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Archives des Christian Pout - Journal Intégration

Journal Intégration

Étiquette : Christian Pout

  • Depuis le Nigéria: Macron… en marche contre la crise anglophone

    Depuis le Nigéria: Macron… en marche contre la crise anglophone

    Pour certains analystes, une ligne se dégage du show politico-télévisuel du président français au sujet du Cameroun: la résolution des problèmes sociopolitiques dans le Nord-ouest et le Sud-ouest du pays. Pour d’autres, la France vise à réaliser un objectif de fond: préserver ses intérêts. 

    A Abuja où il achève une tournée africaine ce 04 juillet 2018, Emmanuel Macron s’épanche sur le contenu de son entretien téléphonique avec Paul Biya. «Nous avons parlé des grands sujets en cours. Le Cameroun a clairement un défi qui est la cohésion, la stabilité de l’Etat (…) La stabilité va aussi vers la reconnaissance des éléments de pluralisme, parfois de décentralisation qui permettent de régler ces problèmes et ces tensions», a dit le chef de l’Etat français. Dans le vocabulaire employé, on relève des euphémismes, des prudences, tout un champ lexical de pondération.

    Prise de position, coup de gueule ou simple réaction ? Tout y passe. «En tout cas, il apparaît clairement dans l’extrait qui a circulé dans divers médias que le président Macron a intentionnellement voulu aborder des sujets sur lesquels il sait l’attention des Camerounais très mobilisée», analyse d’emblée Christian Pout, président du think thank dénommé Centre africain des études internationales, diplomatique, économique et stratégiques (Ceides).

    L’internationaliste s’attarde sur le double format de cette prise de parole du dirigeant français. «Il relève tant de la courtoisie diplomatique que du strategic stakeholder management», pose-t-il, reconnaissant que, fondamentalement, il n’y a rien de distinct de la démarche de ses prédécesseurs. Plus direct, le sociologue Claude Abé s’appuie sur les références de la sortie d’Emmanuel Macron. Implicitement, celles-ci ciblent, selon lui, la résolution du problème anglophone au Cameroun.

    Autre regard

    D’autres analyses ne nient pas la capacité du discours du patron de l’Elysée à exprimer autre chose. Aux yeux du politologue Belinga Zambo, l’interview du chef de l’Etat français en terre nigériane souligne «la mise en marche d’un appareil diplomatique en surchauffe face à la crise anglophone et à l’élection présidentielle d’octobre prochain au Cameroun». Citant Jean-Yves le Drian, l’expert camerounais estime qu’à partir d’Abuja, le coming-out d’Emmanuel Macron trahit le propre de la politique africaine de l’Hexagone. En effet, selon le ministre des Affaires étrangères (repris par le journal le Figaro du 21 janvier 2018), régler les crises à l’étranger a un impact direct sur le climat sociopolitique en France.

    Dans un autre versant d’analyse, Belinga Zambo s’arrête sur la «saturation communicante» déployée autour d’un «coup de fil». «Par le truchement de cette actualité sublimée tant à Etoudi qu’à l’Elysée, Paris veut montrer aux autres puissances qu’il reste très actif au Cameroun ; et il sait que dans le concert des États, pour être efficient, un matraquage médiatique ne peut se soustraire aux lois élémentaires de la gravité politique», décrypte-t-il.

    Jean-René Meva’a Amougou

    Emmanuel Macron : «La région a besoin de stabilité» 

