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Étiquette : Interview réalisée par Bobo Ousmanou
Évaluation des réformes de la Cemac : La fin de la complaisance budgétaire!
D’une Cemac des hydrocarbures et des ajustements constants à une Cemac dynamique et créatrice d’emplois, de richesses et de croissance! On pourrait s’amuser à paraphraser en ces termes la mission du Programme de réformes économiques et financières de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (Pref-Cemac).
Rendue à sa troisième année, la structure dont les actions, depuis le triple choc de 2014, doivent concourir, à la stabilisation du cadre macroéconomique et la réalisation d’une transformation structurelle des économies, vient de livrer son rapport annuel 2019.
L’action du programme a connu une montée en puissance certaine, traduite par l’amélioration nette des scores sur toutes les cibles. Trois années après sa mise en eau, 1 an après le sommet extraordinaire de la Cemac de Yaoundé en 2016, la montée en puissance du Pref-Cemac et son année 2019 symbolisent surtout la santé relative retrouvée.
Le Pref-Cemac est aussi le visage d’une Cemac qui s’accroche viscéralement à protéger la viabilité de sa monnaie et peine à faire exploser son exceptionnel potentiel économique et humain pour créer plus de richesses, d’emplois et donc d’opportunités. La diversification économique et l’optimisation des structures économiques sont des visées admises et validées. Mais la production pétrolière demeure un élément majeur de bonne performance économique. Le rapport annuel 2019 traduit cette image!
Le dossier proposé par le journal Intégration tire avantage de la présentation du rapport annuel 2019 pour dresser la situation des réformes économiques et financières de la Cemac et leur appropriation par les États.Au cours de l’année 2019, les six États de la Cemac ont globalement amélioré la mise en application des mesures visant la réduction des déficits publics.
Les résultats obtenus au terme de l’année 2019 par le programme de réformes économiques et financières de la Cemac (Pref-Cemac) traduisent une certaine assiduité dans le respect de la discipline économique et financière par les 6 États de la Cemac. De manière schématique, 6 réformes sur 10 (au moins) ont été complètement mises en œuvre par les États selon le rapport annuel 2019.
Dans la maitrise d’actions du Pref-Cemac, les piliers où on observe une bonne performance des États sont ceux qui ont trait à la bonne santé des comptes publics. Il s’agit des piliers 1, 2 et 5. Il s’agit des actions de réforme des politiques budgétaires (pilier 1), politique monétaire et système financier (pilier 2) et coopération internationale (pilier 5).
Structure
Le pilier des politiques budgétaires connait une performance de 90,3%. Ce score est acquis grâce aux mesures visant la réduction des subventions aux entreprises mises en œuvre par 3 pays sur 6. La maitrise de la masse salariale concourt également à cette bonne performance: 4 pays sur 6 ont initié des actions en ce sens. En outre, les pays ont agi pour sécuriser les recettes fiscales et douanières. Le tableau ci-contre précise les scores par objectifs de ce premier pilier.Le pilier 2 sur la politique monétaire et le système financier réalise une note globale de 74,7%. La reconstitution des réserves de change en est le fait majeur: elles sont passées de 3 776,7 milliards FCFA en 2018 à 4 371,5 milliards FCFA en 2019, soit une hausse de 16% entre 2018 et 2019. Avec le renforcement de l’autonomie de la banque centrale par l’adoption des statuts qui consacrent l’interdiction des financements directs de la banque centrale aux États, la politique monétaire a été améliorée. Pour ce qui est du système financier, on peut évoquer la redynamisation des marchés financiers à travers la restructuration et l’optimisation des structures du marché financier unifié (régulateur, bourse et dépositaire central unique). On a également la réforme de la Banque de développement de l’Afrique centrale (BDEAC) qui repart avec des résultats nets bénéficiaires depuis bientôt 3 ans.
Le pilier 5 renvoie à la coopération internationale et porte non seulement sur la négociation et la conclusion des partenariats avec le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale, mais aussi sur la tenue de toutes les revues. Sa note globale annuelle est de 100%.
Optimisation
Un autre indicateur qualitatif vient magnifier la bonne année 2019 du Pref-Cemac. Depuis son entrée en opérationnalisation, il s’agit des meilleures performances que les États aient pu réaliser. L’évaluation à fin 2019 des actions mises en œuvre dans le cadre du Pref-Cemac indique une note globale de 63,3 points, en augmentation de 17,5 points par rapport au résultat de 2018 (45,8 points) sur l’ensemble des piliers du programme avec des performances plus ou moins importantes, d’un pilier à l’autre. Par rapport à l’ensemble des cibles du Pref-Cemac à l’horizon 2021, le taux de réalisation obtenu en 2019 est de 61,4%. En fin 2018, ce taux de réalisation était de 44,5%. À la conférence de presse de présentation du rapport annuel 2019 du Pref-Cemac, le 3 septembre 2020, le secrétaire permanent de ladite structure explique que ces résultats mettent en lumière «une accélération de la mise en œuvre du programme en 2019».Transformation structurelle
Mention médiocre
Avec 44,6% d’implémentation de mutations des structures économiques, les États de la Cemac demeurent toujours englués dans le cercle vicieux.
