aux mages qui s’étaient arrêtés chez lui qu’il voulait se prosterner, lui aussi, devant l’enfant Jésus. Hérode avait peur de Jésus. Il le voyait comme une menace, comme un dangereux concurrent.

    De nos jours, qui joue le même rôle que le roi Hérode ? Qui ne nous veut pas du bien ? Qui pille nos richesses sans aucune contrepartie ? Qui a mis des hommes de paille à la tête de nos pays ? Qui se proclame amis des Africains tout en les poignardant dans le dos ? Les dirigeants occidentaux.
    À la fin du récit de la visite des mages, l’évangéliste Matthieu écrit que, avertis en songe de ne pas retourner chez Hérode, ceux-ci regagnèrent leur pays par un autre chemin.

    La traite occidentale qui dura 3 siècles, la colonisation et les 60 ans des pseudo-indépendances sont nos avertisseurs. Ces douloureux événements devraient ouvrir l’intelligence des Africains et conduire chacun de nous à comprendre que nous ne pouvons qu’emprunter un autre chemin si nous ne voulons pas disparaître, si nous voulons nous faire respecter. Mais, avant de s’engager sur un autre chemin, il est nécessaire d’abandonner l’ancien. L’ancien chemin, c’est notre naïveté, notre propension à composer avec Hérode pour tuer nos propres frères dès qu’un désaccord surgit entre nous, notre manque de solidarité, notre tendance à vouloir que Dieu fasse les choses à notre place, les dévotions et jeûnes qui ne sont pas suivis d’actions contre l’injustice et la dictature, le complexe d’infériorité qui nourrit certains parmi nous.

    Le Centrafrique, le Mali et le Burkina sont en train de nous montrer qu’il est possible de prendre un autre chemin, qu’il existe une autre façon de se comporter avec Hérode.

    L’épiphanie, c’est la manifestation de Dieu. Et Dieu qui a créé tous les hommes égaux se manifeste aujourd’hui dans les actes et décisions des dirigeants centrafricains, maliens et burkinabè. Ne Le cherchons pas ailleurs. Il nous appelle à de nouveaux comportements. Il nous veut lucides, libres et debout.

    Jean-Claude Djereke

  • Les Africains doivent-ils encore composer  avec des gens qui les méprisent?

    Les Africains doivent-ils encore composer avec des gens qui les méprisent?

    Le littéraire panafricaniste pense que l’Afrique devrait cesser de faire allégeance à l’Occident qui ne lui rend pas la pareille.

    Personnellement, je ne demande pas aux Africains de faire allégeance à Poutine pour la simple raison que ce dernier n’a jamais souhaité pareille chose. Ça, c’est le premier point. Le second point, c’est que les Russes n’ont colonisé aucun pays en Afrique. Au contraire, ils ont soutenu et aidé certains mouvements de libération dans leur lutte contre la colonisation. Il s’agit, entre autres, du Frelimo (Mozambique), du MPLA (Angola), du FLN (Algérie), de la SWAPO (Namibie), de l’ANC (Afrique du Sud), du PAIGC (Guinée-Bissau).

    D’après Africa24monde.com et d’autres sources, Ursula Von der Leyen, la présidente de la Commission européenne, aurait demandé que l’Europe châtie les 27 pays africains qui se sont abstenus ou ont voté contre la résolution présentée à l’ONU pour condamner la Russie en les privant de l’aide au développement. Pour l’ancienne ministre allemande de la Défense, si l’Afrique n’est pas avec l’Europe, c’est qu’elle est contre elle.
    Je ne voudrais pas parler de la fameuse aide et du développement que les Africains attendent toujours comme Estragon attendait Godot dans la pièce de théâtre de Samuel Beckett. Je voudrais plutôt m’intéresser à la réaction des Africains qui ont lu cette déclaration surréaliste. La plupart d’entre eux ont dit que l’Europe était devenue un État totalitaire aux ordres des États-Unis. Le verbe «devenir» ne me semble pas exact car l’Europe a toujours été totalitaire, antidémocratique, arrogante et condescendante dans son rapport à l’Afrique. Pour s’en convaincre, il suffit d’ouvrir la charte de l’impérialisme dont l’article 3 affirme ceci : «Tout pouvoir dans les pays du tiers-monde émane de nous, qui l’exerçons par la pression sur les dirigeants qui ne sont que nos marionnettes. Aucun organe du tiers-monde ne peut s’en attribuer l’exercice». L’article 7 ajoute : «Tout pouvoir qui oppose la moindre résistance à nos injonctions perd par le fait même sa légalité, sa légitimité et sa crédibilité. Il doit disparaître». Le meilleur se trouve sans doute dans l’article 12 selon lequel «les peuples du tiers-monde n’ont pas d’opinion ni de droit, ils subissent notre loi et notre droit».

    L’aventure ambiguë
    De bonne foi, nos ancêtres et nous-mêmes avons suivi ces gens-là, avons été à leur école pour «apprendre l’art de vaincre sans avoir raison et celui de lier le bois au bois» (La grande Royale dans ‘L’Aventure ambiguë’ de Cheikh Hamidou Kane), avons abandonné nos religions pour adopter les leurs, combattu et perdu la vie pour eux parce que nous croyions que nous étions des frères et des égaux mais le temps nous a montré qu’ils voyaient les choses autrement, que, pour eux, nous n’étions que de la chair à canon, des pourvoyeurs de matières premières et des peuples corvéables et exploitables à merci.