    «J’ai eu Paul Biya au téléphone avant de venir [au sommet de] l’Union africaine. D’abord parce que je savais qu’il ne serait pas présent. Et comme je visitais un de ses voisins [le Nigéria], il était important que nous ayons un échange. Ecoutez, nous avons parlé des grands sujets en cours. Le Cameroun a clairement un défi qui est la cohésion, la stabilité de l’Etat. Nous savons les tensions qu’il y a dans la région anglophone. Et là aussi, j’ai apporté tout mon soutien au gouvernement pour qu’il puisse aller vers la stabilité. Je pense que la stabilité va aussi vers la reconnaissance des éléments de pluralisme, parfois de décentralisation qui permettent de régler ces problèmes et ces tensions. Je pense que ce dont la région a besoin, c’est de stabilité, de trouver de bons modèles de régulation. Ce n’est pas au président français de le dire mais d’accompagner ces réformes de décentralisation, de liberté régionale qui sont offertes dans un cadre national clair. Je pense que beaucoup de ces sujets peuvent trouver une issue favorable par une meilleure intégration régionale. Je l’ai dit, moi je crois beaucoup à la force de l’intégration régionale pour le Nigéria comme pour le Cameroun au sein de la CEDEAO. Et tout ce que la France peut faire pour faciliter, y compris dans le cadre d’une politique monétaire qui devrait être repensée, la France le fera.» 

     

  • Christian Pout: «Je ne sais pas si cette notion de pré-carré a encore un sens»

    Christian Pout: «Je ne sais pas si cette notion de pré-carré a encore un sens»

    L’internationaliste analyse la dernière sortie d’Emmanuel Macron sur le Cameroun.

    Est-ce une volonté de la France de s’affirmer dans ce qui est souvent appelé le «pré-carré français»?
    Je ne sais pas si cette notion de pré-carré a encore un sens et sincèrement, j’ignore ce qui s’y intègre ou ceux qui s’y réfèrent. Je note pour ma part que le président Macron se trouvait au Nigeria et non au Cameroun, avec un agenda multidimensionnel. Tous les acteurs de la coopération internationale aujourd’hui, au Nord comme au Sud, se réinventent et renouvellent leurs pratiques en s’appuyant certes sur les acquis hérités de leur histoire, mais également en s’ouvrant à de nouvelles perspectives.

    C’est d’ailleurs une exigence du temps global actuel où les enjeux sécuritaires, politiques, économiques, financiers et commerciaux demandent que les acteurs de la diplomatie et des relations internationales fassent, encore plus que par le passé, preuve de grande agilité et de considérable créativité, pour créer des opportunités pour leurs populations et en particulier pour leurs entreprises.

    Comme suggéré par le président français, l’intégration régionale peut-elle être une solution au problème anglophone?
    Le problème anglophone est une question qui reste encore interne au Cameroun, bien que présentant un potentiel de déstabilisation qui pourrait nettement dépasser les frontières de notre pays. Il me semble que, c’est principalement pour cette raison également qu’il préoccupe tant nos partenaires internationaux dont pour certains, comme la France, les intérêts se prolongent aussi dans notre proche voisinage.

    Si l’on part du principe que la dynamique d’intégration régionale ne peut progresser que dans un contexte apaisé et qu’aujourd’hui les communautés économiques régionales telles que la CEDEAO à laquelle le Nigeria appartient et la CEEAC à laquelle le Cameroun appartient travaillent prioritairement pour que leurs espaces soient épargnés des guerres et des conflits qui entravent le développement, il est possible de conclure qu’œuvrer à l’intégration régionale c’est se donner aussi les moyens de s’extraire durablement des cycles de violence et d’affrontements intra-étatiques comme inter-étatiques.

    Au regard des déclarations d’Emmanuel Macron, s’avance-t-on vers une réflexion sur le sort du francs CFA?
    Il me semble que celle-ci a commencé depuis un long moment et ceux pour qui ce sujet est encore exotique ou tabou devraient sérieusement se remettre en question. En effet, la réflexion est ouverte et c’est le moment de faire des propositions, des suggestions, des analyses structurées qui pourront éventuellement, le moment venu, éclairer, orienter et faciliter s’il y a lieu des prises de décision, dans un sens comme dans d’autres. Il y a là un chantier ouvert notamment pour les laboratoires d’idées, pour les universités et centres de recherche, pour les structures gouvernementales en charge de la prospective économique, etc.

    Jean-René Meva’a Amougou

  • Présidentielle 2018 au Cameroun: le temps des batailles géostratégiques

    Présidentielle 2018 au Cameroun: le temps des batailles géostratégiques

    Etats-Unis, France, Chine, Russie… chaque puissance va de sa stratégie pour s’assurer que le prochain président camerounais préservera ses intérêts dans ce pays pivot du golfe de Guinée.

