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Rdpc-Mrc : Le duel à fleurets mouchetés

Par médias interposés, une bataille inédite a eu lieu. Chaque camp essaie surtout d’épuiser l’autre. 

1-No limit 

À sa sortie de prison le 5 octobre dernier, Maurice Kamto s’est contenté des petites phrases et astuces habituelles de meetings. Sur le vif, le président du Mouvement pour la renaissance du Cameroun (MRC) a juste apprécié la ferveur militante des adeptes de son parti et le bain de foule médiatique. Son équipe de Com’ assurait alors qu’il était urgent d’attendre un peu pour entendre l’homme politique, officiellement battu par Paul Biya lors de l’élection présidentielle d’octobre 2018. «Déflagrations», le mot choisi par l’un de ses proches pour parler de ce qui allait arriver et prouver que le MRC n’est pas hors-jeu sur le plan sociétal.
Tout un programme donc. «Superbement décrit! C’est tout à fait cela!», commente Arnaud Watonsi, spécialiste de la communication politique et des médias.

C’est clair: Maurice Kamto ne reculera devant rien pour handicaper ceux qui l’ont jeté à Kondengui, et usera de tous les moyens pour les éclipser. Dans la foulée, il y a eu quelques phrases bien senties pour laver son honneur: «Ceux qui saluent un geste d’apaisement n’étaient pas en prison pendant neuf mois(…) Il n’y a jamais eu de négociation entre moi-même et le pouvoir en place à Yaoundé (…) Ce qui compte ce sont les faits et je n’ai aucun moyen de savoir ce qui a pu déterminer la décision de notre libération. Ceci dit, ce n’est que justice, parce qu’on ne sait pas pourquoi on était détenus. On a passé neuf mois de notre vie pour rien derrière les barreaux et je pense simplement qu’il était temps qu’on y mette un terme». Sur Rfi (Radio France internationale), le leader du MRC inaugurait ainsi sa saga communicationnelle.

Pour décrypter cette sortie sur les antennes du média français, Arnaud Watonsi ne lui donne pas d’autre sens qu’«un avant-goût, un premier test». Pour un coup, «c’est réussi;23 531vuessur YouTube au 16 octobre 2019», a évalué Paulin Mekoka, militant du MRC et community manager basé à Yaoundé. Sur la foi de ce chiffre, Maurice Kamto est donc un bon client pour la presse locale. Dans les couloirs de celle-ci, on ne doute pas que le fils de Bahama gardé quelques piques dans sa besace, surtout sur des sujets¬ anxiogènes (élection d’octobre 2018, crise anglophone, suite du grand dialogue national [GDN], montée du tribalisme…).

Partout, on se bouscule pour qu’il les dégaine prioritairement «ici chez nous». Le 16 octobre 2019, le fait s’anime et décline les enjeux. Sur la page Facebook de Médiatude, on lit «Après “Le Jour” et “RFI” ce mercredi, quelle chaîne de télévision Maurice Kamto pourrait-il, selon vous, choisir pour sa première en télé depuis sa libération?».

Le matin du 17 octobre 2019, le patron du MRC est annoncé à la Rts (Radio Tiemeni Siantou) émettant à partir de Yaoundé. Sur ce support, le président du MRC a décidé, dans une émission spéciale «4S», d’accorder 30 minutes d’interview à Eric Boniface Tchouakeu et Serge Aimé Bikoi, respectivement chef de chaîne et chef du service politique. Entre temps, Canal 2 International veut offrir ses caméras à Maurice Kamto. Contre la télévision d’Emmanuel Chatué et la radio de Lucien Wantou Siantou, la déroute est sans fin. Le «gros morceau» brille par son absence sans les studios de l’un et l’autre média. Lot de consolation pour la Rts qui obtient une «interview téléphonique».