    Hitler
    Le massacre des «tirailleurs» africains au camp de Thiaroye le 1er décembre 1944, la répression des mouvements anticolonialistes, l’assassinat des résistants africains, la mort de Khadafi, etc., malgré le fait que nous fûmes à leurs côtés lorsqu’Adolf Hitler les malmemait et les humiliait, tous ces faits ont conduit Fanon à publier en 1961 ‘Les Damnés de la Terre’ dont voici un extrait : “Il nous faut quitter nos rêves, abandonner nos vieilles croyances et nos amitiés d’avant la vie. Ne perdons pas de temps en stériles litanies ou en mimétismes nauséabonds. Quittons cette Europe qui n’en finit pas de parler de l’homme tout en le massacrant partout où elle le rencontre, à tous les coins de ses propres rues, à tous les coins du monde. Voici des siècles que l’Europe a stoppé la progression des autres hommes et les a asservis à ses desseins et à sa gloire; des siècles au nom d’une prétendue « aventure spirituelle», elle étouffe la quasi-totalité de l’humanité». Certains ont pensé que le Martiniquais exagérait, qu’il avait succombé à la tentation d’un racisme à rebours ; ils ont vu en lui un prophète de malheur et un militant excessif. Les derniers propos de la présidente de la Commission européenne ne lui donnent-ils pas raison ? L’Europe qui ignora Fanon hier fera-t-elle attention à son message aujourd’hui ? J’en doute fort car les peuples totalitaires et impérialistes font rarement leur mea culpa, se remettent difficilement en cause. On ne voit chez eux «qu’entêtement dans l’erreur, persévérance dans le mensonge, absurde prétention de ne s’être jamais trompé, bref une incapacité sénile à se déprendre de soi-même pour se hausser au niveau de l’événement et toutes les ruses puériles d’un orgueil sacerdotal aux abois» (cf. Aimé Césaire, ‘Lettre à Maurice Thorez’, 24 octobre 1956). Le poète martiniquais avait démissionné du Parti communiste français (PCF) parce qu’il ne tolérait pas le silence du PCF sur les crimes de Staline après les révélations de Khrouchtchev. Or un peuple qui refuse de reconnaître ses crimes et de s’en détourner est condamné à perdre son influence. Michel Onfray parle même de décadence : «Je nomme décadence ce qui advient après la pleine puissance et qui conduit vers la fin de cette même puissance. La puissance d’une civilisation épouse toujours la puissance de la religion qui la légitime. Quand la religion se trouve dans une phase ascendante, la civilisation l’est également; quand elle se trouve dans une phase descendante, la civilisation déchoit; quand la religion meurt, la civilisation trépasse avec elle. (cf. ‘Décadence. De Jésus à Ben Laden, vie et mort de l’Occident’, Paris, Flammarion, 2017). Onfray, qui est un homme cultivé, avait probablement lu le texte de la conférence d’Alexandre Soljenitsyne (1918-2018) sur «Le déclin du courage» à Havard en 1978, conférence au cours de laquelle le philosophe-écrivain russe faisait la mise en garde suivante : «Vous, en Europe, vous êtes dans une éclipse de l’intelligence. Vous allez souffrir. Le gouffre est profond. Vous êtes malades. Vous avez la maladie du vide. […] Le système occidental va vers son état ultime d’épuisement spirituel : le juridisme sans âme, l’humanisme rationaliste, l’abolition de la vie intérieure… Toutes vos élites ont perdu le sens des valeurs supérieures».
    La décadence de l’Occident prouve que «l’histoire du monde n’est pas finie»et qu’il nous faut croire avec la Guadeloupéenne Maryse Condé que viendra un jour «où les hommes se rappelleront qu’ils sont des frères et seront plus tolérants. Ils n’auront plus peur les uns des autres, de celui-ci à cause de sa religion ou de celui-là à cause de la couleur de sa peau, de cet autre à cause de son parler» (cf. ‘Le Nouvel Obs’ du 9 juin 2017).

    Russie
    La présence de la Russie en Centrafrique et au Mali ne rassure pas certains Africains qui font remarquer à juste titre qu’il ne s’agit pas de déshabiller Pierre pour habiller Paul, que l’Afrique doit tracer sa propre voie. Personnellement, je ne demande pas aux Africains de faire allégeance à Poutine pour la simple raison que ce dernier n’a jamais souhaité pareille chose. Ça, c’est le premier point. Le second point, c’est que les Russes n’ont colonisé aucun pays en Afrique. Au contraire, ils ont soutenu et aidé certains mouvements de libération dans leur lutte contre la colonisation. Il s’agit, entre autres, du Frelimo (Mozambique), du MPLA (Angola), du FLN (Algérie), de la SWAPO (Namibie), de l’ANC (Afrique du Sud), du PAIGC (Guinée-Bissau). Troisièmement, la Russie possède plus de ressources naturelles que les pays européens et, donc, sera moins gourmande en Afrique. Le quatrième point, c’est que la Russie est militairement supérieure à plusieurs pays européens comme cela a été démontré en Syrie en 2015. Enfin, le respect de la parole donnée et la fidélité ne sont pas des mots creux avec les Russes. Ces derniers n’ont ni la réputation, ni l’habitude d’abandonner leurs alliés en rase campagne. Il est clair que l’Occident aurait eu la peau de Bashar Al-Assad et de Nicolas Maduro (Venezuela) si Vladimir Poutine n’avait pas été là. Se mettre sous la coupe de la Russie et lui demander de nous aider à devenir militairement forts et à nous affranchir progressivement de l’Europe prédatrice et criminelle sont deux choses différentes. Ceux qui critiquent la coopération avec la Russie ne disent pas comment il faudrait faire pour que la France ne puisse plus s’ingérer dans nos affaires. Ils estiment que la Russie ne devrait pas envahir l’Ukraine mais savent-ils que c’est de ce pays que partaient les armes pour attaquer la Syrie, la Libye et le Mali si l’on en croit Charles Gave, entrepreneur et fondateur de l’Institut des libertés ? Trouvent-ils normal que la France, après avoir interdit les médias russes sur son sol, se plaigne de la suspension de RFI et de France 24 par le gouvernement malien pour diffusion d’informations visant à discréditer les autorités de la transition et à monter la population contre elles?
    Certes, «l’heure de nous-mêmes a sonné» (Césaire) mais avec qui pouvons-nous mieux défendre nos intérêts aujourd’hui? Qui peut nous aider à progresser tout en respectant notre vision du monde et notre manière d’être ? Voilà la vraie question.