    Comme avant les élections présidentielles de 2011, Paul Biya s’est encore rendu en Chine cette année.

    Il y a un aspect de la déclaration polémique de l’ambassadeur des Etats-Unis au Cameroun qui bénéficie, jusqu’ici, de peu d’attention. Il s’agit pourtant de la première «question d’intérêt commun» dont Peter Henry Barlerin dit avoir discuté avec Paul Biya lors de cette fameuse audience au palais de l’Unité de 90 minutes le 17 mai 2018. «Premièrement, le président a convenu avec moi de l’importance d’accueillir les entreprises américaines au Cameroun et de les traiter équitablement», lit-on en début du communiqué publié par le diplomate américain au lendemain de cette rencontre.

    «Zone d’intérêt vital»

    A Kalak FM, une radio urbaine de Yaoundé, où Peter Henry Barlerin est invité le même jour, l’ancien directeur du bureau des affaires économiques et régionales couvrant l’Afrique subsaharienne se montre même plus directif: «J’ai dit à monsieur le président que nous nous attendons à ce que les sociétés américaines soient traitées d’un pied d’égalité avec les sociétés camerounaises et des autres pays tiers tels la Chine, la France…» Déduction logique : les Etats-Unis d’Amérique estiment que les entreprises des pays cités bénéficient d’un traitement de faveur de la part de Yaoundé.

    Ce d’autant que, assure l’ambassadeur, «les entreprises américaines ont beaucoup mieux à offrir en termes de formation et de développement de la main-d’œuvre, de technologie et de respect des droits de l’homme et de l’environnement». A l’en croire, la criminalisation des pratiques de corruption des entreprises américaines à l’étranger est aussi un atout. Car elle garantirait que le coût de l’investissement ne soit renchéri par la corruption.

    Dans le sérail, on s’appuie sur ce plaidoyer pour rappeler cette évidence: «Les Etats-Unis ne sont nullement mus par l’intérêt du peuple camerounais mais par les leurs». Ici, on soutient que si Washington ne souhaite plus que Paul Biya soit au pouvoir après octobre 2018, comme suggéré par Peter Henry Barlerin, c’est parce que l’actuel locataire d’Etoudi ne garantirait plus ses intérêts. Pour mieux comprendre les enjeux, il faut savoir que le Cameroun est considéré comme le pays pivot du golfe de Guinée.

    Cette zone aux contours flous a été déclarée depuis plusieurs années déjà «zone d’intérêt vital»  par les autorités américaines. Pourtant,  «les Etats-Unis se sont rendus comptent que la France et l’Otan qui assuraient son influence dans la région n’ont plus les moyens de le faire. D’où sa démarche actuelle» analysent certains géostratèges proches du ministère camerounais de la Défense. On peut d’ailleurs voir dans le message de félicitations de Macron à Paul Biya, message envoyé à l’occasion de la célébration de la 46ème édition de la fête nationale du Cameroun, une certaine forme de résignation.

    Désir d’éternité

    Cette perte d’influence s’est faite notamment au profit de la Chine. Tout bascule au milieu des années 2000. Paul Biya décide de rester au pouvoir au-delà de 2011, contrairement à ce que prévoit la constitution de l’époque. Le président camerounais réoriente sa stratégie diplomatique et donne plus d’allant à la coopération sud-sud qui «met en avant les principes de non-ingérence et de neutralité et développe un discours dépourvu d’injonctions, de menaces et de sanctions», explique l’internationaliste Christian  Pout (voir interview page 11). Selon le président du Think Tank Ceides, cette option se manifeste notamment par la récurrence des visites de Paul Biya dans les pays émergents: Brésil (août 2010), Turquie (mars 2013) et Chine (septembre 2003, novembre 2006, juillet 2011 et mars 2018).

