Rationalisation des CERs d’Afrique centrale : CEEAC, l’arroseur arrosé

On a frôlé le pire

La CEEAC et la Cemac rapportaient les points inscrits dans l’agenda de la session

La 5ème réunion du Conseil des ministres du Comité de pilotage de la rationalisation des Communautés économiques régionales en Afrique centrale (Copil/CER-AC) s’achève ce 12 août 2022 sur une très bonne note. «Au terme des échanges, le Conseil transmet le projet de Traité constitutif de la nouvelle Communauté validé avec un avis favorable au président dédié, le président camerounais, Paul Biya», rapporte le communiqué final des travaux de Yaoundé.

On est à ce moment loin d’imaginer que l’issue de la session présidée par le ministre camerounais de l’Économie, de la Planification et de l’Aménagement du territoire, n’est pas écrite sur du marbre. Et que bien au contraire, plusieurs acteurs étatiques et institutionnels donnent depuis le début des travaux du fil à retordre à Alamine Ousmane Mey, le président du Copil/CER-AC. Avec la ferme intention de remettre en cause l’ensemble du processus et son orientation telle qu’arrêtée depuis déjà plusieurs sessions.

Les travaux sont dans l’ensemble maîtrisés. Mais la Commission de la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (CEEAC) revient à chaque fois à la charge. La tension et la nervosité finissent par gagner les autres délégations présentes dans la capitale camerounaise. Au point que le risque n’est plus écarté que les manœuvres dilatoires fassent leur effet, que le processus confié depuis 2009 au président dédié soit stoppé net et que le président camerounais, Paul Biya, perde la face.

Il faut alors un sursaut d’autorité et de fermeté pour mettre définitivement fin aux ambitions de la CEEAC. La décision a le mérite de recentrer le débat et d’identifier les partisans de l’aboutissement du processus de la fusion des trois Communautés économiques régionales existant en Afrique centrale. Elle permet en même temps de faire la lumière sur les jeux d’ombres des forces antagonistes, et notamment du Gabon et de la République Démocratique du Congo. Lire le zoom.

Théodore Ayissi Ayissi

 

 

L’institution sous-régionale a multiplié les réserves et les questions préjudicielles. En pleine conscience de ce que c’était le moment où jamais pour donner au mandat du président dédié à la rationalisation, une nouvelle orientation.

 

Au moment s’ouvre la 5ème réunion du Conseil des ministres du Copil/CER-AC, toutes les délégations présentes à Yaoundé ont conscience d’être à l’avant-dernière étape du processus de fusion-constitution. Puisqu’après «l’instance politique que constitue le Conseil des ministres, c’est au tour de l’instance politique suprême d’entrer en scène, en l’occurrence la Conférence des chefs d’État et de gouvernement», aime à le rappeler le Dr Patrice Libong, coordonnateur du secrétariat technique du Copil/CER-AC. Autrement dit, si quelqu’un s’oppose à l’union de la CEEAC et de la Cemac, l’occasion lui est donné du 9 au 12 août 2022 «pour le faire ou se taire à jamais», selon une formule chère aux officiers d’état civil. La Commission de la CEEAC l’a bien compris. Et tout le temps que durent les travaux de Yaoundé, l’institution communautaire brille par ses objections, ses réserves et ses prises de position dilatoires.

Cellule des experts
La Commission de la CEEAC commence à se manifester au cours de la 5ème réunion du Conseil des ministres du Copil/CER-AC dès le 9 août 2022. La Cellule des experts est censée se réunir ce jour pour baliser le terrain. La cérémonie d’ouverture est présidée par le ministre délégué auprès du Minepat, Paul Tasong. Mais la CEEAC brille par son absence. Son chevalet est enlevé à la dernière minute par le protocole et c’est finalement Luc Charles Assamba Ongodo, directeur général de la Coopération et de l’Intégration régionale au Minepat qui prend la place laissée inoccupée. Des sources confirment que la Commission de la CEEAC ne prend pas non plus part aux travaux qui suivent. Comme elle l’a fait lors des précédentes réunions des experts du 9 au 13 novembre 2020 et du 24 au 28 mai 2021.

Fusion-absorption
Puis vient le 11 août. Le président de l’institution communautaire ne fait pas le déplacement de Yaoundé. Il se fait représenter par son directeur de cabinet à la cérémonie d’ouverture présidée au nom du président dédié, par le président du Copil/CER-AC. Le discours prononcé par Abraham Roch Okok-Esseau devant Alamine Ousmane Mey ne laisse alors aucun doute sur les intentions de la Commission de la CEEAC. «Il n’a jamais été question de la disparition de la CEEAC et de son remplacement par une autre institution». Le représentant de Gilberto Da Piedade Verissimo laisse en effet entendre «qu’il ne nous paraît ni raisonnable, ni productif d’envisager dans la situation actuelle, la rationalisation par fusion-constitution.