  • La France a peur d’affronter son passé colonial

    La France a peur d’affronter son passé colonial

    Le Mois de l’histoire des Noirs (Black History Month en anglais) commémore une fois par an la contribution des Noirs à la construction et au développement des États-Unis. C’est en 1926 que tout commença.

    Jean-Claude DJEREKE

    La manifestation, prévue au départ pour durer une semaine (Negro History week), avait été initiée par l’historien afro-américain Carter G. Woodson et le pasteur Jesse E. Moorland. Ce sont eux qui choisissent la deuxième semaine de février 1926. Pourquoi la deuxième semaine ? Pour ne pas gêner les anniversaires d’Abraham Lincoln (le 12 février) et de Frederick Douglass (le 14 février), anniversaires que les communautés noires américaines avaient coutume de célébrer depuis la fin du XIXe siècle. Kent State University (dans l’État d’Ohio) accueille en février 1970 la première célébration du Mois de l’histoire des Noirs.

    6 ans plus tard, à la faveur du bicentenaire des États-Unis, le Mois de l’histoire des Noirs est officiellement reconnu par le gouvernement américain. Gerarld Ford, son président, invite toute l’Amérique à “saisir l’opportunité d’honorer les réussites trop souvent ignorées des Noirs américains dans tous les domaines à travers notre histoire”. L’exemple des États-Unis sera suivi par le Royaume-Uni en 1987, puis par le Canada en 1995.

    En France, il faudra attendre 2018 pour voir l’association ‘Mémoires & Partages’ organiser à Bordeaux le premier Mois de l’histoire des Noirs. Pourquoi les Français ont-ils mis trop de temps à emboîter le pas aux Américains, aux Anglais et aux Canadiens ? Pour certains, la France a du mal à regarder en face son passé colonial. C’est le cas de l’historienne française Christelle Taraud qui explique que l’État français a choisi la glorification de la colonisation, le déni des crimes et massacres, le récit officiel selon lequel la France s’est libérée toute seule de l’occupation nazie entre 1940 et 1944.

    Or, poursuit-elle, “des tirailleurs sénégalais et algériens, des goumiers marocains, des soldats indochinois, malgaches, antillais, avaient été au cœur de la libération de la France”. L’on sait aussi que la 2e Division Blindée du général Philippe Leclerc commença en Afrique, que Brazzaville fut la capitale de la France libre et que le gouverneur guyanais Félix Éboué fut parmi les premiers à se rallier à Charles De gaulle qui avait appelé à la résistance. Enfin, il est de notoriété publique qu’Africains et Antillais participèrent à la construction des “Trente Glorieuses”.

    Créée par Jean Fourastier, cette expression désigne “une période exceptionnelle de croissance qui profite à quasiment tous les pays industrialisés, durant une trentaine d’années, de la fin de la Seconde Guerre mondiale jusqu’au premier choc pétrolier, soit de 1945 à 1973” (cf. ‘Les Trente Glorieuses ou la révolution invisible’, Fayard, Paris, 1979). Hégésippe Jean Légitimus, élu député de la Guadeloupe en 1898 à 28 ans, le boxeur sénégalais Battling Siki, qui devint champion du monde en battant Georges Carpentier en 1922, le Guyanais Gaston Monnerville, qui dirigea le Sénat français de 1958 à 1968, le chanteur guyanais à succès Henri Salvador, le grand poète martiniquais Aimé Césaire, le joueur de tennis camerounais Yannick Noah qui remporta le tournoi de Roland-Garros de 1983 à l’âge de 23 ans, le Guadeloupéen Lilian Thuram dont les deux seuls buts permirent aux Bleus d’être sacrés vainqueurs de la Coupe du monde le 8 juillet 1998, Rama Yade ou la députée guyanaise ChristianeTaubira qui porta le projet de loi légalisant le mariage gay en 2013 font partie de ces Africains et Antillais qui jouèrent un rôle majeur en France.

    Ce n’est ni en gardant le silence sur ces hommes et femmes, ni en diabolisant la repentance, ni en refusant d’assumer un pan peu glorieux de son histoire, ni en faisant l’apologie de la colonisation qui ne fut pas civilisation mais“barbarie et chosification [parce qu’elle] arracha des millions d’Africains à leurs dieux, à leur terre, à leurs habitudes, à leur vie, à la vie, à la danse, à la sagesse” (Aimé Césaire, ‘Discours sur le colonialisme’, Paris, Présence Africaine, 1950) que la France aura des relations apaisées avec les descendants des colonisés. 

    Emmanuel Macron, en qualifiant en 2017 la colonisation de crime contre l’humanité et en confiant, le 24 juillet 2020, à l’historien Benjamin Stora une mission sur la mémoire de la colonisation et la guerre d’Algérie, voulait-il signifier qu’il en avait pris conscience ?  Ma réponse est “non” car, à regarder les choses de près, on s’aperçoit tout de suite que rien ne distingue la politique africaine de Macron de celle de ses prédécesseurs et que tous les présidents de la Ve République ont en commun les tares suivantes : maintien des bases militaires françaises en Afrique, éloge du franc CFA, vol des matières premières, soutien aux dirigeants incompétents et autoritaires qui servent les intérêts de la France, renversement ou assassinat des présidents africains qui refusent de se soumettre à l’ancienne puissance colonisatrice, immixtion dans les affaires internes des pays africains, etc.