    L’Empire du Milieu est depuis devenu le premier bailleur de fonds du Cameroun avec un volume de créances en fin 2017 de plus de 1 375,9 milliards francs CFA, soit 67,7% de la dette bilatérale et 34,4% de la dette extérieure. Selon le décompte fait au 31 juillet 2016 par la Caisse autonome d’amortissent, le gestionnaire de la dette du pays, la dette due à la Chine représentait plus du double de celle due à la France (478,2 milliards de francs CFA), le deuxième bailleur bilatéral, et dépassait de plus de 120 milliards la dette due aux bailleurs multilatéraux (BAD : 170 millions; BADEA : 21, 665 milliards ; BDEAC: 5,57 milliards ; BID : 75,202 milliards ; FAD : 274,072 milliards; FIDA :33,42 milliards ; FMI : 52,235 milliards ; FS OPEP : 23,185 milliards ; IDA : 518, 025 milliards ; UE : 39, 56 milliards).

    L’ogre russe

    Nombre de grands projets d’infrastructures en cours ou récemment réalisés dans le pays, dans les secteurs aussi variés que l’énergie (construction des barrages), les transports (construction des ports et des autoroutes) et les télécommunications (pose de la fibre optique) sont conduits par les entreprises chinoises. Ces dix dernières années, Pékin a injecté plus de 3000 milliards de francs CFA au Cameroun.

    La Chine, c’est aussi le premier fournisseur du Cameroun (avec 18%) et deuxième acheteur (avec 14.7%), derrière l’Espagne (16,7%) et devant les Pays-Bas (10,4%). «Et la visite de Paul Biya à la veille de l’élection présidentielle de 2018 a montré que si Paul Biya est réélu, cela ne risque pas de changer», commente un observateur averti.

    La rage des Américains est d’autant plus grande que la Russie monte en puissance dans la région. Moscou et Yaoundé ont désormais une coopération militaire décomplexée. Les entreprises russes commencent même à gagner des marchés juteux. Gazprom Marketing & Trading Singapore Pte Ltd s’est, par exemple, adjugé en 2015 et pour une période de huit ans, toute la production de gaz liquéfié du Cameroun.

    Cette production qui a débuté en avril dernier devrait atteindre 1,2 million de tonnes par an. «Au regard des enjeux, les Etats-Unis sont prêts allés jusqu’au bout», craint-on au ministère camerounais des Relations extérieures. En cas d’alternance en 2018, le nouveau président ne devrait pas perdre cela de vue.

    Aboudi Ottou

    Christian Pout: «La coopération Chine-Cameroun met en avant les principes de non-ingérence»

    L’internationaliste, maître de conférences associé à l’Institut théologique de la compagnie de Jésus d’Abidjan et à l’Institut Catholique de Paris, est à la tête du Think Tank baptisé Centre africain d’études internationales, diplomatiques, économiques et stratégiques (Ceides). Il analyse les ressorts de la coopération entre Yaoundé et Pékin. 

    Christian Pout

    A la fin de chacun de ses deux derniers mandats, Paul Biya s’est rendu en visite officielle en Chine. Est-ce une simple coïncidence ?
    Aucun indicateur sérieux ne nous permet de dire qu’il ne s’agit pas d’une simple coïncidence. Vous savez, l’organisation d’une visite d’Etat dépend largement de nombreux paramètres officiels et non officiels intrinsèques à chacune des parties en présence. Ce qu’il faut retenir, à mon avis, c’est que les visites officielles du président Paul Biya en Chine témoignent du caractère très étroit de la relation entre les deux pays. En effet, la Chine et le Cameroun se considèrent comme «des pays frères et amis».

    Sur le plan du timing, de manière symbolique, la visite du président Biya en Chine, du 22 au 24 mars 2018, est intervenue non seulement au début du nouvel an Chinois (l’année du Chien), mais également quelques jours après les sessions paritaires de l’Assemblée populaire nationale (APN) et de la Conférence consultative politique du peuple Chinois (CCPPC) qui ont signé la reconduction du président Xi Jinping à la tête de la République populaire de Chine pour un second mandat. Cette visite intervient également dans le cadre de la préparation du 3e Forum sur la coopération Chine-Afrique (FOCAC) prévu à Pékin en septembre 2018.

