Questions de journaliste adressée à des praticiens, experts et universitaires: «Comment voyez-vous la transformation digitale en cours au Cameroun?» «Comment faire pour mieux mobiliser le digital dans les couches sociales du pays?» «Comment accompagner la révolution digitale au bénéfice de l’économie nationale?» La diversité et la richesse des regards croisés rassemblés lors de la Cameroon Digital Week (CDW) ouvrent de nombreuses pistes de réflexions. De façon globale, elles portent sur les effets de cette transformation digitale et les intentions stratégiques du gouvernement, dans le sens de l’articulation entre enjeux macro et micro-économiques.
Placée sous le thème «Towards a digital future (vers un avenir numérique)», la CDW (organisée à Yaoundé du 16 au 20 octobre 2023, par l’Etat du Cameroun et la Commonwealth Telecommunications Organisation, CTO) est donc venue opérer une sorte de couplage entre logique technique et logique managériale, en organisant des discussions collectives autour de la valeur ajoutée du numérique au Cameroun. Mieux, la CDW est venue rappeler que si la digitalisation est un état d’esprit, elle s’articule surtout autour d’actions de terrain, et de la conviction qu’il faut partir des activités et des initiatives existantes pour développer les usages et légitimer les transformations.
Dans les discours entendus à cette occasion, trois registres se sont entremêlés et se sont renforcés et se sont même parfois opposés. D’où, en bonne place, le grand et large débat sur la qualité exécrable du service, la tarification arbitraire et le coût d’internet au Cameroun.
À Yaoundé, la semaine dernière, lors de la Cameroon Digital Week (CDW), les opérateurs de téléphonie mobile locaux ont encore été interpelés par des consommateurs.
Les compagnies de téléphonie mobile qui occupent l’espace camerounais prennent-elles au sérieux la colère de leurs clients? Oui, mais non. Oui, en regard du flot de promesses faites avant le CDW, désormais clos depuis le 20 octobre dernier à Yaoundé. Mais non, à en juger par leur incapacité à répondre utilement aux griefs populaires. Alors que l’on attendait d’eux une réponse à l’immense exaspération des millions de consommateurs des services de communications électroniques, les opérateurs de téléphonie mobile ont vite appréhendé le risque de rendre irrémédiable la rupture entre leurs clients et eux. A Yaoundé, lors du CDW tenu du 16 au 20 octobre 2023, ces opérateurs n’ont pas cherché à dépasser les caricatures déployées par des parlementaires et des membres de la société civile, étourdis par la qualité exécrable du service et une tarification arbitraire.
Séquences
Un peu à l’image des gens qui n’ont rien à gagner et tout à perdre à ne pas se taire, Camtel, MTN Cameroon et Orange Cameroun se sont plus occupés de leur réputation. L’exemple le plus flagrant est tiré des échanges occasionnés par le forum sur «People and technology», le 17 octobre 2023. Ce jour-là, la présidente de l’Association des bayam-sellam (Asby) du Cameroun a remis au goût du jour, l’image du fiasco depuis longtemps dénoncé. A sa manière, Marie Mbala Biloa a notamment décrié la qualité de service (lenteur du réseau, indisponibilité, couts exorbitants des appels et de la connexion internet..) ainsi que la couverture du réseau à l’échelle nationale surtout dans les zones rurales. Et pour accompagner ce constat, Lilian Koulou Engoulou (coordonnateur de l’Observatoire du développement sociétal, une organisation de la société civile camerounaise spécialisée dans la protection des consommateurs) parle de la «lie du peuple». Le regard est perçant, précis, presque clinique; le débit rapide, articulé, quasi-mitrailleur, il ajoute: «On pourrait penser que la fonction sociétale de ces opérateurs de téléphonie est en réalité d’inculquer et de protéger les objectifs économiques à l’aide des méthodes tirées du fond des âges pour endormir les consommateurs. En bonnes communicantes se sachant dans l’œil du cyclone, ces opérateurs se sont attachés à acheter des espaces dans la presse pour assouvir leurs désirs de puissance ou d’influence, au détriment du droit de savoir des citoyens. Vraiment, c’est une affaire en avance sur le diable !».
