Septième mandat à la tête de l’Etat : Paul Biya, l’Histoire ou la poubelle

 

Ce 6 novembre 2018, la présidence Biya entre dans un nouveau septennat. Les puristes de la science politique évitent de parler d’installation au pouvoir. Ils préfèrent se référer au chiffre 36. Plus clairement, 36 ans de pouvoir. Parler donc d’un nouveau locataire au palais de l’Unité serait, disent-ils, absurde. Ceux qui forcent le souvenir s’arrêtent sur ses bains de foule, sur la haute stature du «héros national» dominant la marée humaine à l’issue de chacune de ses prestations de serment.

«I do so swear !». Cette année, Paul Biya prononce ces mots pour la huitième fois. L’explication qu’en donne le Pr Joseph Owona est que le successeur d’Ahmadou Ahidjo reste «un héritier à la hauteur du legs symbolique du pouvoir». Avec plus d’entrain, cet air-là, beaucoup le reprennent chaque jour, confortant ainsi «l’Homme-Lion» à éviter de se sevrer du goût du pouvoir. Cette fois, il entame la marche vers 2025. Il aura alors 92 ans. Pour le chiffrage, on en restera là.

Voici donc un nouveau septennat. Vu à travers le prisme du personnage Biya ou le récit des victoires et des échecs de ce dernier, le 7è mandat mérite d’être regardé avec l’œil du veau qui tète. Sans prédire le pire, Paul Biya devra faire face à l’impatience des Camerounais, à la déception des uns (les retraités, les fonctionnaires), à la colère des autres (avec le sujet épineux de la crise anglophone), à la surenchère de l’opposition, aux maladresses ou aux faiblesses de ses propres troupes. Et lorsque le moment viendra, il devra aussi évaluer les besoins des arrivants, en fonction de situations administratives et de bagages politiques extrêmement diversifiés. Grégoire Owona brandit « la force de l’expérience ». On sait bien, après près quarante ans d’efforts stériles, que les déficits publics et l’endettement faramineux du Cameroun ne vont pas disparaître par enchantement, en 7 ans. Pour l’heure, on accorde encore au « nouvel élu » le bénéfice du doute et le droit à l’expérimentation pour une période qui peut cependant se raccourcir brutalement.

 

06 novembre 2018

Deux événements, un acteur principal

Au sein du parti au pouvoir, on évoque des raisons financières et d’agenda pour justifier que la prestation de serment du président élu et le 36e anniversaire de son accession à la magistrature suprême se fêtent le même jour.

Ce 6 novembre, le Cameroun amorce une nouvelle période de sept ans sous la présidence de Paul Biya, en poste depuis 1982. Sorti vainqueur de l’élection présidentielle du 7 octobre dernier avec 71,28 % de suffrages exprimés, l’homme âgé de 85 ans se plie, une nouvelle fois au rituel de la prestation de serment. En effet, comme le commande l’article 140 du Code électoral, « le président de la République élu entre en fonction dès sa prestation de serment. Celle-ci intervient dans un délai maximal de 15 jours à compter de la proclamation des résultats par le Conseil constitutionnel. Il prête serment devant le peuple camerounais en présence des membres du Parlement, du Conseil constitutionnel et de la Cour suprême réunis en séance solennelle ».

Pendant que des millions de Camerounais se souviendront de n’avoir jamais entendu un autre président que Paul Biya prononcer la mythique phrase «I do so swear», les militants du parti au pouvoir de leur côté vont célébrer ce geste républicain de leur champion pour la 36e fois. Ce 6 novembre marque en effet le 36e anniversaire de l’accession à la magistrature suprême de l’homme du «Renouveau». Anniversaire qui sera célébré cette année en même temps que le début du 7e mandat du deuxième président de l’histoire du Cameroun.

Huit prestations de serment
Aucune raison officielle n’a été donnée pour expliquer cette double célébration inédite. Mais au sein du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (Rdpc), le parti présidentiel, l’on évoque tant tôt des considérations économiques, tant tôt des contraintes de calendrier. «La raison est davantage une raison économique. C’est-à-dire que s’il fallait organiser la prestation de serment un jour avant ou un jour après la date anniversaire de l’accession à la magistrature suprême, cela allait davantage imposer des dépenses énormes. Parce que cela suppose, une restauration, le transport des militants, la mobilisation au plan technique en termes de préparation de la cérémonie des faire-part à envoyer de part et d’autres. Tout cela allait couter très cher. Et nous sortons d’une rentrée scolaire en début septembre pour entrer dans une longue campagne qui a été essorante pour toutes les officines politiques», explique un membre du comité central du Rdpc.

Un autre embraye: «Il fallait faire une deux en un pour également éviter le croisement avec la rentrée parlementaire. Rentrée parlementaire, prestation de serment, et célébration du 6 novembre; cela fait trop d’acticités dans un contexte de morosité ambiante». De plus, ajoute-t-il, «les caisses de l’État sont au rouge. Même la prime des enseignants qu’on paye régulièrement connait un essoufflement. Nous sommes à cinq semaines sans prime. C’est tout cela qui fait en sorte que le 06 novembre de cette année puisse regrouper les deux manifestations».