    Bref, l’histoire et l’apport des Noirs au progrès et au rayonnement de la France sont volontairement occultés parce que, dans le subconscient des Francais, les Afro-Antillais restent “des Français entièrement à part et non des Français à part entière” selon la belle formule d’Aimé Césaire, parce que la France a “décolonisé sans s’auto-décoloniser (Achille Mbembe), parce qu’elle “a écrit son histoire de façon monochrome” (Pascal Blanchard dans ‘Noirs de France’, le documentaire réalisé en 2012 avec Juan Gélas).

    Ce n’est pas tenir un discours victimaire que d’affirmer que, même si “aucune institution, aucun organisme, aucune loi [ne] prône la ségrégation raciale, quand les Africains arrivent en France, la République les met dans des départements, des quartiers où ils se regroupent, nous n’agissons pas bien avec eux” (Kofi Yamgnane dans ‘Le Point’ du 13 juin 2020). À notre avis, la France peut encore rectifier le tir, c’est-à-dire faire en sorte que les Français d’origine africaine et antillaise ne soient plus perçus et traités comme des citoyens de seconde zone.

    Comme le résume bien l’universitaire Séverine Labat, “faute de donner une place à ces nouveaux Français dans notre récit national, la situation ne peut que perdurer et alimenter violences urbaines et tensions communautaires”. Il est vrai que les Noirs continuent d’être victimes du racisme au Canada et aux États-Unis, comme on l’a vu le 25 mai 2020 avec l’assassinat de l’Afro-Américain George Floyd par le policier blanc Derek Chauvin. N’empêche que célébrer l’histoire et la contribution des Noirs en février a conduit toute la société vers plus de reconnaissance de l’apport des Afro-Antillais dans l’Histoire de ces deux pays et vers plus de considération à leur égard. Autant dire qu’il ne suffit pas d’appeler à tourner la page car, avant de le faire, il faut prendre le temps de bien étudier cette page et d’en célébrer les héros jusque-là oubliés. 

    Jean-Claude DJEREKE

  • L’exemple de Touadéra fera-t-il école ailleurs en Afrique ?

    L’exemple de Touadéra fera-t-il école ailleurs en Afrique ?

    La Centrafrique a pu organiser les élections présidentielle et législatives à la date prévue (le 27 décembre 2020) alors qu’Anicet-Georges Dologuélé et les autres leaders de l’opposition soutenus et manipulés par Paris voulaient que ces élections soient reportées à cause de “l’insécurité et de la reprise des combats dans un pays contrôlé aux deux tiers par les groupes armés”, si l’on veut reprendre les mots de RFI, la Radio de l’influence française en Afrique francophone.

    Quelques jours plus tôt, une tentative de coup d’État qui devait profiter à François Bozizé, renversé en 2013 par les milices musulmanes de la Séléka, échouait lamentablement. Cette double victoire (l’échec du putsch et la tenue du double scrutin), on la doit indiscutablement à la Russie à laquelle Faustin-Archange Touadéra fit appel en 2018 pour l’entraînement des Forces armées centrafricaines (FACA). Plus tard, le pays de Poutine livra des blindés (les fameux BRDM-2 qui sont des véhicules de transport de troupes conçus dans les années 60) à l’armée centrafricaine soumise à un embargo sur les armes depuis 2014 et dépourvue d’équipement lourd. Il envoya ensuite plusieurs centaines de soldats à Bangui. Pour rappel, les premières armes fournies par Moscou arrivèrent dans le pays en janvier 2018 après des discussions entre le gouvernement centrafricain et les autorités russes en novembre 2017.  Des instructeurs militaires russes assureraient aujourd’hui la sécurité du président Touadéra. En contrepartie, des permis miniers furent accordés à des sociétés russes liées à Evgueni Prigojine perçu comme le principal financier de la société militaire privée russe Wagner.

    Cette présence russe, évidemment, est loin de plaire à la France qui pille l’or, l’uranium et le diamant centrafricains depuis 1960 sans que le pays n’ait connu la paix ni le développement. Le 2 novembre 2018, Jean Yves Le Drian, chef de la diplomatie française, n’accusait-il pas à demi-mot la Russie “d’utiliser potentiellement les difficultés de ce peuple et de ce pays pour s’implanter dans un continent où il y aurait des ambitions voilées” ? Ouvrant le Forum de Dakar sur la paix et la sécurité en Afrique et faisant allusion à Moscou, Florence Parly, ministre des Armées, enfoncait le clou en déclarant, le 5 novembre 2018, que “toute manipulation intéressée de puissance opportuniste serait inepte, indigne”. Bref, pour la France, “la présence russe en Centrafrique et les actions déployées par Moscou, comme les accords négociés à Khartoum à la fin d’août, ne peuvent contribuer à stabiliser le pays”. Certes, les groupes armés continuent de sévir çà et là mais plusieurs analystes sont d’accord pour constater que les violences ont considérablement baissé et que la Centrafrique se porte beaucoup mieux que quand Paris y régnait en maître absolu.

    Aujourd’hui, il ne s’agit pas, pour la France, d’affirmer que l’aide russe est moins importante que “les montants de l’aide française au développement ou l’aide européenne pour le pays et que les blindés livrés par l’armée ne permettront pas de rétablir l’autorité de l’État contre des groupes armés” (Roland Marchal), ni de se demander “quelle sera la légitimité du président et des 140 députés élus, quelle stratégie la Coalition des Patriotes pour le Changement va adopter maintenant et jusqu’où pourrait aller l’ancien président François Bozizé pour récupérer le pouvoir ” mais de se rendre compte qu’elle a largement échoué à tirer ses ex-colonies vers le haut et qu’elle ne s’est jamais préoccupée du bien-être des Africains. En tous les cas, les dirigeants français sont mal placés pour parler de légitimité en Centrafrique après avoir été incapables de dénoncer la candidature anticonstitutionnelle de Ouattara en Côte d’Ivoire. Personne ne peut prendre au sérieux un gouvernement à qui le retour de Bozizé en Centrafrique a semblé quelque chose de normal alors que l’ancien président avait été interdit en 2014 par l’ONU de voyager pour avoir soutenu des milices.