Toutefois, à regarder ou à écouter ce qu’il se passe ailleurs, l’on comprend vite que le comité du MRC est musclé pour faire du «bruit médiatique», selon la formule de Arnaud Watonsi. Le 20 octobre, Paul Eric Kingué (directeur de campagne de Maurice Kamto lors de la présidentielle de 2018) apparaît dans «La vérité en face», une émission diffusée tous les dimanches sur Équinoxe TV.Le 17 octobre déjà, il était à la porte d’en-face, en posture d’invité de la matinale d’Éric Fopoussi sur Équinoxe Radio. Sur le même plateau le 13 octobre, Célestin Djamen, un autre cadre du MRC, y était.

2-Bien acides, les remontées de terrain

Bien informé sur le timing du MRC, le Rdpc a lui aussi décidé d’occuper le terrain médiatique. Et ce n’est pas de gaité de cœur que la machine politique de Paul Biya s’y emploie depuis quelques jours. En interne, souffle une source, une «war room» a été mise sur pied pour renverser la vapeur à tout-va. Pour intensifier ce travail, conseillers politiques et spécialistes de la communication sont à pied d’œuvre. «Être à la jonction des réseaux sociaux et des médias écrits et audiovisuels, tel est le mot d’ordre qui leur a été signifié», apprend-on. En clair, Plus qu’une mobilisation, c’est la chasse qui est désormais ouverte contre, non seulement les «extravagances» de Maurice Kamto et son équipe, mais également celles de l’Union européenne au sujet du GDN.

Le 18 octobre au matin, Jacques Fame Ndongo a donné le ton sur Rfi. «Nous, notre stratégie c’est de conserver le pouvoir de manière démocratique, de manière transparente et dans la paix» a décliné le secrétaire à la communication du Rdpc. Et pour que la cible de son discours se reconnaisse, il n’a pas hésité à préciser: «sa stratégie, c’est une stratégie de conquête du pouvoir». Ne renonçant jamais devant de belles formules, le voilà qui poursuit, plus fort: «crois que sa réaction est tout à fait classique. Il a été en prison, on ne peut pas dire que ce fut le paradis terrestre pour lui. Mais je crois qu’objectivement, le geste du président Paul Biya est un geste de magnanimité, de mansuétude et d’apaisement».

Vendredi 18 octobre 2019, sur l’antenne radio de la Crtv, la même idée a fait son chemin jusqu’à René Emmanuel Sadi. Intervenant dans le format spécial du son journal parlé de 20 heures, le Pca de la radiotélévision d’État a fustigé l’impudeur ostentatoire des ex-prisonniers du MRC. «Il est vrai qu’on ne s’attendait pas outre mesure à des épanchements de reconnaissance par le MRC à la suite des mesures de clémence du président de la République. Mais la moindre bienséance commandait qu’à défaut d’exulter, qu’on exalte un tant soit peu un acte souverain et magnanime du chef de l’État, qui participe d’une réelle volonté d’apaiser et de sa détermination à donner tous ses sens au retour d’une paix et d’une stabilité définitives au Cameroun.

Vu sous cet angle, il me semble que Kamto et certains va-t-en-guerre parmi ses partisans n’ont pas su prendre toute la mesure et saisir le sens profond de la clémence présidentielle, que pourtant l’opinion nationale et l’opinion internationale ont salué à juste titre. Et l’important, de notre point de vue, c’est cette clameur de cette satisfaction que l’on a perçue à l’intérieur comme à l’extérieur avant, pendant et après le grand dialogue national», situe-t-il.

Au cours de la même session radiophonique, le ministre de la Communication, porte-parole du gouvernement, balance que le «coup» de Maurice Kamto et compagnie était prévu. Selon lui, leur posture indique qu’ils entendent rejouer coûte que coûte le scrutin du 7 octobre 2018 «Nous n’avons guère été surpris par les propos de Monsieur Kamto lors de cette interview. Il s’inscrit manifestement dans une logique qui est la sienne et celle se des partisans, peut-être pas tous, depuis la proclamation de l’élection présidentielle; une logique de l’extrémisme, le jusqu’auboutisme, la radicalisation prônée sur la revendication d’une prétendue victoire due», étale l’ancien secrétaire général du Rdpc.