Après le tout premier – 6 novembre 1982 suite à la démission de son prédécesseur Ahmadou Ahidjo, c’est la huitième fois que Paul Biya va prêter serment dont sept après une victoire à l’élection : 1984, 1988, 1992, 1997, 2004 puis 2011, puis 2018.

Ifeli Amara

 

Le jour d’après 

En début de mandat, les habitudes présidentielles consistent à sanctionner ou à récompenser. Dès ce 6 novembre 2018, tous les regards se tournent vers la plume de Paul Biya.

«Au Cameroun, l’après-prestation de serment est un moment». En insistant sur le dernier mot de cette phrase, le politologue Bernard Njeutchou se mue successivement, le temps d’une analyse, en climatologue, en géologue et en sociologue. «C’est la phase consacrée aux vents très forts. C’est un instant révélateur des tectoniques politiques très profondes. C’est le temps pendant lequel s’instaure une forme de mesure dans l’expression des rapports de force au sein de l’espace public», ajuste-t-il. Après chaque élection présidentielle, tout se construit à la fois sur l’instant et sur une dynamique imprévisible. «Voici venu le moment d’évaluation des coups d’éclats du précédent mandat. C’est un moment qui, après la campagne électorale et l’euphorie des résultats, réintroduit la politique dans ce qu’elle exprime de conflictualité et de rapports de force à vif contre une politique d’usage prioritairement technique», établit le sociopolitiste Blaise Eboumbou.

Comme à chaque fois qu’il est réélu, Paul Biya place ses corridors. En novembre 2011, Valentin Zinga écrivait : «le septennat cristallise les urgences, dont certaines ont vocation à dissiper le malentendu électoral du 9 octobre 2011. L’opinion attend plus que des signes ; elle espère des signaux. L’une des clés pourrait dès lors s’articuler avec un renouvellement de forte amplitude des personnels gouvernementaux, dans une dynamique combinant devoirs de gratitude politique (en forme de renvoi d’ascenseur)… Le renouvellement des ingénieries et des énergies».

Même jeu
«En 2018, l’opinion attend à la fois des signes et des signaux», croit savoir Blaise Eboumbou, braquant ses projecteurs sur les comptes et mécomptes du dernier scrutin présidentiel. «En clair, après la prestation de serment, Paul Biya se pressera de rassembler ses vrais soutiens, de serrer les vis et de rappeler à tous qu’il est le chef, et entend le rester», conclut l’universitaire.

Dans la faune de ceux qui «attendent», il y a les parvenus. Ils ont des visées après avoir battu campagne à gorge déployée dans leurs villages respectifs. Il y aussi les anciennes «créatures». Y compris les plus attentives et respectueuses des codes de «bonne conduite», elles sont dévorées par l’ambition de rester dans le sérail. Personne ne doit écorner les apanages de leur intouchable «souveraineté». Il y a ceux qui comptent recouvrer leur grandeur d’antan. Il y a le G20… «Là encore, avise le politologue Belinga Zambo, il faut bien comprendre que c’est le premier combat au couteau qui se joue sous nos yeux. Le reste (crise anglophone, réformes économiques et politiques, grands chantiers…) vient en second rideau».

Jean-René Meva’a Amougou

An 36 du magistère de Paul Biya 

Ils jugent le Renouveau 

A défaut de faire des projections sur son nouveau septennat, quelques Camerounais de la capitale évaluent le bail de l’homme du 6 novembre à la tête du pays depuis 1982. 

 

Énoch Assala Ambassa, imprimeur

«Plutôt satisfaisant»

Le bilan de monsieur Biya à la tête du Cameroun est plutôt satisfaisant. Nous constatons qu’il y’a un développement qui est en cours sur le plan infrastructurel, la santé s’améliore, l’éducation camerounaise est rehaussée. Mais, étant donné que nous sommes dans un monde où la perfection n’existe pas, nous demandons qu’il poursuive le travail, comme il a annoncé dans son livre.

 

Jacqueline Elomo, couturière

«La paix, c’est grâce à lui»

Le bilan du président est globalement positif, malgré la crise qui existe dans les deux régions anglophones. Le pays va bien ; il a une réputation de paix et c’est grâce à lui. Sur le plan économique, je ne me plains pas. J’ai mon atelier qui me met à l’aise et c’est grâce à sa politique.

 

Sylvestre Étoudi, enseignant de génie civil

«Beaucoup a été fait»

Le bilan des trente-six ans à la tête du pays est plutôt positif notamment sur le plan infrastructurel. Sur le plan de l’éducation beaucoup a été fait par rapport à ce qui existait avant. Nous dénombrons aujourd’hui 08 universités d’Etat. On a des collèges et lycées dans les fins fonds des arrondissements. Mais sur le plan économique, ça n’a pas beaucoup bougé et nous espérons qu’il s’y attellera. Maintenant, sur le plan sportif, je suis fier et on a eu des sacres à l’international. Et enfin le plan politique les jeunes ne s’intéressent pas à celle-ci et croyons aux changements pour le prochain mandat.