Le défi structurel urgent des pays de la Cemac est bien celui de la diversification économique et partant de l’industrialisation. Cette conviction, partagée par l’ensemble des partenaires et les États eux-mêmes, est constante depuis au moins 2014, lorsque les prix des matières (notamment le pétrole) ont chuté sur le marché international.
Pourtant, depuis 2018, date du début d’évaluation des réformes économiques dur Pref, les réformes structurelles sont en timide implémentation. Au terme de l’année 2019, elles n’ont connu que 44,6% de mise en œuvre. C’est le pilier le moins performant!
Mobiles
Plusieurs facteurs pourraient justifier cette situation: l’orientation d’ajustement budgétaire des programmes de première génération avec le FMI; l’absence de ressources financières suffisantes pour induire une industrialisation conséquente; l’omniprésence du secteur public; l’étroitesse du cadre macroéconomique pouvant aménager un environnement accommodant de compétitivité…Toutefois, on constate que les réformes d’amélioration du climat des affaires piétinent; l’orientation partenariat public privé se met timidement en place; un consensus national et sous régional sur la compétitivité (filières de production et de croissance, chaine de valeurs, spécialisation et complémentarités, priorisation) reste inexistant.
Pr Michel-Cyr Djiena Wembou a expliqué la performance de ce pilier au cœur des réformes de la Cemac à la conférence de presse du 3 septembre 2020. Il indique que «les États n’ont pas toujours mis en place, de manière vigoureuse, les réformes qui concourent à l’amélioration du climat des affaires, à la diversification des économies et au renforcement du capital humain, facteur important pour l’amélioration de la productivité. En effet, seulement 37,9% des actions à mener jusqu’en 2021 ont été accomplies pour ce pilier».
La situation est inquiétante et le rapport va plus loin dans la démonstration de cette conclusion. Sur des cibles primordiales telles que la diversification, le développement du secteur privé ou encore le financement alternatif des économies, toutes les notes par objectif sont inférieures à la note globale. La diversification économique et le développement du secteur privé enregistrent 42,2%. En matière de développement des formes alternatives de financement des économies, les États enregistrent une note globale de 33,9%.
Seule la performance sous régionale de l’amélioration du climat des affaires connait une performance au-dessus de la note globale sous régionale et au-dessus de la moyenne: 54,6%.
Pour le secrétaire permanent du Pref Cemac, beaucoup restent à faire sur ce pilier qui est central dans la transformation des économies de la Cemac». Michel-Cyr Djiena Wembou suggère d’ailleurs que, en plus des mesures prévues dans le Pref-Cemac, il serait de bon ton que l’obligation de transformation locale de plus de 85% des grumes de bois, qui est appliquée par presque tous les pays de la zone, soit étendue à toutes les matières premières exploitées dans l’espace Cemac».
BO
Le Pref permet à la Cemac de disposer d’une instance appropriée pour la prise de décisions rapides et concertées
Les efforts ont davantage été portés sur les ajustements budgétaires et financiers afin de satisfaire les conditionnalités nécessaires au décaissement des ressources financières, et non sur les politiques et réformes structurelles
Professeur titulaire des facultés françaises de droit et de sciences politiques, muni d’une riche carrière de fonctionnaire international au service du développement de l’Afrique, Michel-Cyr Djiena Wembou, est depuis 2017, secrétaire permanent du Programme de réformes économiques et financières de la communauté économique des États de l’Afrique centrale (Pref-Cemac). Dans un entretien dense, lucide et exclusif au journal Intégration, il dresse le bilan des réformes menées au cours de l’année 2019 et souligne les insuffisances remarquées.
Pr Michel-Cyr Djiena Wembou Monsieur le secrétaire permanent, le rapport annuel sur la mise en œuvre du Pref-Cemac indique que l’année 2019 était la plus prolifique. La performance d’exécution sous régionale est de 63,3 points, par rapport à la note globale et 90,1 points pour les cibles du programme. En pourcentage, les résultats de l’ensemble des piliers par objectif se situent à 70,2%. Qu’est-ce qui explique l’amélioration des résultats par rapport à 2018?
La mise en œuvre du Pref-Cemac, comme la mise en œuvre des programmes en général, a connu sa phase de montée en puissance en 2017 et 2018, avant de prendre sa vitesse de croisière en 2019 avec la réalisation de plusieurs activités. Les résultats de 2019 sont soutenus par des faits marquants.Depuis sa mise en place, le Pref a bénéficié d’un accompagnement important des plus hautes autorités de la Cemac. Cet accompagnement s’est matérialisé par la tenue régulière des sessions du Comité de pilotage avec, à chaque fois, la mobilisation effective de tous les ministres des Finances, de l’Économie et de l’Intégration des pays de la Cemac. La tenue régulière de ces sessions, sous la présidence de monsieur Gilbert Ondongo, ministre d’État, ministre de l’Économie, de l’Industrie et du Portefeuille public de la République du Congo, a permis un suivi régulier et méticuleux des différents dossiers. Des échanges francs avec toutes les parties prenantes, et notamment avec les partenaires techniques et financiers, les représentants du patronat d’Afrique centrale et des sociétés multinationales opérant dans la zone Cemac, ont aussi permis le bon dénouement des situations parfois épineuses. Le Pref permet ainsi à la Cemac de disposer d’une instance appropriée pour la prise de décisions rapides et concertées sur l’accélération des réformes structurelles et le renforcement de l’intégration physique et commerciale.