Défense
En prenant la parole, les opérateurs de téléphonie mobile estiment qu’ils méritent mieux que ces infamies qu’ils reçoivent. Premier sur la scène, le Directeur général d’Orange Cameroun. «Quand on parle de qualité du service, c’est souvent un problème collectif qu’il faut régler. En réalité, on a nos réseaux qui sont interconnectés. C’est-à-dire qu’aujourd’hui, pour peu qu’il y ait un de nos réseaux qui a les problèmes, les autres aussi sont entrainés dans les problèmes de qualité de service», déclare Patrick Benon. Soucieux de ne pas envenimer l’ambiance, le Français postule qu’il est très enrichissant de découvrir d’autres réalités. «Au-delà des opérateurs (parce que nous avons aussi beaucoup à faire), il faut aussi avoir en tête qu’il y a des éléments qui ne dépendent pas que des opérateurs. Et je pense qu’il faut qu’il y ait une collaboration un peu plus large avec les autorités (c’est déjà le cas)…nous avons des problèmes d’interférence. A Yaoundé en particulier, beaucoup de points qui viennent interférencer nos fréquences et qui font que, quel que soit ce qu’on mettra comme équipements, on ne peut pas fournir la bonne qualité de service parce qu’il y a d’autres émetteurs qui émettent sur ces fréquences-là. Est-ce que les opérateurs peuvent les démanteler? Non ! Parce que les opérateurs sont des entreprises privées qui n’ont pas de droit d’intervenir sur certaines choses. Donc, nous avons également besoin d’aide des autorités pour qu’on puisse régler un certain nombre de choses», expose Patrick Benon.
Amadou Saïd, responsable technique à Camtel, on dispose d’un autre élément de réponse à cette question générale dans les actes d’incivisme. «Nous avons un câble sous-marin qui arrive à Kribi. Nous devions normalement sécuriser Kribi par au moins, deux fois passant par Edéa, par Ebolowa. Mais les entreprises forestières et autres entreprises de travaux routiers, ont détruit le chemin pendant des années. Et quand bien même les opérateurs auront réglé le problème d’énergie à leur niveau, si le client dans son domicile, n’a pas d’électricité, la solution c’est quoi? Je crois que c’est revenir auprès du gouvernement», explique le cadre de Camtel.
En plus d’appuyer cette argumentation, Mitwa Nga’mbi parie sur la vétusté des téléphones utilisés par les consommateurs. Selon le directeur général de MTN Cameroon évoque notamment des téléphones qui ne répondent plus aux exigences actuelles et qui méritent, à cet effet, d’être démolis ou renouvelés. Comme explication au «siphonage de data», Mitwa Nga’mbi alerte: «Votre data s’épuise lorsque vous utilisez vos applications. Mais elle s’épuise plus rapidement lorsque d’autres applications travaillent en arrière-plan, consommant ainsi encore plus de data».
Jean-René Meva’a Amougou
Avec ou sans lien?
Hasard de calendrier? Peut-être. En tout cas, il se trouve simplement que la cérémonie d’inauguration de l’immeuble siège de l’Agence de régulation des télécommunications (ART) a servi de prétexte pour préparer les compagnies de téléphonie mobile à ce qui les attend.
Bien qu’inscrite dans un registre plus festif, ladite cérémonie (à laquelle a pris personnellement part le Premier ministre, chief Joseph Dion Ngute) apparaît comme ramassée en elle-même. Et il est sans doute significatif que, lorsque l’on écoute la ministre des Postes et Télécommunications (Minpostel), son discours prononcé le 20 octobre dernier à Yaoundé peut également s’interpréter par référence aux griefs formulés (contre les pouvoirs publics) par les opérateurs de téléphonie mobile, trois jours plus tôt. Et parce que le sens du discours de Mme Minette Libom Li Likeng jaillit par petits ou grands éclats, les mots semblent possédés du désir de dire à l’ART de sévir.
«S’agissant spécifiquement de la qualité de services, le régulateur, doit se mettre à l’écoute des usagers dont les 10 plaintes sont récurrentes, et y apporter des solutions pertinentes et durables», recommande la Minpostel. Et si le travail de l’ART paraît essoufflant et fébrile, Mme Minette Libom Li Likeng rappelle que «la mission est de garantir que ce secteur fonctionne de manière efficace, équitable; et cela, conformément aux lois et règlements régissant l’activité des communications électroniques, tout en stimulant l’investissement et la concurrence».
Bien plus, la Minpostel brosse un portrait diversifié du «gendarme des télécoms». D’après elle, «un régulateur efficace assure une meilleure qualité de service possible pour l’utilisateur final, tout en veillant à sa protection par une application rigoureuse de la réglementation en vigueur, sans compromis, ni encore moins, de compromissions; un régulateur de qualité qui se positionne en tant qu’acteur robuste, garantissant l’équité et l’égalité de traitement envers tous les opérateurs de réseaux, tout en préservant les droits des utilisateurs finaux, qui souvent sont le segment le plus vulnérable de la chaîne. Un régulateur compétent, agissant en tant que gardien du secteur, ce qui est essentiel pour créer un environnement propice à l’innovation, à l’investissement et à la croissance économique».
Jean René Meva’a Amougou