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Réseaux sociaux : La «sexu@l connection» au Cameroun

Grâce à la toile, le marché du sexe se recompose et absorbe la pudeur au profit du plaisir et de l’argent. Enquête dans les forums et les nouvelles pratiques qui y ont émergé et, en filigrane, la culture qui en est issue.

Les rues d’Ékié-Nord (quartier populaire de Yaoundé) sont désertes, ce 15 mars à 9 heures du matin, lorsqu’une dizaine de policiers pénètre discrètement dans une propriété qui ne paie pas de mine. Au moins 10 élèves (filles et garçons) du Lycée d’Ékounou (dans le 4e arrondissement de la capitale) sont interpellés et conduits dans une unité de police de Yaoundé. À en croire les premiers éléments de l’enquête ouverte aussitôt, l’intérieur de l’espace donnait des allures de start-up proprette, «avec des ordinateurs et une quarantaine de téléphones portables, bien rangés près de cahiers». «Sur la base de leurs auditions, nous avons compris que ce groupe d’apprenants se livrait à des activités sexuelles. Les scènes étaient filmées et vendues sur Snapchat, Facebook et Instagram», souffle une source proche du dossier.

Pratique
«Par rapport à cette histoire, chez nous, la vente des images osées sur les réseaux sociaux fait figure de dernière-née, ce qui suscite naturellement un ensemble de questions qui tournent autour de la nouveauté dont elle serait porteuse», avise d’emblée Landry Fonkeu. Selon le sociologue, l’activité prostitutionnelle dans sa pratique a un nouveau visage au Cameroun. «Avertie de l’existence de forums consacrés ou proches de la prostitution, on a, comme il est d’usage, mis quelque temps à en comprendre le fonctionnement : la fiche à remplir, dire en quelques mots ce qu’on aime, ce qu’on n’aime pas, décider quelle photo on expose», glisse une source policière. «En fait, le loup va aller là où il y a des moutons», illustre-t-elle.

«C’est très sophistiqué et discret la manière dont les leaders manipulent les autres dans un groupe», renseigne un connaisseur. La suite de sa description indique que ça se passe entre copines. Ici une fille (administrateur) propose à ses camarades de former un groupe WhatsApp. Après avoir eu des filles (lycéennes et étudiantes), elle peut donc mettre en valeur le groupe sur Facebook afin d’attirer d’autres filles et potentiels clients. «Les administrateurs ciblent de jeunes filles vulnérables, en fouillant les réseaux sociaux. Ils les charment en proposant de combler leurs «carences», que ce soit leur besoin d’appartenir à un groupe ou d’être valorisées, en les invitant dans des sorties jet-set et en leur offrant des objets de luxe», assure Fabrice Takeudeu, promoteur d’un cabinet de veille numérique à Yaoundé. Il ajoute : «aussi étonnant que cela puisse paraître, certaines jeunes femmes vont elles-mêmes proposer leurs services sexuels dans ces forums. Parfois mineures, parfois majeures, elles désirent ainsi ‘’provoquer’’ et mettre en lumière leur luxueux mode de vie».

Business
Afin d’obtenir ces services? Les témoignages sont sans filet, bruts. D’après un jeune qui se fait appeler «Pablo», «on vous présente un catalogue dans lequel il y a toutes les modalités à savoir : le lieu de rencontre, les prix par heures, la manière dont la relation sexuelle se déroule, sans oublier que les caméras peuvent être autorisées si le prix est bon. Après vous être présenté, il faut alors s’inscrire dans un groupe et payer une somme soit de 2000 FCFA soit de 3000 FCFA. C’est selon les groupes via un compte soit mobile money, ou par orange money».

Pour Franky, un autre connaisseur, les frais de déplacement des préposés sont généralement assurés par le client qui devra les déposer au préalable via un compte électronique. Les contacts des profils physiques sont mis à la disposition du client qui opère son choix. Il faut dire que les prix et services sont proposés selon la durée et la qualité de services sollicités. 10 000 FCFA la partie individuelle de deux heures ; 30 000 FCFA pour la journée en individuel, 60 000 FCFA pour une partie de partouse. Les enchères peuvent monter jusqu’à 100 000 francs selon la qualité de service, apprend-on.
Nico, qui se présente comme «administrateur» d’un groupe WhatsApp dédié aux rencontres sexuelles à Yaoundé, dit accueillir en moyenne 150 «demandeurs de filles» chaque jour.