Les principales réalisations faites dans le cadre du Pref-Cemac à ce jour sont assez concrètes et visibles, et leurs impacts sur la situation économique de nos pays sont manifestes.De nombreuses avancées ont été réalisées. Sans être exhaustif, nous pouvons mentionner: la reconstitution des réserves de change de la Cemac; l’ouverture du dialogue avec les sociétés exploitant les ressources naturelles dans la zone Cemac en vue du rapatriement des recettes d’exportation; la priorisation des projets intégrateurs et la mobilisation des bailleurs en vue de leur financement; la fusion effective des deux marchés financiers de la sous-région, l’achèvement de la réforme de la Bdeac; la mise en œuvre effective de la libre circulation des personnes et des biens; la conclusion et l’application par tous les États membres des programmes économiques et financiers soutenus par le FMI; ainsi que l’adoption par les États membres d’une série de mesures visant à réduire l’ampleur importante de leur déficit budgétaire observée au début de la crise qui a secoué la sous-région.
L’entrée en programme avec le FMI du Congo et de la Guinée Équatoriale peut-elle également être considérée comme une contribution significative à part entière?
Les chefs d’État avaient prescrit en décembre 2016, lors de leur Sommet extraordinaire de Yaoundé, la conclusion à brève échéance des programmes financiers avec le FMI. La mise en œuvre de cette recommandation a connu quelques difficultés dans certains pays du fait des conditions et des préalables à remplir avant la signature des programmes financiers. La persévérance et la détermination de tous les États ont permis qu’en 2019 tous les pays de la Cemac soient sous programme avec le FMI. L’entrée sous programme avec le FMI du Congo et de la Guinée Équatoriale a contribué à la réalisation de 100% de l’objectif du pilier 5 du Pref-Cemac, qui porte sur la coopération internationale. Une chose est d’entrer en programme avec le FMI et une autre est d’évaluer ces programmes pour savoir si les objectifs ont été atteints. Dans cette perspective, les ministres membres du Comité de pilotage (Copil) du Pref-Cemac ont prescrit l’élaboration d’un nouveau cadre stratégique pour les accords de seconde génération avec les partenaires techniques et financiers, qui devraient désormais être orientés vers la croissance et la lutte contre la pauvreté, afin de renforcer la résilience de nos économies et de contribuer à l’amélioration véritable des conditions de vie des populations.Le rapport 2019 fait observer que les piliers 5, 1 et 2 enregistrent les meilleures performances du Pref avec respectivement 100%, 90,3% et 74,7%. On pourrait y conclure que les États de la Cemac sont studieux dans la mise en œuvre des mesures d’ajustement et de stabilisation budgétaires au cours de la période sous revue. Pourtant, on remarque que les États ont de la peine à respecter les critères de convergence de la surveillance multilatérale. Bien plus, les 4 États qui achèvent les programmes économiques avec le FMI n’ont pas retrouvé la viabilité budgétaire, si l’on s’en tient aux importants déficits budgétaires identifiés dans leur loi de finances. A-t-on caché la situation réelle des pays de la Cemac?
Non, absolument pas. La situation réelle de la Cemac ne peut être cachée. Nos partenaires techniques et financiers ont des moyens de vérifier notre situation macroéconomique. Ces partenaires participent aux réunions du Copil et si la situation que l’on présente n’était pas la réalité, ils trouveraient les moyens de marquer leur désapprobation.
Pour revenir à votre question, il faut se pencher sur la mission du Pref ainsi que sur les objectifs que la mise en œuvre des actions poursuit. Les actions et initiatives prévues dans la matrice du Pref devaient permettre un redressement rapide de notre situation macroéconomique. Cette situation est aujourd’hui en partie redressée; la croissance est de retour; les réserves de change ont un niveau acceptable. Les autres actions du Pref devraient permettre de consolider cette embellie retrouvée. Il devrait s’en suivre une situation budgétaire beaucoup plus viable, et le respect des critères de convergence devrait donc s’améliorer pour les pays. Je pense que cette dynamique a été enclenchée et est en cours de se consolider. Les différents rapports de surveillance multilatérale vont dans ce sens. En 2016 avant la mise en œuvre du Pref, aucun pays de la Cemac ne respectait tous les critères de convergence. Aujourd’hui, la situation est beaucoup plus reluisante. Sur chaque critère, deux ou trois États les respectent. Le meilleur reste donc à venir, il faut continuer à travailler.
Pouvez-vous nous faire le point sur les réformes structurelles qui ont enregistré de faibles performances dans l’évaluation du Pref-Cemac pour l’année 2019?
À fin 2019, ce pilier est celui sur lequel des efforts restent à faire en termes de réalisations. Les États n’ont pas toujours mis en place, de manière vigoureuse, les réformes qui concourent à l’amélioration du climat des affaires, à la diversification des économies et au renforcement du capital humain, facteur important pour l’amélioration de la productivité. En effet, seulement 37,9% des actions à mener jusqu’en 2021 ont été accomplies pour ce pilier. En ce qui concerne en particulier l’objectif général 9 qui porte sur le renforcement de la diversification économique et le développement du secteur privé, seulement 36,9% des actions prévues jusqu’en 2021 ont été réalisées.Pour l’objectif général 10, en rapport avec l’amélioration du climat des affaires, 41% des mesures prévues par rapport à la cible 2021 ont été réalisées. Enfin, en ce qui concerne l’objectif général 11, relatif au développement des formes alternatives de financement des économies, 33,9% des actions prévues ont été réalisées. Il reste beaucoup à faire sur ce pilier qui est central dans la transformation des économies de la Cemac. Toutes les actions restantes sont mentionnées dans la matrice du Pref et dans le présent rapport annuel. En plus des mesures prévues dans le Pref-Cemac, il serait de bon ton que l’obligation de transformation locale de plus de 85% des grumes de bois, qui est appliquée par presque tous les pays de la zone, soit étendue à toutes les matières premières exploitées dans l’espace Cemac.