    De décembre 2013 à mars 2016, la France n’a pas été en mesure d’empêcher les massacres ethniques, ni de reconstruire l’armée centrafricaine, ni de fournir au pays des fusils d’assaut, des mitrailleuses et des lance-roquettes. Que devait faire Touadéra dans ces conditions ? Croiser les bras et regarder les groupes armés massacrer les populations ? Le président centrafricain fit ce qui lui paraissait bon pour son pays, c’est-à-dire conclure un accord de défense avec la Russie. Sans cet accord, un coup d’État aurait balayé son régime le 18 décembre et plongé le pays dans le chaos et l’incertitude. C’est cet appui militaire de la Russie qui, 6 ans plus tôt, sauva Bachar al-Assad aux prises avec les rebelles, les Occidentaux et les pays du Golfe. Que ce soit en Syrie ou en Centrafrique, la Russie a démontré une puissance de feu et une fidélité telles que les anciennes colonies françaises ne devraient pas craindre de faire appel à elle.

    À ceux qui estiment trop vite qu’on ne remplace pas un colon par un autre colon, il est facile de répondre que les Soviétiques n’ont jamais eu de colonie en Afrique et qu’ils ont plutôt contribué à la décoloniation du continent en apportant un soutien économique et militaire massif à des mouvements de libération tels que le FLN (Algérie), le MPLA (Angola), le FRELIMO (Mozambique). l’ANC (Afrique du Sud), la SWAPO (Namibie), etc. D’autres feront valoir que nous parlons la langue de Molière, que nous avons épousé des Français ou des Françaises, que nous avons étudié dans des écoles françaises, etc.

    À mon avis, cet argument qui est plus affectif que rationnel ne peut plus prospérer quand on se rappelle que les soi-disant amis de l’Afrique francophone ne se gênèrent point pour dévaluer le franc CFA le 11 janvier 1994 et bombarder en mars-avril 2011 le palais construit par Houphouët, qu’ils boycottèrent les obsèques officielles de Léopold Sédar Senghor à Dakar le 29 décembre 2001, qu’ils laissent leurs médias couvrir de boue tout dirigeant africain qui refuse de se soumettre à l’ancienne puissance coloniale. La France n’est pas dans l’affectif mais dans le pragmatisme. Comme plusieurs pays occidentaux, elle a toujours fait sienne la doctrine du Britannique Henry John Temple alias Lord Palmerston : “ We have no eternal allies, and we have no perpetual enemies. Our interests are eternal and perpetual, and those interests it is our duty to follow.” Traduction : Nous n’avons pas d’alliés éternels et nous n’avons pas d’ennemis perpétuels. Nos intérêts sont éternels et perpétuels, et il est de notre devoir de suivre ces intérêts.

    Quels sont nos intérêts aujourd’hui et qui peut nous aider à mieux les défendre tout en respectant notre souveraineté ? Telle est la question à laquelle nous devons trouver une réponse. Invoquer sans cesse les relations historiques qui unissent les pays africains à la France, c’est non seulement verser dans le sentimentalisme le plus puéril mais refuser de grandir et de s’émanciper.

    Jean-Claude DJEREKE

  • La CPI redorera-t-elle son blason les 6 et 7 février 2020 ?

    La CPI redorera-t-elle son blason les 6 et 7 février 2020 ?

    «Insubmersible » est l’adjectif qui me vient spontanément à l’esprit quand je relis le parcours politique de Laurent Gbagbo, tant il est vrai que les épreuves auxquelles il fut confronté tous les dix ans n’ont réussi ni à le faire plier ni à tuer en lui le rêve d’une Côte d’Ivoire maîtresse de son destin ni à lui enlever le désir de se battre pour la justice et la vérité.

    En 1982, en effet, il est faussement accusé avec Bernard Zadi Zaourou et Pierre Kipré de vouloir renverser le régime d’Houphouët, à la suite de quoi il s’exile en France via ce qui était encore la Haute-Volta. Cet exil lui permet de montrer, à travers conférences et articles dans la revue “Peuples noirs, Peuples africains” de l’immense Mongo Beti, la face cachée et peu reluisante du régime Houphouët. En février 1992, il est emprisonné avec son épouse et d’autres démocrates ivoiriens après une marche que le pouvoir avait infiltrée de casseurs et de loubards et au cours de laquelle il faillit être assassiné. Ce jour-là, il eut la vie sauve grâce au colonel Christophe Batté.

    En 2002, le pays est attaqué par une rébellion financée en grande partie par Dramane Ouattara, pendant que Laurent Gbagbo est en visite officielle à Rome. Alors que Jacques Chirac lui propose par l’entremise de Robert Bourgi de trouver refuge en France, il préfère rentrer dans son pays pour mener avec ses compatriotes la résistance à cette attaque barbare et injustifiée. En avril 2011, la résidence présidentielle où il se trouve avec parents, amis et collaborateurs est bombardée pendant plusieurs jours par la coalition franco-onusienne. Des centaines de jeunes, qui étaient autour de cette résidence, sont massacrés. Désiré Tagro, ministre de l’Intérieur et négociateur des accords de Ouagadougou (4 mars 2007), reçoit une balle dans la bouche malgré le drapeau blanc agité par lui pour appeler à l’arrêt des bombardements.