    La coopération entre le Cameroun et la Chine a commencé à connaitre une densification particulière après la modification de la constitution de 2008 qui a permis à Paul Biya de se maintenir au pouvoir. Pourrait-il avoir un lien entre les deux évènements ?
    Le Cameroun et la Chine entretiennent une relation que l’on pourrait qualifier de «privilégiée» depuis bientôt cinquante ans. Cette relation s’est particulièrement densifiée ces dernières années à la faveur de l’importance grandissante accordée à l’Afrique (et donc au Cameroun) dans l’agenda diplomatique chinois, mais aussi de la volonté plus assumée du Cameroun de s’ouvrir à de nouvelles formes de partenariat.

    Contrairement aux partenaires occidentaux, la Chine a la réputation de fermer les yeux sur les questions de gouvernances politiques. N’est-ce pas pourquoi le président camerounais s’est retourné vers l’Empire du Milieu à ce moment précis?
    De manière constante, le cadre de la coopération Sud/Sud qui est celui dans lequel s’inscrit la coopération Chine-Cameroun, met en avant les principes de non-ingérence et de neutralité et développe un discours dépourvu d’injonctions, de menaces et de sanctions. Si cette forme de coopération séduit de plus en plus les décideurs camerounais – comme en témoigne la récurrence des visites du président Paul Biya dans les pays émergents : Brésil (août 2010), Turquie (mars 2013) et Chine (septembre 2003, novembre 2006, juillet 2011 et mars 2018) – c’est parce qu’elle accorde une place de choix au respect de la souveraineté des Etats. Le renforcement de la coopération bilatérale entre le Cameroun et la Chine remonte au début des années 2000. L’intérêt du Cameroun pour la Chine peut se comprendre. C’est un partenariat qui porte des fruits dans de nombreux domaines mais qui n’est pas exempt de tout reproche, loin de là.

    Selon les chiffres de la direction générale de la coopération et de l’intégration régionale au ministère camerounais de l’Economie, la Chine a injecté plus de 3000 milliards de francs CFA au Cameroun ces dix dernières années. Au-delà, des intérêts que génèrent ces prêts,  quelle est la contrepartie d’un tel investissement ?
    La Chine cherche à susciter et entretenir chez la partie camerounaise une attitude favorable à poursuite des intérêts chinois sur le long terme. Lesquels intérêts renvoient bien évidemment aux enjeux énergétiques de la Chine. Car, en Afrique et donc au Cameroun, Pékin voudrait mettre en place des coalitions pour garantir ses approvisionnements en matières premières. La quête des débouchés pour les entreprises chinoises se greffe à cet enjeu énergétique.

    C’est dans cette perspective que le président camerounais, mais aussi les présidents namibien et zimbabwéen qui ont, eux aussi, effectué des visites en Chine (mars et avril 2018) ont été invités par leur homologue chinois à rejoindre la Belt and Road Initiative qui vise, entre autres, à promouvoir la coopération entre les pays et à renforcer la position de la Chine sur le plan mondial, par exemple en préservant la connexion de la Chine avec le reste du monde.

    A votre avis qui est le grand bénéficiaire de cette coopération?  
    Précisons d’entrée de jeu que la coopération entre la Chine et le Cameroun est régie par le principe du «partenariat gagnant-gagnant». Ceci se traduit dans la pratique par la mise en œuvre de prestations qui maximisent les «gains absolus», c’est-à-dire, les gains qui vont profiter aux deux joueurs. Toutefois il  faut souligner que «partenariat gagnant-gagnant» ne signifie pas toujours «partenariat fifty-fifty». C’est actuellement le cas dans le volet économique des relations d’échanges entre la Chine et le Cameroun, où la Chine est le plus grand bénéficiaire, non pas à cause d’une prétendue volonté hégémonique de sa part, mais  parce que la nature des produits échangés par le Cameroun favorise cet état de choses.