La note globale du pilier 1 sur les politiques budgétaires est passée de 12,5 points en 2018 à 16,7 points en 2019, en augmentation de 4,3 points. Qu’est-ce qui explique cette performance et que reste-t-il à faire pour accélérer la réforme des politiques budgétaires dans la zone Cemac?
Cette augmentation est portée par l’amélioration de la coordination des politiques budgétaires (+3,3 points), le renforcement de la politique fiscale (+0,8 point) et la rationalisation et amélioration de la qualité de la dépense publique (+0,1 point). Un retard de 1,8 point est actuellement observé par rapport aux objectifs du programme à fin 2019 (18,5 points).Dans le cadre de l’harmonisation des règles budgétaires, les États ont procédé à l’application des règles de la surveillance multilatérale ainsi qu’à la transposition et à la mise en œuvre des nouvelles directives des finances publiques adoptées par le Conseil des ministres de l’UEAC en 2011. S’agissant de l’amélioration de la coordination des politiques budgétaires, il convient de relever, entre autres, les projets de filets sociaux qui ont été mis en œuvre au Cameroun, en RCA, au Congo et au Tchad; deux pays ont procédé à la réorientation des dépenses en capital vers des projets prioritaires ayant un impact sur la santé, l’éducation et l’eau.
Par contre, des lenteurs et des difficultés ont été enregistrées dans l’élargissement de l’assiette fiscale, l’adoption des lois/décrets portant suppression des exonérations exceptionnelles et des facilités douanières non pertinentes, souvent accordées en violation des principes d’efficacité et d’équité. Peu d’actions ont été menées pour promouvoir et développer la fiscalité foncière. Un seul pays a pris un décret portant suppression des agences, fonds, et entreprises publiques non opérationnelles, inefficaces et budgétivores. Voilà les domaines sur lesquels les efforts devront être déployés pour les deux prochaines années.
Monsieur le secrétaire permanent, avec 61,1%, l’intégration régionale, pilier 4, signe un taux de réalisation annuelle honorable. Mais sur le terrain la mobilité des personnes et des biens par voie terrestre est demeurée un calvaire tout au long de l’année. Certains ont développé une phobie pour les corridors sous-régionaux. Comment le Pref-Cemac perçoit-il l’effectivité du marché commun?
Le processus de construction de l’intégration est long et fastidieux. Il vous souvient que c’est en 2013 que les chefs d’État, lors de leur Sommet de Libreville, avaient pris l’Acte additionnel n° 01/13 — CEMAC —° 70-U-CCE-SE portant suppression du visa pour tous les ressortissants de la Cemac circulant dans l’espace communautaire. C’est en 2017 que les décisions d’application effectives ont été prises par tous les États. C’est dire que certaines décisions prennent du temps à se matérialiser. Principalement sur cette question de la libre circulation, il y a en arrière-plan des questions de sécurité importante qu’il faut intégrer compte tenu du contexte actuel de la persistance des poches d’insécurité. Aujourd’hui, la libre circulation est effective au niveau des frontières aériennes, et il faudrait s’en féliciter. Au niveau des frontières terrestres, il y a encore du travail, notamment la construction des postes-frontière communs, la mise en place des brigades mixtes de contrôles sur les corridors, la formation des agents de police et de douane en service sur les corridors régionaux et bien d’autres.Pour la libre circulation des biens et la promotion de l’intégration commerciale, la Cemac avait pris, depuis 2008, un règlement communautaire sur la création des Comités nationaux de l’origine. Ces Comités ont pour mission d’identifier, selon les critères bien établis, les produits devant avoir le label «origine Cemac» afin de circuler librement. Seul le Cameroun avait créé son Comité national de l’origine en 2011. C’est en 2019 que les autres pays ont créé leur comité national de l’origine. Vous comprenez bien qu’il y a certaines pesanteurs qui freinent ou ralentissent l’accélération de l’intégration. Mais le Copil du Pref-Cemac a adopté une série de décisions et recommandations pour lever progressivement les différents obstacles qui freinent la construction du marché commun. Celles-ci font l’objet d’un suivi régulier à chacune des réunions ministérielles et les choses avancent. Même si le processus est plutôt lent et fastidieux.
Les programmes économiques de deuxième génération avec le FMI et la Banque mondiale pointent à l’horizon et les orientations stratégiques ont été données par le Comité de pilotage. Il y a du travail Monsieur le secrétaire permanent. Car il y a la relance post-Covid19 à assurer pour retrouver la croissance et la stabilité. Mais encore, il faudra de la projection pour accroitre par exemple le niveau de revenu global. En termes de compréhension des orientations stratégiques (recours à la dette pour financer), d’appui financier, d’appui-conseil… Les principaux partenaires sollicités ont-ils les disponibilités nécessaires pour accompagner cette ambition?