    Tous ces douloureux événements auraient pu le décourager, voire le briser, mais Laurent Gbagbo s’est toujours relevé, a toujours tenu bon, a toujours rebondi, a toujours porté sa croix avec dignité et sans amertume. La France et sa marionnette croyaient pouvoir le faire oublier en le déportant secrètement à la Haye comme si elles étaient conscientes de faire quelque chose d’illégal et d’immoral ; elles ont fait de lui un héros admiré et adulé partout sur le continent africain ; elles pensaient le discréditer et le rabaisser ; mal leur en a pris car elles l’ont hissé au même niveau que les Ruben Um Nyobè, Félix‑Roland Moumié, Kwame Nkrumah, Patrice Emery Lumumba, Amilcar Luis Cabral, Samora Machel, Julius K. Nyerere, Nelson Mandela…

    Mon but, en écrivant ces lignes, n’est pas de canoniser l’ancien président ivoirien qui, à maintes reprises, a confessé avoir commis des erreurs dans la gestion du pouvoir. Par ailleurs, ceux qui me connaissent savent que l’idolâtrie des hommes politiques ou religieux ne fait pas partie de mes modestes talents. Ma seule motivation ici est de dire que l’Afrique n’est pas en panne de repères ou de modèles et que certaines qualités de Laurent Gbagbo peuvent contribuer, si chacun de nous se les approprie, au réarmement moral des Africains et au repositionnement de leur continent sur la scène internationale.

    Une de ces qualités est la compassion. Ce mot vient du verbe latin “cum-patire” qui signifie “souffrir avec”. Laurent Gbagbo est compatissant, c’est-à-dire qu’il aime souffrir avecet pour; il est prompt à voler au secours de celui qui est en souffrance ou en détresse. C’est cette compassion qui le poussa à soutenir Martial Ahipeaud et ses camarades de la FESCI en prenant la tête d’une marche pacifique en 1990. Il posera le même geste en 1992 pour les étudiants tabassés et les étudiantes violées par un groupe de militaires à la cité universitaire de Yopougon en mai 1991. Pendant la campagne électorale pour la présidentielle de 2000, il promet aux planteurs ivoiriens d‘augmenter le prix d’achat du cacao et du café s’il est élu. C’était sa manière à lui de se solidariser avec eux. Il tint parole en fixant le prix du cacao à 1100 f CFA. De nos jours, le cacao de nos parents serait acheté à 825 f CFA le kg. Et certaines personnes, abonnées à la mauvaise foi et engluées dans le crétinisme le plus abject, osent affirmer que Dramane Ouattara a fait plus que tous ses prédécesseurs ! En 2003, il offrit à la République d’Angola, menacée par la famine, des vêtements et de la nourriture.

    En septembre 2009, il décaissa 500 millions de F CFA en faveur du Burkina Faso, tuteur et base arrière de la meurtrière rébellion, pour réconforter les victimes des inondations. Ces exemples et d’autres montrent que, pour Laurent Gbagbo, défendre la cause des autres (les petits, les faibles, les spoliés et les persécutés) a toujours été une priorité. Il approuverait naturellement les propos de Frantz Fanon dans sa lettre à Roger Taïeb : “Nous ne sommes rien sur terre, si nous ne sommes pas d’abord l’esclave d’une cause, celle des peuples et celle de la justice et de la liberté”. Mais cette sensibilité aux déboires d’autrui ne relève pas du hasard, tant s’en faut, car, en dida comme en bhété, le nom que lui donna son père à sa naissance signifiait déjà cela. De fait, et ici je parle sous le contrôle de ceux qui m’initièrent à la linguistique africaine à l’Université de Cocody en 1986-1987, le nom « Gbagbo » veut dire “Fais mon ou notre palabre / parle pour moi ou pour nous/défends ma ou notre cause”. Le vieux Paul Koudou désirait-il que son fils se batte pour les opprimés et défavorisés ? Il n’est pas sûr qu’il nous réponde. Une chose est certaine, c’est que, si Laurent Gbagbo avait arrêté de se soucier des autres et de faire leur palabre, il serait allé tranquillement en exil avec sa famille au lieu de subir les bombardements de la coalition franco-onusienne en avril 2011.

    Je voudrais m’appesantir, en second lieu, sur le courage de l’homme. Au début des années 1990, la Côte d’Ivoire était un pays où les libertés fondamentales – parmi lesquelles la liberté d’opinion, la liberté d’expression et la liberté d’association – étaient confisquées par Félix Houphouët. Celui-ci était hostile à l’existence d’autres partis politiques, syndicats et journaux que les siens. Pour lutter contre cet état de choses, Gbagbo ne demanda pas aux Ivoiriens de l’extérieur de rentrer à Abidjan. Il ne les attendit pas pour mener la lute contre la pensée unique. Il mobilisa plutôt sur place des hommes et des femmes épris de justice et de liberté. C’est avec ces personnes-là qu’il protesta pacifiquement, le 18 février 1992, contre la décision d’Houphouët de ne pas sanctionner les militaires qui, en pleine nuit, avaient conduit une expédition punitive à la cité universitaire de Yopougon en mai 1991. Houphouët avait plus de moyens et plus de soutiens à l’Élysée que Dramane Ouattara. Gbagbo savait donc à quoi il s’exposait sous un régime qui crachait du feu mais jamais il ne fit le choix du silence et de l’inaction. Il fallait un sacré courage pour faire comprendre à Houphouët que la fin de l’exil en France (1988) ne voulait pas dire que Gbagbo n’allait plus se battre pour la justice et la démocratie dans son pays. Il en fallait davantage pour affronter le même Houphouët à l’élection présidentielle d’octobre 1990.

    C’est cet homme courageux que la France, mal à l’aise avec les Africains lucides et indépendants d’esprit, a voulu faire passer pour un criminel et pour un mauvais perdant s’accrochant au pouvoir. Elle n’a donc pas accepté le non-lieu prononcé par le juge italien Cuno Tarfusser en faveur de Laurent Gbagbo. Pour ne pas s’avouer vaincue, elle trouva des raisons farfelues pour le maintenir en Belgique pendant un an, ce qui est un vrai non-sens et une flagrante injustice qui devrait choquer et révolter les soi-disant intellectuels et bien-pensants occidentaux car n’est-il pas injuste et absurde d’accorder une liberté sous conditions à une personne déjà acquittée ? La Cour pénale internationale, soupçonnée d’être manipulée par la France et de garder Laurent Gbagbo loin de son pays jusqu’à la fin des 10 ans au pouvoir de Ouattara, redorera-t-elle son blason les 6 et 7 février 2020 après avoir fait preuve de légèreté et de racisme en empêchant un résistant africain de rentrer dans son pays malgré le fait qu’il a été blanchi le 15 janvier 2019 ?