Conscient de cette manne, il résume : «ça paie !» Par une sorte de financement participatif, l’abonné rémunère directement le créateur, la plateforme prélevant au passage une commission de 20%. De multiples critères permettent d’aller plus loin dans les interactions personnalisées, par exemple, la possibilité de verser des pourboires pour obtenir un «service» particulier. Avec une augmentation de 75% des inscriptions durant le mois de mars 2020, à en croire Nico, le réseau a commencé à sérieusement faire parler de lui. La plateforme «cartonne chez les jeunes». «Ils savent que maintenant au Cameroun, les forums sexuels permettent à quiconque d’avoir facilement une relation, avec des prestations de deux heures tout compris : filles à volonté et bière à volonté», lance-t-il.

André Balla Onana et Désiré Menounga (Stagiaires)

 

Fabrice Takeudeu : «Il est temps de construire une véritable gouvernance de l’Internet»

Le promoteur d’un cabinet de veille numérique basé à Yaoundé expose sur le phénomène des forums sexuels au Cameroun.

Selon vous, pour quelles raisons le fait prend-il de l’ampleur ?
En ces temps sans jobs ni stages, de plus en plus d’étudiants y postent des photos pour arrondir leurs fins de mois. Pour beaucoup, cet exhibitionnisme n’est plus un problème. Sans aller aussi loin, Snapchat et Instagram ont préparé le terrain. Aujourd’hui les jeunes ont l’habitude de tout poster sur les réseaux sociaux où ils sont manipulés avec les photos qui circulent, le chantage ou encore le revenge porn. Aujourd’hui, la circulation des photos intimes semble représenter un véritable marché noir chez les adolescents. Le plus souvent, la photo est réexpédiée à quelqu’un à qui elle n’était pas initialement destinée, d’autres fois, elle est diffusée publiquement à un maximum de gens. Ce n’est qu’une étape de plus dans la sociologie de notre époque. À cette allure, il est temps de construire une véritable gouvernance de l’Internet au Cameroun.

Doit-on dire que le marché du sexe s’est emparé de la toile au Cameroun ?
Internet est un espace à l’abri du regard où l’on peut s’affranchir d’une pression sociale, de l’interdit en général. Que fabriquent les jeunes sur Internet ? Enfants, ils jouent ; adolescents, ils se divertissent, font des recherches ou passent du temps avec leurs amis. Mais pour ce qui est des jeunes de façon globale, quels sites plébiscitent-ils ? Selon nos investigations, entre janvier 2020 et janvier 2021, 47% du temps d’un jeune sur Internet a été consacré au sexe. Deux adolescents sur trois ont une tablette dans les ménages nantis. 93% des 9-16 ans naviguent sur la toile au moins une fois par semaine et 60% y vont tous les jours ou presque. Neuf lycéens sur dix ont un compte Facebook. Ce nouvel espace de publication accueille des vidéos dans lesquels les jeunes apparaissent (une fois sur cinq presque nu pour les filles). 1,2% de nos collégiens, lycéens et étudiants ont publié des vidéos d’eux-mêmes nus en ligne.

De multiples applications sont à la portée de ces jeunes. Il y a mieux, là où les images et les vidéos sexuelles faites ici sont reçues. Ces gens envoient un peu d’argent aux administrateurs de forums. Certains réseaux sociaux ont mis du prix pour cela. Pour agrémenter ce séduisant emballage, des stars se sont empressées de participer à leur promo. La chanteuse Beyoncé en cite un dans une chanson et l’actrice porno Clara Morgane y fait référence. Bien entendu, il n’est question que de gros sous.

Quels conseils prodiguez-vous au public jeune ?
On sait aujourd’hui qu’une image ne disparaît jamais vraiment d’Internet et des réseaux sociaux. Les adolescents doivent aujourd’hui savoir que, potentiellement, ils verront ressurgir dans cinq ans, dix ans et peut-être lorsqu’ils auront eux-mêmes des enfants, les photos intimes qu’ils ont prises un jour.

Propos recueillis par Ongoung Zong Bella

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