La directrice générale du FMI a déclaré, lors du Sommet du G20 en mars 2020, que le FMI détenait plus de 1 000 milliards de dollars US de capacité de prêt et pouvait déployer l’entièreté de cette somme si le besoin se présentait. Le plan de relance post-Covid 19 de la Cemac, en cours de finalisation, ne devrait pas trop s’éloigner de celui des unions économiques comme la nôtre, qui est d’environ 10 milliards de dollars. Si on prend en plus les projets intégrateurs de près de 4 milliards de dollars, on se situe à moins de 20 milliards de dollars, bien loin de ce que le FMI seul peut prêter à la planète entière. Et ce n’est que le FMI que nous avons pris dans notre réponse. Il y a encore la Banque mondiale, la Banque africaine de développement, et bien d’autres institutions financières et techniques qui peuvent être sollicitées, à l’instar de la Banque Islamique de développement, des partenaires bilatéraux et surtout des investisseurs privés qui souhaitent de plus en plus faire des affaires avec nos pays. Notre ambition ne souffre d’aucune contrainte dans ce sens. Nous nous focalisons sur les effets induits de nos programmes et projets et travaillons à ce que tout soit prêt dans les délais les plus brefs.Dans ce sillage, les 11 projets intégrateurs prioritaires arrivent en consolidation pour mettre en réseau le marché communautaire en termes d’infrastructures de transport pour la liaison, du marché sous-régional de l’électricité, du capital humain. Vous préparez la table ronde de Bruxelles pour tenter de mobiliser plus 2000 milliards FCFA destinés au financement de la réalisation de ces projets. Comment se déroule le processus?
Il convient de rappeler que le Sommet extraordinaire des chefs d’État, qui s’est déroulé à Yaoundé le 22 novembre 2019, a approuvé les douze projets intégrateurs prioritaires sélectionnés par le Comité de pilotage du Pref-Cemac, compte tenu de leur état de maturité, et prescrit une mission de mobilisation de ressources financières auprès des bailleurs et des partenaires techniques et financiers en vue de la réalisation effective de ces projets dans les meilleurs délais possible. Le Copil du Pref-Cemac a été chargé de prendre les dispositions nécessaires en vue de la tenue de la table ronde des bailleurs dans les meilleurs délais possibles, pour le financement des onze projets intégrateurs.J’ai l’insigne honneur et le plaisir de vous annoncer que tous les documents de travail ainsi que les dossiers techniques et les fiches de projets sont finalisés et disponibles pour la Table ronde sur les 11 projets intégrateurs de la Cemac qui se tiendra à Bruxelles les 16 et 17 novembre 2020. L’objectif principal de cette table ronde est la mobilisation de près de 2563,4 milliards FCFA pour la réalisation desdits projets.
Nous avons déjà enregistré un intérêt croissant des partenaires techniques financiers et des principaux bailleurs de fonds pour leur participation à cet évènement important. Et l’espoir est donc permis. Un cabinet spécialisé dans la communication sur les tables rondes a été recruté par les soins de la BAD et accompagne son organisation. Toutes les dispositions ont été prises par la Commission de la Cemac pour que celle-ci se déroule parfaitement. Nous tenons des réunions régulières sur le sujet et dans ce sens-là, une délégation de la Cemac va participer du 5 au 9 octobre à Paris, à la conférence Infraweek organisée par le ministère français de l’Économie et des Finances sur le financement des projets d’infrastructures dans le monde. Le but sera de mettre en avant la Cemac et son attractivité d’une part, et d’autre part de mobiliser les bailleurs en vue de leur participation effective et constructive à la table ronde de Bruxelles.
À la fin de la présentation des avancées du Pref-Cemac en 2019, pouvez-vous nous donner quelques indications sur les perspectives, compte tenu notamment des effets néfastes de la pandémie de la Covid-19 sur les économies des pays membres de la Cemac?
La mise en œuvre du Pref-Cemac a été globalement satisfaisante au cours de l’année 2019. Mais il convient de préciser que les actions engagées doivent être poursuivies, pour consolider les acquis obtenus après trois années d’ajustement structurel. Des mesures importantes, dont certaines sont pourtant inscrites dans le Pref-Cemac avec un calendrier précis de réalisation, n’ont pas été mises en œuvre par les États ou les institutions communautaires concernées, ou ont fait l’objet d’une exécution lente et insuffisante au regard des objectifs fixés.Ces mesures portent sur les points suivants: la priorité à accorder à l’amélioration des recettes budgétaires non pétrolières, plutôt qu’à la diminution des dépenses publiques; la poursuite de l’amélioration de la qualité de la dépense publique; le renforcement de la bonne gouvernance et de la redevabilité; la priorité à accorder au financement du secteur privé et en particulier au remboursement de la dette intérieure et au paiement des arriérés dus aux PME et aux PMI; la transformation locale des ressources naturelles et le développement des chaines de valeur; l’accélération de l’intégration physique et commerciale; le renforcement de la transparence et de la rigueur dans les procédures relatives à la programmation des investissements publics, ainsi qu’à la sélection et à l’exécution des projets.
