Relance post-Covid-19 : L’Afrique centrale va-t-elle refuser le changement?

Pour les pays de la région, la crise actuelle est l’unique opportunité de migrer vers la nouvelle économie.

Des travaux d’hercule pour sortir l’Afrique centrale de sa congénitale rente

Comment passer d’un modèle économique de rente à celui de productivité? Comment tourner le dos à la vente des matières premières pour intégrer la transformation productive? La relance économique post-Covid-19 cimentera-t-elle le passage du vicieux au vertueux en Afrique centrale?

Tant de questions qui, pour l’instant, ne trouvent réponse qu’essentiellement dans les productions des partenaires au développement. Pour la Banque mondiale, le chemin de la relance économique sera long et escarpé: il devra être pavé de politiques économiques saines. Dans son rapport Africa Pulses, du mois d’octobre 2020 (volume 22), l’institution de Bretton Woods démontre que les pays devront reconstituer leur espace budgétaire pour financer des programmes susceptibles de stimuler la reprise, d’améliorer la gestion de la dette et de lutter contre la corruption. En fin de compte, une reprise durable dépendra de la rapidité avec laquelle les pays africains privilégieront des actions politiques et des investissements visant à créer des emplois plus nombreux, de meilleure qualité et inclusifs. À leur tour, ces priorités politiques s’articulent autour de trois axes critiques et interdépendants: la transformation numérique, la réaffectation sectorielle et l’intégration spatiale. Plusieurs pays de la région saisissent déjà l’opportunité de la crise pour accélérer ces réformes.

À la Banque africaine de développement, on estime également que la crise actuelle est le meilleur prétexte. L’institution panafricaine de financement de développement estime que les pays de la région devraient transformer les contraintes de la crise actuelle en opportunités. Cinq mesures sont proposées: le renforcement de la gouvernance économique et du climat des affaires; la transformation structurelle et la diversification économique; l’investissement dans les infrastructures; le renforcement de l’intégration régionale et le développement du capital humain. «Lorsqu’il y a une crise, il y a aussi des opportunités. La région peut profiter de cette situation pour renforcer son système de santé, maintenir la stabilité macroéconomique, renforcer l’intégration régionale, qui est une nécessité, et investir dans le capital humain» indique Emmanuel Pinto Moreira, directeur du département des économies pays à la Banque africaine de développement.

Même son de cloche à la Commission économique des Nations unies pour l’Afrique (CEA). L’organisation onusienne fait le plaidoyer pour une production inclusive. Il s’agit de mettre un terme à la dépendance à un seul secteur, à une seule catégorie. Faire participer tous les secteurs à la production de la richesse nationale, en mettant un accent sur les chaines de valeurs. Pour Jean Luc Mastaki, économiste au bureau sous régional Afrique centrale de la CEA «le coronavirus est une menace à la fois économique et de santé publique. C’est aussi une opportunité pour reconstruire en mieux».

L’appropriation de ces clés vers la nouvelle économie s’évaluera sans doute avec la disponibilité du plan communautaire de relance économique post-Covid-19 de la Cemac. Toutefois, les documents proposés par la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (Cemac) et la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (CEEAC) n’esquissent pas suffisamment les mutations exigibles dans le secteur productif.

Évaluation
Pour la Cemac, une première esquisse du plan communautaire de relance économique post-Covid-19 a été rendue publique en aout dernier. Il convient de rappeler que ladite mouture, élaborée par le Programme des réformes et financières de la Cemac, est en enrichissement auprès des services compétents de la Communauté. Toutefois, des premiers enseignements peuvent être émis.

Dans ce document, la Cemac reconnait que «la situation d’État pétrolier “rentier” semble avoir souvent favorisé une culture de citoyen “rentier”, avec un faible gout du risque». Ainsi, dans cette première livraison, la Cemac réserve une place importante à l’amélioration accélérée du climat des affaires et surtout à l’intensification de l’appui aux initiatives d’entrepreneuriat. C’est dire que les créateurs de richesse ont un rôle important dans la relance économique.

Pour ce qui est de la transformation productive, le document indique que la transformation locale des ressources naturelles devrait être codifiée dans un texte communautaire. Lors de la présentation du rapport 2019 du Pref-Cemac, son secrétaire permanent indiquait d’ailleurs qu’«il serait de bon ton que l’obligation de transformation locale de plus de 85% des grumes de bois, qui est appliquée par presque tous les pays de la zone, soit étendue à toutes les matières premières exploitées dans l’espace Cemac».

Le plan de relance couvrira la période 2021-2025. 5 ans pour restructurer l’espace Cemac. Le document finalisé, promet-on, sera chiffré et assorti d’un plan d’action à réaliser dans le temps. À la CEEAC, on reste en attente d’une esquisse du plan de relance économique à l’échelle régionale. La stratégie de riposte anti-Covid-19 a été validée par les chefs d’État au mois de juillet dernier.