    Jean-Claude DJEREKE

  • Aboudrahamane Sangaré : Une vie au service de la Côte d’Ivoire

    Aboudrahamane Sangaré : Une vie au service de la Côte d’Ivoire

    Alors que chacun de nous espérait qu’il tiendrait le coup jusqu’à la libération de Laurent Gbagbo pour faire la passation de service avec lui, voici qu’Aboudrahamane Sangaré nous quitta, le 3 novembre 2018.

    Ce jour-là et les autres qui suivirent furent vécus ici et là comme une catastrophe, tant nous étions assommés, dévastés, anéantis. Nous pleurâmes et pleurâmes alors, versant quantité de larmes. Cette subite disparition nous apparaissait comme une injustice, nous mettait en colère, et nul ne savait où trouver la force de porter la croix de cette autre cruelle épreuve, après le départ inattendu de Raymond Abouo N’Dori et de Marcel Gossio. Nous en étions réduits à nous demander pourquoi le sort nous frappait et nous malmenait de cette façon, sept ans après le renversement et la déportation de Laurent Gbagbo par les forces impérialistes.

    Bref, sans crier gare et avant de remettre les clés du « Temple » à son alter ego, Sangaré s’en alla mais il restera de lui ce qu’il a semé et ce qu’il a partagé aux mendiants de la liberté et de la justice. Ce qu’il a semé et partagé, en d’autres, en nous, germera. Mais qu’a-t-il semé et partagé ? Quel est le message essentiel qu’il nous laisse et que nous avons l’obligation de faire fructifier ?  Ceux qui lui ont rendu hommage ont déjà mis en exergue le fait qu’il savait s’effacer pour que les autres occupent le devant de la scène (il déclina, par exemple, la Primature au profit de Pascal Affi N’Guessan) et qu’il avait de solides convictions sur lesquelles il ne transigeait pas.

    À juste titre, ils ont montré combien il était incorruptible, comment son amitié avec Gbagbo était aussi forte que celle qui unissait Montaigne et La Boétie et comment il lutta pied à pied pour que le parti ne perde pas son âme car, chez lui, dialoguer ne voulait pas dire se soumettre à ceux qui mirent le pays à feu et à sang en 2010-2011, encore moins leur demander pardon. Je n’y insisterai donc pas. Je voudrais plutôt braquer les projecteurs sur quelques paroles fortes puisées dans le dense discours qu’il adressa aux militants venus présenter les vœux de nouvel an à Laurent Gbagbo, le 27 janvier 2018.

    Ce discours, on n’aurait pas tort de le percevoir comme son testament politique, tout comme son accolade à Simone Gbagbo, fraîchement sortie de prison, peut être interprétée comme le passage de témoin avant l’heure entre les deux personnes.  Sangaré part, sans avoir vu la nouvelle Côte d’Ivoire comme Moïse ne put entrer avec « le peuple élu » à Canaan, la terre promise. Qui sera le Josué du FPI ? Les dirigeants, s’appuyant sur les textes du parti et dans un esprit de vérité et de justice, désigneront, le moment venu, la personne à même de poursuivre la mission de libération de la Côte d’Ivoire. Pour ma part, je voudrais revenir sur trois choses qui m’ont frappé dans l’allocution citée plus haut.

    La première chose, c’est qu’il savait reconnaître le travail, les talents et les mérites des autres, ce qui signifie qu’il n’était pas homme à tout ramener à lui. C’est ainsi qu’il fit l’éloge de Miaka Ouretto Sylvain, d’Amadou Traoré alias « Le Puissant » (celui-ci et Laurent Gbagbo, Bernard Zadi Zaourou et Assoa Adou avaient pris à Strasbourg en 1969 l’engagement que « celui qui de-meurerait en vie devait tout faire pour conquérir le pouvoir et changer la Côte d’Ivoire »), salua et remercia les Ivoiriens qui marchent, vont à la Haye, écrivent, chantent, organisent des conférences-débats, font des vidéos ou animent des forums. Sangaré estimait que tous ces Ivoiriens avaient droit à la reconnaissance du Parti parce qu’ils luttaient pour une Côte d’Ivoire libre et souveraine.

    La deuxième idée-force qui émerge de cette adresse est « le militantisme de proximité » défini par lui comme « la manière d’être proche des gens ». Et, pour Sangaré, être proche des gens signifiait concrètement « être généreux, ouvrir les bras aux personnes qui veulent adhérer au FPI, aller les chercher, leur expliquer le FPI dans la Côte d’Ivoire, les rassurer sur notre combat, sur notre organisation,  les accueillir avec humilité et considération ».

    Le parti fit-il toujours preuve de cette générosité et de cette ouverture ? Voici la réponse, lucide et humble, de Sangaré : « En 2017, notre ancrage dans la société civile a manqué de profondeur. Des initiatives ont été prises, des contacts ont été noués mais le mur de méfiance n’est toujours pas tombé. En 2018, nous devons améliorer notre image dans la société civile. La société civile a un rôle à jouer dans l’éveil de la conscience nationale.