 

Lire aussi : Contre-offensive en faveur d’une fusion-constitution : Un huis clos décisif 

 

La CEEAC est convaincue qu’une rationalisation faite autour d’elle suivant la modalité de la fusion-absorption des trois CERS existantes, a plus de chances de réussir face à la multiplicité des parcours historiques et politiques». Cette déclaration vient éclairer d’un nouveau jour les nombreuses attitudes de la Commission de la CEEAC. Celle du financement y compris. L’institution sous-régionale s’accroche en effet sur l’dée que «la réforme institutionnelle en cours à la CEEAC se fait en lieu et place de la rationalisation, et qu’elle doit aboutir à l’intégration de la Cemac et de la CEPGL au sein de la CEEAC», tentent de décrypter certains observateurs.

Audit comptable
La problématique de la contribution de la CEEAC au financement du Copil/CER-AC est également exploitée par la Commission pour lever une autre question préjudicielle. L’institution sous-régionale a cessé depuis 2020 d’apporter sa participation. Abraham Roch Okok-Esseau explique à ce sujet que l’arrêt est dû «aux difficultés financières que l’institution rencontre et à l’absence d’un audit financier et comptable du secrétariat technique». Sauf que les textes organiques du Copil/CER-AC donne la responsabilité aux deux CERs que sont la CEEAC et la Cemac de désigner le comptable. Le ministre camerounais Alamine Ousmane Mey s’est fait le devoir de le rappeler. En plus des états financiers présentés séance tenante par le secrétariat technique. À la demande aussi de la RDC.

Théodore Ayissi Ayissi

 

Renvoi pour nouvelle lecture du Traité constitutif 

Le Gabon et la RDC en embuscade

Ils ont tous les deux soutenu cette approche avec l’intention de remettre en cause l’ensemble du travail abattu jusque-là par les experts de la sous-région.

 

Au fur et à mesure que les travaux progressent, le Gabon se révèle être le véritable porteur des ambitions de la Commission de la CEEAC. «Même si le pays siège de l’institution sous-régionale ne s’est jamais ouvertement prononcé pour éviter un incident diplomatique», croit savoir une source interne au Copil/CER-AC. Car une prise de position ouverte aurait pu être interprété «comme une défiance d’Ali Bongo Ondimba à l’égard de Paul Biya». Et l’observateur averti de préciser «que le président dédié dispose en sa faveur de la décision conjointe No 1/CEEAC/Cemac du 31 mars 2015 portant création du Copil/CER-AC».

 

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Malgré tout et en dépit du travail abattu jusque-là par les experts et les ministres, une menace sérieuse vient finalement jeter une ombre sur les travaux de Yaoundé. «La RDC était déjà en train de réclamer le renvoi du projet de Traité constitutif de la nouvelle CER aux États pour une seconde lecture». Notre source indique qu’elle le fait à la suite du directeur de cabinet du président de la Commission de la CEEAC. Lequel a indiqué «qu’à ce stade, il faut que les textes retournent aux États pour une analyse approfondie».

Pour un des témoins privilégiés de cette journée, «c’est la preuve que la manœuvre du Gabon et de la CEEAC était en train de vouloir prendre. Et que le Gabon étaient déjà sur le point d’endoctriner d’autres États pour qu’on renvoie l’affaire». Il lui aurait donc ensuite suffit de faire un lobbying auprès des différents États de la sous-région pour obtenir le statu quo. La fusion devant désormais se faire dans le sens souhaité et indiqué par la Commission de la CEEAC.

Posture de la RDC
Selon une certaine expertise, «la position de la RDC dans ce cas de figure est en réalité compréhensible». Cette expertise évoque notamment que «la RDC assurant la présidence en exercice de la Communauté CEEAC et son ministre de l’Intégration étant le président du Conseil des ministres, elle ne poulait pas abandonner le poulain dont elle assure la tutelle». De ce point de vue, la République Démocratique du Congo ne pouvait donc pas accepté «raisonnablement de ‘‘mourir’’ sans au moins prouver qu’elle s’est battue et que c’était au-dessus de ses moyens». Et notre source de conclure qu’en fait, «lorsque le directeur de cabinet du président de la Commission de la CEEAC se retourne vers le ministre (RD) congolais, c’est pour lui dire en fait que c’est la RDC qui peut sauver la situation, puisque c’est vous qui portez politiquement la CEEAC».
C’est cette réclamation qui a pourtant eu le don de décider certains ministres, résolus à conduire jusqu’au bout leur mandat, à demander et à obtenir un huis clos.

TAA

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