Les actions restantes du Pref, à réaliser en 2020 et 2021, représentent 38,6% de l’ensemble du programme, soit en moyenne des efforts de 19,3% à fournir au cours de chacune de ces années (soit plus que les progrès enregistrés en 2018). Il en résulte que pour garantir la réalisation des objectifs du Pref à l’horizon 2022, les parties prenantes devraient redoubler d’efforts pour finaliser les actions déjà engagées, voire accélérer la mise en œuvre de celles qui ne l’ont pas encore été.
Il convient néanmoins de relever qu’en dépit de signes prometteurs, la transformation structurelle des économies tarde à prendre corps, malgré la mise en œuvre effective des programmes conclus avec ces divers partenaires. Les efforts ont davantage été portés sur les ajustements budgétaires et financiers, afin de satisfaire les conditionnalités nécessaires au décaissement des ressources financières, et non sur les politiques et réformes structurelles.
Cette nécessité de prendre en compte des aspects liés à la croissance, au développement et à la transformation structurelle des économies de la Cemac a été également réaffirmée par les ministres membres du Comité de pilotage (Copil) du Pref-Cemac lors de la 3e session extraordinaire du 28 mars 2020. À cet effet, les ministres ont chargé la Commission de la Cemac, la BEAC, la BDEAC et le Pref-Cemac «de définir les principes généraux relatifs aux nouveaux accords à conclure avec ces partenaires qui devront dépasser les objectifs de stabilisation financière, pour mettre l’accent sur la croissance et le développement».
Interview réalisée par
Bobo OusmanouDiscipline économique et financière : La Cemac veut sanctionner les frondeurs
La Commission propose des sanctions à l’encontre des pays qui ne respectent pas les critères de convergence de la surveillance multilatérale.
Les chefs d’Etat au cours d’un sommet Un projet de décision portant dispositif de sanctions pour les infractions aux règles de la surveillance multilatérale a été au menu des discussions des dernières assises du conseil des ministres de l’Union économique de l’Afrique centrale (UEAC).
Il est prévu dans la grille des sanctions le processus ascendant ci-après: pour ce qui est du non-respect du critère de convergence portant sur la viabilité budgétaire ou l’endettement, la Commission de la Cemac pourrait imposer une limite de déficit à respecter lors de l’exercice budgétaire suivant par l’État en flagrant délit; pour ce qui est du non-respect du critère portant sur les arriérés de paiement, la Commission de la Cemac pourrait imposer un programme d’apurement de stock d’arriérés existants au cours de l’exercice budgétaire suivant; enfin, en cas de gravité de l’indiscipline budgétaire d’un État, la Commission de la Cemac pourrait contraindre ledit État à lui soumettre son projet de loi de finances pour approbation préalable avant dépôt au parlement national.Au regard de la gravité de l’indélicatesse budgétaire de l’État concerné, cette sanction est appliquée, indépendamment de l’infraction constatée, aux règles de la surveillance multilatérale. Pour éviter la rigidité du mécanisme, la Cemac propose un temps de concertation et d’ajustement pouvant durer 3 ans avant le recours aux sanctions. Cela permet ainsi au pays épinglé de justifier son «indiscipline». Le premier stade c’est le déclenchement automatique de la procédure par la Commission de la Cemac, à travers la saisine du pays.
Ensuite, dans un délai prédéfini, l’État membre devrait expliquer les raisons ayant entrainé le non-respect des critères de convergence (des circonstances exceptionnelles pourront éventuellement être invoquées pour expliquer le non-respect ponctuel des critères). Par la suite, un programme d’ajustement, devant également tenir lieu de programme triennal de convergence (comme c’est le cas actuellement), permettra de mesurer l’effet des politiques économiques à entreprendre. Enfin, dans un scénario pessimiste de non-conciliation, la Commission de la Cemac pourra donc mettre en place les sanctions du fait: de l’absence d’explication sur le non-respect des critères de convergence; du non-respect des engagements pris dans le cadre du programme d’ajustement; ou simplement de la non-mise en place du programme d’ajustement.
Les experts réunis en comité inter-États et les ministres de l’Économie, des Finances et de l’Intégration des 6 États membres ont successivement planché sur la question. Comme consigné dans le communiqué final de la très récente session de l’UEAC, les ministres ont souhaité que la Commission de la Cemac approfondisse la réflexion.
Réalisme?
Le problème serait peut-être ailleurs. Les États sont-ils prêts à se voir remonter les bretelles par une institution qui est leur excroissance et dont le financement dépend des administrations nationales? Quelle dévolution les États auront-ils vis-à-vis de ce mécanisme? Au 31 décembre 2019, seul le Congo avait transmis à la Commission son programme triennal de convergence 2019-2021. La Conférence des chefs d’État, réunie en mars 2019 à Ndjamena, avait, le 31 juillet 2019, demandé aux États de transmettre les plans triennaux de convergence et la stratégie d’apurement des arriérés, au plus tard le 31 décembre 2019.