    Le FPI doit avoir une familiarité avec le monde syndical et associatif, utiliser leurs ré-seaux multiples pour nouer ou renouer des liens. » Et Aboudrahamane Sangaré de rappeler utilement que « le FPI est fils du syndicalisme et [que] les valeurs fondamentales du syndicalisme et les valeurs fondamentales du FPI se rejoignent : la solidarité, l’union, l’honnêteté et la constance dans l’engagement ». Ayant compris que le FPI ne peut pas apporter tout seul le changement auquel aspirent la majorité des Ivoiriens, convaincu que « c’est ensemble que nous parviendrons à faire bouger les lignes », il jugea important, dans le même discours, d’inviter ses camarades à « développer des initiatives en direction de la société civile pour discuter avec elle, la rassurer afin d’abattre le mur de méfiance et de suspicion ».

    La troisième idée qui m’a séduit est l’appel à ne pas abandonner la lutte pour la liberté et la justice « même si l’adversité est rude ». Il souhaitait que cette lutte s’intensifie en 2018 afin que les Ivoiriens puissent délivrer la Côte d’Ivoire prise en otage et pillée par des gens sans foi ni loi car Sangaré ne voyait pas les partis politiques comme une fin en soi mais comme des instruments dont le rôle est d’utiliser les moyens de l’État pour améliorer la vie des populations.

    Pour lui, ou bien nous acceptons de mener cette lutte, ou bien « nous devons nous taire à jamais et applaudir Monsieur Ouattara dans son ambition de briguer un troisième mandat ou de se choisir un successeur ». Et, comme s’il s’adressait à ceux qui sont tentés de céder au découragement, il ajouta : « Il nous faut réveiller en nous une âme de combattant. Nous devons être des ambitieux dont les ambitions n’étranglent pas la témérité. Nous devons avoir le courage de nos choix. On ne vit réellement que si on est prêt à mourir pour une cause. Pour affronter la vie, il faut savoir affronter ses peurs. Et vous ne vivrez pas tant que vous aurez peur.  Nous sommes engagés dans une bataille décisive : le combat pour la délivrance de la Côte d’Ivoire.

    Ce n’est pas un combat de positionnement mais de survie de la Côte d’Ivoire. Il n’y a donc pas de place pour les murmures. Il n’y a pas de place pour l’hésitation. » Cet homme, qui était habitué à souffrir en silence et refusa d’entrer dans le jeu politique pour ne pas « être l’accompagnateur servile et docile de Monsieur Ouattara, son faire-valoir », envoie ici un message fort à ceux qui attendent d’être récompensés pour avoir fait ceci ou cela pour et/ou dans le parti au lieu de voir les choses en termes de responsabilités. « On ne vit réellement que si on est prêt à mourir pour une cause ». Ces mots, Sangaré ne se contenta pas de les prononcer.

    Il les vécut douloureusement dans sa chair en subissant avec d’autres, pendant plusieurs jours, le pilonnage de la résidentielle présidentielle par les soldats français. Contrairement à certains qui faisaient de beaux discours sur la fidélité et la résistance avant le 11 avril 2011 mais se montrèrent incapables d’incarner ces valeurs au moment où il le fallait, contrairement à ceux qui bombaient le torse en disant qu’il faudrait marcher sur leurs corps avant d’atteindre Gbagbo mais furent les premiers à prendre la fuite, lui partagea l’infortune et l’épreuve de Laurent Gbagbo, porta la croix avec lui, démontrant ainsi qu’il était fidèle en amitié et prêt à mourir pour la Côte d’Ivoire. L’amour se prouve plus par les actes que par les déclarations.

    Le discours sans le vécu n’est que démagogie et mystification. En un mot, il ne sert à rien de faire croire qu’on aime Gbagbo plus que tout le monde, de prononcer son nom toujours et partout, si on n’est même pas en mesure de prendre part à une petite marche organisée ici ou là pour réclamer sa libération. Pourquoi certaines personnes fuyaient-elles les marches ? Parce qu’elles avaient peur du dictateur d’Abidjan, parce qu’elles ne voulaient pas d’ennuis avec lui. Sangaré ne faisait pas partie de cette race de faux résistants et de vrais poltrons.

    Emprisonné entre avril et décembre 1994 en même temps que des journalistes de « La Voie » accusés d’incitation à la violence, Sangaré a toujours été favorable à la libre discussion. Il convient d’avoir cela en tête pour comprendre pourquoi il convoqua en 2017 un séminaire sur le FPI pour « jeter un regard inquisiteur sur lui-même, examiner, enquêter sur les incohérences, les défaillances et les carences du parti dans une démarche décomplexée ». S’il était pour la confrontation des opinions, ce qui lui importait le plus, c’était l’action. Pour lui, il fallait bouger au lieu de regarder les impérialistes et leurs valets détruire petit à petit la Côte d’Ivoire.

    Comme le pasteur Martin Niemöller (1892-1984) dénonçant la lâcheté et le silence des intellectuels allemands au moment où les nazis arrêtaient les gens les uns après les autres, il ne cessa de mettre les Ivoiriens en garde contre l’indifférence. Il se reconnaîtrait volontiers dans ces mots de Niemöller : « Quand les nazis sont venus chercher les communistes, je n’ai rien dit, je n’étais pas communiste. Quand ils ont enfermé les sociaux-démocrates, je n’ai rien dit, je n’étais pas social-démocrate.

    Quand ils sont venus chercher les syndicalistes, je n’ai rien dit, je n’étais pas syndicaliste. Quand ils sont venus me chercher, il ne restait plus personne pour protester. » Pour lui, un homme ne laisse jamais faire, ne dit pas « Ce n’est pas mon affaire » mais doit s’indigner, bouger, protester, parler quand un autre homme est humilié, piétiné, opprimé ou torturé. Sangaré aura été cet homme que la détresse et la souffrance de l’autre ne laissaient pas indifférent et tranquille.

    C’est ce passionné de l’homme, de la justice, de la liberté et de la démocratie que la Représentation du FPI aux États-Unis d’Amérique veut honorer et célébrer le 24 novembre 2018 à Philadelphie, de 15 h à 1 h du matin.

    Jean-Claude DJEREKE