    Les exportations camerounaises en direction de la Chine sont constituées de matières premières et produits non ou peu transformés (bois et ses dérivés, coton, comestibles minéraux, ressources minérales, aluminium, caoutchouc, fontes, fer, acier). Tandis que les exportations de la Chine vers le Cameroun sont des produits manufacturiers. Or, le prix des produits transformés est généralement plus élevé (deux, trois, dix et même vingt fois) que celui de la matière première. En négligeant cette donnée, le Cameroun fait le choix de se spécialiser dans la production de biens à faible valeur ajoutée. Il revient aux dirigeants camerounais de (re)définir les contours de cette coopération en toute responsabilité et en rapport avec la trajectoire de notre pays vers son émergence d’ici 2035.

    Interview réalisée par Aboudi Ottou

     

  • Unité nationale : Paul Biya noie le poisson

    Unité nationale : Paul Biya noie le poisson

    A l’approche du 20 mai, Etoudi a engagé une campagne de propagande pour embrouiller le débat sur la construction de cet idéal.

     

    Depuis le début du mois de mai, les comptes Facebook et Tweeter de Paul Biya sont particulièrement actifs. Chaque jour désormais, des messages en français et en anglais, les deux langues officielles du pays, y sont postés. Fil conducteur unique: l’unité nationale. En analysant ces messages, le président de la République semble préoccupé par trois choses: positionner l’unité nationale comme un acquis, «une condition et un facteur de la paix et du progrès» et inviter «tous les Camerounaises et Camerounais à réaffirmer dans les faits leur attachement à cette grande œuvre». Le thème choisi pour la célébration de la fête nationale cette année est dans la même veine. Il est en effet un appel aux «citoyens camerounais» à rester «unis dans la diversité» et à préserver «la paix sociale, pour un Cameroun stable, indivisible et prospère».

    Parallèlement à cette campagne menée via les comptes officiels du président de République et de la présidence de la République sur les réseaux sociaux, une autre est en branle dans les médias publics. Les choses ont été bien organisées, les messages sont synchronisés et les éléments de langage identiques. Aussi en lançant la série sur la CRTV, la radio gouvernementale, son directeur général parle du Cameroun comme «d’un modèle de construction patiente d’une nation sur des bases improbables». Pour Charles Ndongo, du fait de la montée des velléités séparatistes dans les régions anglophones, le 20 mai 2018 devrait être pour toute la nation, «comme un premier test de respect et d’attachement au contrat d’unité scellé depuis 46 ans».

    Problème anglophone

    La méprise est justement là. Car comme l’on souvent indiqué à moult reprises de nombreux experts d’horizons divers, l’unité du Cameroun repose sur des bases fragiles. La construction de l’Etat unitaire qu’on célèbre cette semaine est et a toujours été contestée. La crise anglophone qui secoue actuellement le pays, est une métastase de cette contestation que l’on nomme le problème anglophone. Il est né de la réunification du Cameroun oriental, francophone, d’avec le Cameroun occidental, anglophone et minoritaire (2 régions sur 10), auparavant séparés par la colonisation. Non sans raisons, une partie des citoyens originaires des régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest y ont toujours vu un processus «d’assimilation» mené avec l’aide de la France.

    Le cardinal Christian Tumi, originaire du Nord‐Ouest, raconte dans son ouvrage «Ma foi: un Cameroun à remettre à neuf», paru aux éditions Veritas en 2011, une anecdote fort saisissante : «(…) Nous étions invités, d’autres évêques d’Afrique centrale et moi, à l’ambassade de France auprès du Saint‐Siège. (…) Un fonctionnaire de l’ambassade m’approcha (…) sans le moindre soupçon de sa part que je pouvais être un camerounais anglophone, il me dit : nous (la France bien sûr) sommes contents que vous soyez en train de réussir l’assimilation culturelle des anglophones».