Bien plus, les performances en matière de surveillance multilatérale dans la zone Cemac sont médiocres depuis plus de 5 ans. Les rapports intérimaires et définitifs de surveillance multilatérale démontrent qu’aucun pays ne respecte entièrement ces critères.Interrogeons enfin les compétences. L’«abandon» à la Commission des responsabilités sur l’exécution des actions correctives et punitives liées à l’indélicatesse des Etats au système de surveillance multilatérale offre une sensation de sous-crédibilisation du mécanisme de sanction en lui-même. Le pacte de stabilité de l’Union européenne et le système de surveillance multilatérale de l’Uemoa semblent plus ambitieux en la matière. Le premier fait remonter la responsabilité jusqu’au Conseil européen (conférence des chefs d’États de l’UE) et fait intervenir le parlement en sa qualité de colégislateur de l’UE. En Afrique de l’Ouest, la jumelle de la Cemac dans la zone franc, l’Uemoa fait intervenir le Conseil des ministres comme organe compétent. Celui-ci notifie le parlement des mesures prises. La BCEAO, la banque centrale de la zone (équivalent de la Beac) est également mise à contribution, car pouvant revoir sa politique d’intervention en faveur de l’État membre épinglé.
Bobo Ousmanou
Choc exogène
Un système de prévention en place
En vue de prévoir les chocs exogènes et les déséquilibres macroéconomiques qui en résultent, la Cemac prévoit la mise sur pied d’un mécanisme d’alerte précoce des déséquilibres macroéconomiques en zone Cemac. Sur le modèle de l’UE, l’outil d’alerte précoce des déséquilibres macroéconomiques en zone Cemac (EATMI) a été préparé avec le soutien de la Banque mondiale. Il a été validé au cours d’un atelier régional organisé en juin 2019 à Douala. Il se veut complémentaire aux instruments utilisés jusqu’ici dans le cadre de la surveillance multilatérale. Le tableau de bord des indicateurs d’alerte précoce est annexé au rapport de la surveillance multilatérale.
L’outil se compose de 4 indicateurs d’alertes des déséquilibres internes, 5 indicateurs d’alertes des déséquilibres internes et 4 seuils d’alertes (voir tableau).
Le projet de règlement proposé aux ministres de l’UEAC a été renvoyé pour examen approfondi en collaboration avec la Beac, la BDEAC et la Cobac.
Suspension des critères de convergence
La Beac bloque le processus
La Banque centrale de la zone Cemac a fait mettre en suspens l’adoption du projet de décision portant suspension temporaire (06 mois) des critères de convergence que sont: le solde budgétaire de référence (qui doit être supérieur ou égal à -1,5% du PIB) et l’encours total de la dette publique (qui doit être inférieur ou égal à 70% du PIB).
Le patron sous-régional de la politique monétaire avait, depuis les assises du Programme de réformes économiques et financières de la Cemac, fait valoir le risque de transformation de la crise budgétaire actuelle en crise financière. Transmise au Conseil des ministres de l’UEAC pour compétences selon les termes des articles 49 et 63 de la convention régissant l’UEAC, la proposition de suspension n’a pas résisté à la réserve de la Beac, appuyée par la Cobac.
Au terme de la 35e session ordinaire du Conseil des ministres de l’UEAC, tenu le 13 août dernier par visioconférence, les ministres ont «décidé de procéder à l’évaluation dudit dispositif à la prochaine session budgétaire afin d’apprécier les incidences sur l’activité des trésors publics nationaux. Cette évaluation permettra au Conseil [des ministres] de statuer sur les demandes des États, relatives à la suspension des critères de surveillance multilatérale», indique le communiqué final. La Beac avait au préalable identifié les assouplissements qu’elle a mis en place pour préserver la pondération zéro.
Pour les États membres et la Commission de la Cemac, la mesure a déjà été adoptée dans d’autres régions (Uemoa, Union européenne). La sous-région ne fera pas révolution. Conformément à l’article 60 de la convention de l’UEAC, un État membre qui connait des difficultés peut être exempté pour une durée maximum de six mois, éventuellement renouvelables, du respect des critères de convergence.
Ulrich Kamdem «L’absence de qualification précise des difficultés ou de la menace pourrait être utilisée par les États pour fragiliser ce système de sanction»
C’est encore tôt pour dire si le système de sanction pourra prospérer en ce sens qu’il serait judicieux d’attendre les situations où les pays ne respectent pas les critères de convergence du système de surveillance multilatérale de la Communauté et voir s’il y’a des différences dans le traitement de ces dossiers.
L’économiste camerounais et analyste sénior de politique publique décrypte le mécanisme de sanctions aux infractions des critères de convergence de la surveillance multilatérale. Il analyse les défis inhérents à la mise en application optimale de cette mesure de viabilisation budgétaire.
Monsieur Kamdem, la Commission de la Cemac décide d’adopter un mécanisme de sanctions contre les États membres qui ne respectent pas les critères de convergence du système de surveillance multilatérale de la communauté. Qu’est-ce que cela vous suggère?
L’adoption de ce mécanisme de sanction est une bonne initiative qui vient combler un vide s’agissant de mesures coercitives directes en cas de non-respect, par les États, des critères de convergence. On peut y voir un souci de renforcer l’architecture règlementaire, mais aussi de parfaire le processus d’intégration dans la zone Cemac. De manière spécifique, cette adoption permet aux États membres de marquer leur engagement dans la lutte contre des phénomènes de «passager clandestin» (ou free-riding en anglais) qu’on retrouve souvent dans les zones monétaires.En d’autres termes, les décideurs publics souhaitent éviter une situation où un Etat partage les bénéfices de l’appartenance à la zone, mais où ce dernier ne partage pas proportionnellement le coût. Au final, cette adoption est un garde-fou incitant à plus de prudence dans la gestion publique surtout dans le contexte sanitaire actuel marqué par la pandémie de coronavirus et les éventuelles politiques envisagées par les États pour limiter les conséquences sur le plan économique.