Libre circulation
La pandémie a entrainé une perturbation sans précédent du commerce mondial, la consommation et la production mondiales ayant fortement diminué. Dans certaines régions africaines, la rupture des chaines d’approvisionnement internationales a catalysé le commerce intrarégional. C’est le cas en Afrique de l’Est.

Dans l’espace Cemac et CEEAC, les mesures de lutte contre la pandémie ont paradoxalement renforcé le cloisonnement du marché régional, déjà le plus faible, du continent en termes de flux. Plusieurs unités de production agricoles ont subi des pertes. On peut évoquer le secteur de la tomate au Cameroun qui approvisionne la sous-région. Bien plus, les pays ont davantage fait recours aux importations pour se fournir en bien de premières nécessités (pharmaceutique et alimentaire) pendant les périodes de confinement. Ce qui a pour conséquence de grever la confiance et l’orientation de la chaine logistique envers la production sous régionale, et donc, de faire reculer le commerce des biens dans la sous-région.

Pourtant, l’amélioration des échanges dans la sous-région est une nécessité. Le caractère extraverti des économies de la région est une source de vulnérabilité. «La Covid-19 a montré que ce modèle économique n’était pas des plus résilients» asserte l’économiste Jean Luc Mastaki. Il est donc urgent de résoudre les défis structurels de production des biens finis prêts à être consommés, mais aussi de résoudre les problèmes liés aux obstacles tarifaires et non tarifaires, puis la facilitation des échanges entre les pays de la région.

En Afrique centrale, la Cemac obtient moins de 3% en 2018 pour ce qui est du commerce intracommunautaire, pendant que la CEEAC a moins de 1%. Pour relever ce défi, il faudra le comprendre pour mieux l’adresser. «Le commerce intrarégional n’est pas très élevé parce, comme l’ont dit beaucoup d’économiste, nous avons des structures économiques qui se ressemblent. Alors, nous échangeons très peu entre nous. Non! C’est aussi parce que nous n’avons pas donné de la valeur à nos produits.

Nous produisons le maïs, nous produisons la banane, etc. Mais nos grandes villes et leurs consommateurs préfèrent du maïs transformé, labellisé et de bonne qualité. La classe moyenne a certes du maïs frais produit à côté d’elle, mais dans ses besoins de consommation, elle préfère importer ou acheter ce qui l’est. Ce qui veut dire que lorsque nous allons donner de la valeur à nos produits. Lorsque nous allons mieux les conditionner (packaging, branding), nous allons être en mesure de commercer entre nous» analyse Jean Luc Mastaki de la CEA.

Stratégiquement, l’Afrique centrale pourrait miser sur le développement d’une industrie capable de rendre disponible à ses citoyens les produits de première nécessité. Principalement les produits alimentaires: «une autre vérité est que même si le commerce intracommunautaire est faible, une part importante de ce commerce est liée aux produits alimentaires. C’est dire que lorsque nous allons donner de la valeur ajoutée à nos produits, notre marché régional pourra consommer beaucoup plus de produits dont nous sommes auteurs et responsables dans la sous-région», soutient l’économiste de la CEA.

Mais la pandémie de Covid-19 a également démontré la valeur de l’industrie pharmaceutique dans le commerce international. La crise des chaines d’approvisionnement a elle aussi rappelé l’importance des achats de médicaments dans les balances de paiement des États de la région. C’est donc un levier multiplicateur des échanges intracommunautaires, mais surtout de la transformation productive et donc de la relance post-Covid-19.

Financement
Le financement de la relance pour les pays pauvres en général et ceux de la Cemac en particulier sera une gageüre! L’initiative de suspension de la dette par le G20 n’a pas tenu les grandes promesses qu’on attendait d’elle. À peine 4,9 milliards dollars pour l’Afrique. Elle n’a été prorogée que de 6 mois supplémentaires (jusqu’en juin 2021), alors que la CEA estime que les pays africains en ont besoin pour 2 ans. Ainsi, le stress de la dette reste permanent et hypothèque cette relance en Afrique centrale.

Que faire? Deux pistes de la CEA semblent pertinentes: le renforcement de la capacité d’intervention des banques multilatérales de développement en Afrique telles que la BAD, en les dotant de 200 milliards dollars; la mise en place d’un accès plus facile aux marchés des capitaux au travers de la baisse de la prime de risque. De toute évidence, il revient aux pays de la région d’engager le lobbying auprès des instances internationales pour que les volants de financement de la relance soient malléables.

Au demeurant, une question qui taraude les économistes: À quoi ressemblera le monde lorsqu’on ne parlera plus du coronavirus? À cette question, plusieurs ont tenté de répondre et de plusieurs manières. En Afrique centrale en revanche, la question essaie encore d’être posée. Quel système social l’Afrique centrale voudrait-elle incarné après le coronavirus? Telle est l’ambition à laquelle invite la relance économique post-Covid-19 dans la région. Cette question fait jaillir une multitude d’autres dont la plus saillante est: Les déploiements actuels de relance économique sont-ils à la hauteur de la question susévoquée? Pas terrible!

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