 

Ali Mohamed, chef restaurateur

« Tout le monde peut investir au Cameroun »

Paul Biya est bon. Au Cameroun, c’est la liberté d’expression tout le monde parle sans regarder à côté ou avoir peur. Mon père m’a dit qu’à l’époque, tu ne pouvais pas parler n’importe comment, je parle devant toi. Tout le monde peut investir au Cameroun grâce à la paix et la démocratie. C’est le travail de 36 ans et c’est grâce à lui.

 

Zra Ahmadou, expert en droit de l’homme

«Il y a plus d’avancées avec la démocratie»

Tout doit être relativisé, on ne saurait donner une réponse absolue parce qu’il y a des domaines où on a connu des évolutions et d’autres où beaucoup reste à faire. Au-delà de tout, il y a plus d’avancées avec la démocratie, l’état de droit, la cohésion sociale, la stabilité politique. Il n’en demeure pas moins qu’il reste encore beaucoup de choses à parfaire. On voit bien qu’on a des menaces sur la stabilité. Le chômage, l’emploi des jeunes, l’éducation sont des domaines qu’il faut voir dans le septennat avenir.

 

François Xavier Mvogo, conducteur de moto

«Au moins dans le volet de la liberté d’expression»

Je ne suis pas politicien, mais je pense que s’il a pu être là jusqu’à ce jour c’est parce qu’il travaille bien. On construit une nation au jour le jour. Ce n’est pas d’un coup de baguette magique qu’on se développe et le président Biya a beaucoup ouvré pour que le pays progresse. Au moins dans le volet de la liberté d’expression et la stabilité malgré la présence de Boko Haram et des Ambazoniens.

 

Mollah d’Ayéné, patriarche et retraité

«Laissons-le continuer»

Le président a fait du bon travail. Avant, personne ne pouvait prononcer le nom du président. Tu disais Ahidjo on t’arrêtait. Maintenant, tu insultes Paul Biya, il ne dit rien. Avant, c’était impensable. Laissons-le continuer. Mais, il doit se pencher sur le plan économique. Rien ne marche pas à cause du vol dans le pays et ces voleurs sont avec lui. C’est donc l’occasion pour lui d’avoir un bilan de 100 % positif s’il les met hors d’état de nuire.

 

Parfait Mengue, étudiant

«Il doit stopper le tribalisme et l’injustice»
Le bilan des 36 ans du président Biya a des points positifs et négatifs. Les points positifs : on peut dire que c’est avec lui qu’on a la liberté d’expression avec parfois du libertinage, il y a la création de nombreuses écoles, avec les universités qui restent néanmoins sous-équipée. Au niveau infrastructurel, il a une embellie avec la construction des autoroutes, des barrages comme ceux de Lom Pangar, Mékin, Memve’ele. Comme bilan négatif on assiste encore à des arrestations arbitraires. La justice camerounaise n’est pas indépendante et il devrait s’atteler là-dessus, nous avons également une injustice sociale accompagnée du tribalisme.

 

Francky Nkoulou, avocat stagiaire

«Certaines ne se reconnaissent plus en lui»

Lorsqu’on parle des 36 ans du président Biya, c’est mi-figue, mi-raisin. Mi-figue parce que ce sont les mêmes qui gouvernent le Cameroun depuis son accession au pouvoir, on dirait que ce sont des dynasties. Au niveau économique, compte tenu de notre potentiel, le pays ne devrait plus se trouver à ce niveau. On devrait parler du Cameroun comme pays émergent actuellement. Mais, il a laissé la corruption s’installer et certaines populations ne se reconnaissent plus en lui et la société a été tribalisé. Parlant du mi-raisin, on a eu la démocratie et les libertés d’expression qui sont ses plus grandes victoires et il avait lui-même dit aux caciques de son parti dans les années 90 de « s’apprêter à la concurrence ». Pour le septennat avenir, il doit oeuvrer pour le renouvèlement de la classe politique et économique même dans son propre parti.

 

Félix Wéré, maçon

«L’économie est un problème»

Vu le paysage camerounais actuel, le président Paul Biya a promis beaucoup de choses et il a tenu parole. Dans notre pays, il y a la liberté d’expression, avec la presse qui travaille. La dernière élection est une preuve. Mais, l’économie est un problème et il doit y travailler la et bien mener l’opération épervier. Mais globalement je suis un peu satisfait.

 

Géraldine Mengue, ménagère

«Notre pays est même envié en Afrique»

Globalement, tout ne peut être parfait. En tant que femme, le président Biya a beaucoup œuvré pour nous les femmes que ça soit dans la succession, ou dans l’éducation. Il a permis à tous les Camerounais de pouvoir s’exprimer sans être inquiété. Notre pays est même envié en Afrique. Malgré les attaques à Buea et Bamenda, il veut toujours le dialogue. Aujourd’hui, il doit favoriser l’accès des jeunes dans le monde des emplois.

Propos recueillis par

André Balla (Stagiaire)

 

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