Vous avez une connaissance certaine du logiciel d’intégration en Afrique centrale voire sur le continent. Les organisations d’intégration sont davantage des excroissances (inféodées) des États et non des institutions supranationales ayant des pans de souveraineté. Est-ce réaliste pour vous de penser que le système de sanction pourra prospérer?
C’est encore tôt pour dire si le système de sanction pourra prospérer en ce sens qu’il serait judicieux d’attendre les situations où les pays ne respectent pas les critères de convergence du système de surveillance multilatérale de la Communauté et voir s’il y’a des différences dans le traitement de ces dossiers. Pour le moment, on ne peut que se féliciter de cette volonté des dirigeants de disposer d’un levier facilement actionnable en cas de déviation au niveau du respect des critères de convergence.On pourrait, par contre, présager un éventuel conflit entre ce système de sanction et les dispositions de l’article 60 de la convention régissant l’Union économique et monétaire de l’Afrique centrale (UEAC). En effet, cet article 60 stipule que: «lorsqu’un État membre connait des difficultés ou une menace sérieuse de graves difficultés en raison d’évènements exceptionnels, le Conseil des ministres, statuant à l’unanimité, sur proposition du président de la Commission, peut exempter, pour une durée maximum de six mois, cet État membre du respect de tout ou partie des prescriptions énoncées dans le cadre de la procédure de surveillance multilatérale». De ce fait, l’absence de qualification précise des difficultés ou de la menace pourrait être utilisée par les États pour fragiliser ce système de sanction.
Sur ce sujet, interrogeons quand-même le timing. La résilience face aux effets de la décote des matières premières issues des chocs économiques et sécuritaires de 2014-2016 n’a pas permis aux pays de respecter ces critères. La crise sanitaire rajoute quand même de la difficulté d’autant plus que les États souhaitent une suspension temporaire de deux critères de convergence pour avoir un passe-droit dans les déficits permettant de financer la relance économique. Pour l’économiste que vous êtes, la Commission ne veut-elle pas juste rassurer le FMI et la Banque mondiale?
Sans aucun doute, un objectif serait de rassurer le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale. En effet, ces institutions ont accompagné, fin 2016, les pays de la Cemac lorsque ces derniers avaient accepté un ajustement structurel de leurs politiques économiques dans l’optique de restaurer l’équilibre extérieur de la zone qui s’était fortement dégradé à cause d’une mauvaise discipline budgétaire dans la gestion des réserves. Cela s’est fait dans le cadre de programmes triennaux. Le rôle du FMI avait été décisif pour la reconstitution des réserves de changes dans la zone, via une hausse de 63% en août 2019 par rapport au mois de juin 2017.Avec la pandémie de Covid-19, certains pays de la zone ont déjà bénéficié du soutien financier du FMI pour répondre aux besoins urgents de financement de la balance des paiements. Par exemple, le Cameroun a bénéficié en mai 2020 d’un décaissement de 226 millions de dollars au titre de la facilité de crédit rapide (FCR), tandis que le Gabon, en juillet 2020, a bénéficié d’un montant de 152,61 millions de dollars au titre de l’instrument de financement rapide (IFR).
Votre dernier billet, intitulé «Pourquoi les économies de la Cemac ne décollent pas?» soulève 4 points dont le 3e particulièrement intéressant. Est-ce que les pays de la Cemac ne sont pas tellement englués par le tricotage macroéconomique visant à conserver la stabilité (parité) monétaire qu’ils oublient que la monnaie est le reflet d’une économie? C’est-à-dire les réformes structurelles de création de richesse telles que la transformation des matières premières, la diversification économique et l’ouverture des frontières pouvant amener au plein emploi ou presque ne passent-elles pas en second plan devant les arrangements monétaires?
Le système monétaire et financier dans la Cemac est actuellement un véritable casse-tête pour son industrialisation et son décollage économique. En effet, l’industrialisation dans la zone franc n’est pas encore une réalité partagée. On pourrait même y observer une sorte de désindustrialisation. En effet, la part moyenne des industries manufacturières dans le PIB des pays de la zone se situe autour de 10% dans les sous-périodes 1990-1999 et 2000-2016, baissant ainsi de 2 points par rapport à la sous-période 1980-1989.Un article scientifique de Bassirou et Ramde (2019) montre que dans la Cemac, un choc sur le crédit bancaire met plus de temps pour avoir un effet positif sur le secteur manufacturier, en comparaison avec l’UEMOA. Par conséquent, le secteur financier des pays africains de la zone franc serait toujours peu profond pour impulser un développement industriel véritable malgré les importantes réformes dont il a fait objet. La sphère financière n’aurait pas encore atteint la taille maximale par rapport à la sphère réelle afin de favoriser l’industrialisation des économies de cette zone. Deux recommandations majeures en découlent: (i) accentuer l’accessibilité des entreprises aux crédits à long terme; et (ii) développer les marchés financiers de la zone franc afin d’offrir aux entreprises d’autres alternatives de financement de leurs activités.
Interview réalisée par
Bobo Ousmanou