    Yves Mintoogue, historien: «La suppression par M. Biya (?) en février 1984 de l’adjectif « Unie » et le retour à l’expression « République du Cameroun » (nom du Cameroun francophone avant la réunification) ont été perçus par les anglophones comme l’acte final du processus d’assimilation historique de leur identité particulière»

    La façon dont le pays passe de la République fédérale issue de la conférence de Foumban d’octobre 1961, à la République du Cameroun tout court en février 1984, aide à renforcer ce sentiment. «Le référendum du 20 mai 1972 sur l’unification a lui‐même été dénoncé à posteriori comme un acte imposé par son seul initiateur, Ahmadou Ahidjo. La suppression par M. Biya (?) en février 1984 de l’adjectif « Unie » et le retour à l’expression « République du Cameroun » (nom du Cameroun francophone avant la réunification) ont été perçus par les anglophones comme l’acte final du processus d’assimilation historique de leur identité particulière», soutient l’historien Yves Mintoogue dans une tribune libre publiée en 2004.

    «Le chef de l’Etat continue d’enregistrer des opinions qui semblent ne voir comme issue à cette grave crise, que ce qu’elles appellent un dialogue franc et sincère. Allons donc. Si l’on admet ce principe, quelles en seraient les modalités opérationnelles? Quels visages les représentants de l’Etat auraient-ils en face d’eux? Et puis voyons, quels problèmes cet éventuel dialogue prétendrait-il résoudre autres que ceux clairement identifiés et que le chef de l’Etat a depuis méthodiquement et systématiquement résolus?», interroge Charles Ndongo.

    Nombre d’experts (Jean Koufan, Vivianne Ondoua Biwole, Christian Pout …), de hauts commis d’Etat (David Abouem à Tchoyi, Garga Haman Adji, Abakar Ahmat…) et des hommes d’église (Mgr Samuel Kleda, cardinal Christina Tumi…) se sont pourtant maintes fois exprimés sur la question. Et une constance se dégage: le dialogue dont il est question ici, devra permettre de revisiter la marche du Cameroun vers l’Etat unitaire dans le but de construire des compris sur les points de divergence.

    Perversion du droit

    La vérité est que, de ce dialogue-là, Paul Biya n’en veut pas. Il l’a lui-même clairement dit lors de son discours à la Nation le 31 décembre 2016: «Le peuple camerounais, comme un seul homme, s’est engagé à construire une nation unie, inclusive et bilingue. Il s’agit là d’une expérience unique en Afrique. Comme toute entreprise humaine, notre expérience n’est pas parfaite. Elle a des aspects perfectibles. Nous devons donc rester à l’écoute les uns des autres. Nous devons rester ouverts aux idées mélioratives, à l’exclusion toutefois, de celles qui viendraient à toucher à la forme de notre Etat». «Nous sommes disposés, à la suite et dans l’esprit des artisans de la Réunification, à créer une structure nationale dont la mission sera de nous proposer des solutions pour maintenir la paix, consolider l’unité de notre pays et renforcer notre volonté et notre pratique quotidienne du vivre ensemble. Et cela, dans le strict respect de notre Constitution et de nos institutions», avait-il ajouté.

    Pour Paul Biya, le Cameroun ne peut donc être rien d’autre qu’un Etat uni et décentralisé d’où le blocage actuel. Pourtant, lorsqu’il a fallu supprimer la limitation des mandats présidentiels, c’est le même Paul Biya qui affirmait que «les constitutions ne sont pas faites ne varietur, le peuple lui-même détermine ce qui est bon pour lui». Cette attitude, Fabien Nkot l’appelle la «perversion politique du droit». L’actuel conseiller technique au Premier ministère théorise le concept dans sa thèse intitulée «Perversion politique du droit et construction de l’Etat unitaire au Cameroun» soutenue en février 2001 à l’université de Laval au Québec. Le travail de recherche montre notamment que dans le cadre de l’instauration de l’Etat unitaire, «les dépositaires du pouvoir imaginent et élaborent un ensemble de techniques de tricheries juridiques qu’ils mobilisent progressivement et systématique pour atteindre des objectifs politique qu’ils se sont préalablement fixés».

    Aboudi Ottou