Lorsqu’il est monté au créneau le 18 octobre 2019, Jean Kuete, son successeur a tenu à se démarquer très clairement du discours systématiquement négatif du MRC. Dans un communiqué où il fait allusion à cette formation politique, l’actuel secrétaire général du comité central du parti au pouvoir parle «des partis politiques qui entreprennent délibérément de relativiser l’importance du grand dialogue».Les lignes du document ne manquent pas de véhiculer son exaspération face à la jubilation de ses cadres. Ceux-ci, juge Jean Kuete, excellent dans le bling-bling «par des déclarations à répétition irresponsables».

Jean Kuete n’oublie pas de porter une violente charge contre les récentes critiques de l’Union européenne. Le 14 octobre dernier, celle-ci a appelé à la poursuite du processus de dialogue national tenu du 30 septembre au 4 octobre 2019 à Yaoundé, afin «de dégager des réponses aux attentes légitimes des populations, tout en renforçant l’inclusivité de tous les acteurs concernés tant à l’intérieur que de la diaspora, y compris les femmes, les jeunes et la société civile».

«Dans le même ordre d’idées, écrit Jean Kuete, l’on observe, non sans étonnement, la nouvelle tonalité du discours de certains partenaires du Cameroun qui, il y a quelques semaines à peine, saluaient hautement la convocation du grand dialogue national et se félicitaient du déroulement des travaux et des recommandations retenues. Le Rassemblement démocratique du peuple camerounais exprime son incompréhension pour ces comportements instables qui sont de nature à semer la confusion au sein de l’opinion, et regrette en même temps les ingérences récurrentes et irrespectueuses dans les affaires de notre pays».

 

3-Et des alliés…volubiles

On aurait du mal à parler d’une simple coïncidence en écoutant Issa Tchiroma Bakary dans le magazine Dimanche midi sur la CRTV-radio ce 20 octobre 2019. Et même si c’était le cas, entre les lignes, on peut décoder les propos de l’ancien porte-parole du gouvernement répond aux questions de Vincent de Paul Atangana. Adaptant une tonalité grave, retrouvant les accents d’ancien Mincom, l’auditeur a retrouvé en «l’allié du RDPC» un politique au service de l’alliance: Sans le ditre ouvertement, son discours ne pouvait que renforcer le sentiment d’un diagnostic sans appel déjà établi par le «grand allié».

Bien sûr, Issa Tchiroma a ajouté une donnée supplémentaire : un style oratoire littéraire élaboré, avec un trop-plein de mots, de belles phrases aux contenus généraux et parfois une construction intellectuelle dont la recherche de perfection sur le fond et la forme donne peu de prise et d’angle d’attaque à la critique. On aura compris : le président du FNSC (Front pour le Salut National du Cameroun) a opté pour une parole politique modeste et économe de ses concepts pour aborder la question MRC. Il y a ici une contradiction qui apparaît régulièrement dans le discours macroniste.

Mais avant, le 26 janvier 2019 lors d’une tournée dans la région du Nord, l’homme avait déclaré : « Maurice Kamto a choisi de se mettre manifestement hors la loi … Le Président du Mrc, le professeur Maurice Kamto, qui a de l’expertise en droit, ne peut dont pas ignorer tout çà et a choisi de se mettre manifestement hors la loi », a-t-il déclaré lors d’une interview accordée à la CRTV, station régionale du Nord Cameroun. A cette époque-là, un bruit courait faisant état d’une vague de démissions et de ralliements collectifs de 350 militants du MRC vers le FSNC dans les arrondissements de Garoua 1, 2 et 3.

Ongoung Zong Bella

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