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Qualité des médicaments au Cameroun: la mort sur ordonnance (*)

Obnubilé par un marketing débridé, surfant sur les failles du système de sécurité, le contrôle des produits pharmaceutiques perd de vue sa mission principale, protéger les malades.

Dans une ancienne usine en fond de cour d’un immeuble situé au quartier Bastos à Yaoundé, une quinzaine d’avocats, de juristes et de stagiaires d’un cabinet spécialisé dans la santé tient sa réunion hebdomadaire ce 11 novembre 2022. À l’ordre du jour, plusieurs dossiers d’accidents médicaux survenus à la suite de la consommation de la «Broncalène» par des patients, entre juin 2020 et septembre 2022 à Yaoundé, Douala, Dschang, Mbalmayo et Mbankomo. «Nous allons poursuivre certains organismes et personnes en justice suites à des plaintes de nombreux malades résidant dans ces localités. Il est regrettable qu’après le 25 septembre, date arrêtée par la Direction de la pharmacie, du médicament et du laboratoire du ministère de la Santé publique pour le retrait de tous les lots de Broncalène adultes et enfants FL/150ml en circulation dans le pays, que cet antitussif reconnu nocif selon une étude du CHU de Nancy (France) continue d’être prescrit et importé au Cameroun où se procurer l’antitussif Broncalène relève d’une banalité. Le produit est distribué à des prix allant de 2 250 à 2 800 FCFA. En fait, le CHU de Nancy a démontré que le médicament querellé est de nature à engager le pronostic vital des malades à travers des réactions anaphylactiques peranesthésiques. Ce phénomène serait expliqué par une hypersensibilité immédiate pendant l’anesthésie due à des agents bloquants neuromusculaires (curares) faisant intervenir les anticorps de nos défenses humanitaires», dévoile un avocat au barreau du Cameroun.

Dans son libellé, le propos suggère l’intérêt heuristique qu’il peut y avoir à envisager un scandale à l’échelle nationale. Dramatiquement mis en scène ici par une poignée de juristes, ces faits placent sous les projecteurs les dysfonctionnements des services hospitaliers, en interrogeant la compétence et la responsabilité des services camerounais de contrôle des médicaments ainsi que leur fiabilité. «Actuellement au Cameroun, une inquiétude croissante s’exprime dans certains milieux de santé publique face au problème de la circulation des médicaments illicites ou de qualité inférieure, faux, faussement étiquetés, falsifiés, contrefaits dont la qualité, la sûreté, l’efficacité, l’origine et la posologie sont inconnues. Nous pensons que ce marché est en forte croissance, indique le rapport. Il expose les patients à de graves problèmes de santé en fournissant des médicaments (…) qui sont inefficaces et, dans certains cas, mortels. Dans de nombreux rapports internationaux, notre pays est fréquemment désigné comme un espace fragile et comme la cible de trafics et d’irrégularités de toutes sortes», assure un agent local d’Interpol. La perspective ainsi ouverte a le mérite d’être assise sur un horizon social élargi. «Très souvent, dans notre pays, l’inexistence d’unité de production pharmaceutique de médicaments oblige les grossistes pharmaceutiques (publics et privés) à importer la quasi-totalité de leurs besoins en médicaments avec des risques de défauts majeurs de qualité pharmaceutique. Par ailleurs, malgré l’existence d’un laboratoire national de contrôle qualité des médicaments fonctionnel et conforme aux normes internationales, il demeure un handicap majeur dans l’objectif de protection de la population et dans les enjeux pharmaceutiques», postule Omer Lagan, médecin urgentiste à la retraite.

Réalité
Dans cet enchevêtrement, les technologies de contrôle de la qualité des médicaments, d’authentification de la marque, de traçabilité des trajectoires, de régulation des marchés sont pointées du doigt. L’intérêt de cette approche est d’aborder le problème des médicaments « par le haut », c’est-à-dire non pas à travers ce qui se passe sur les marchés informels mais à travers les initiatives d’acteurs économiques, médicaux et politiques pour réguler le marché. Dans ce contexte mêlant stratégies commerciales et souci de santé publique, le problème est formulé de façon croissante sous la notion de « contrefaçon » et à travers lui c’est le rôle des importateurs qui est décrié. «Les géographies en mutation du marché pharmaceutique au Cameroun ont fini par introduire de nouveaux problèmes en matière de qualité, de standardisation du contrôle. De l’importance accrue des pratiques de discrimination entre marchandises pharmaceutiques légitimes et illégitimes découle qu’un aspect central de la lutte contre la circulation de médicaments illicites est la prolifération de technologies de contrôle et d’authentification. Les pratiques de contrôle sont multiples. Elles concernent aussi bien les dossiers, les sites de fabrication ou de stockage, les produits et dans ce dernier cas peuvent porter sur les matières premières, les articles de conditionnement, les produits semi-ouvrés ou les produits conditionnés», dénonce Aristide Mvondo Mvondo, cadre à la Division de la Communication, de la Promotion et de l’Accompagnement des entreprises à l’Agence des Normes et de la Qualité (ANOR).

Textes
En effet, au Cameroun, il existe un mille feuilles réglementaires. Par exemple, en tête de liste apparaît la Circulaire N°D36-65 LC/MINSANTE/SG/DPML du 04 Juin 2020 portant Contrôle des importations des produits pharmaceutiques en général et des dispositifs médicaux et réactifs de diagnostic in vitro en particulier. Ledit texte dispose que «l’importation des médicaments, l’importation des dispositifs médicaux et réactifs de diagnostic in vitro est strictement limitée aux structures régulièrement agréées par le Ministre de la Santé Publique et est, à compter de la date de signature de la présente lettre circulaire subordonnée à l’obtention préalable d’un «Visa Technique d’importation » délivré par le Ministre de la Santé Publique».
En second lieu, il y a la Lettre Circulaire N°D36-36 LC/MINSANTE/SG/DPML du 09 Août 2019 règlementant l’accessibilité géographique et financière des médicaments et dispositifs médicaux de qualité est une priorité de la Politique Pharmaceutique Nationale. Le document stipule que «l’accessibilité géographique et financière des médicaments et dispositifs médicaux de qualité est une priorité de la Politique Pharmaceutique Nationale. À cet effet, le Ministre de la Santé Publique à travers ses services compétents, évalue les dossiers de demande d’homologation puis délivre après avis favorable de la Commission Nationale du Médicament, des Autorisations de Mise sur le Marché (AMM) aux produits respectant les exigences règlementaires en matière de qualité, d’efficacité et d’innocuité. Cependant, il m’a été donné de constater que certains grossistes répartiteurs font enregistrer des produits au Cameroun et dès lors se prévalent l’exclusivité d’importation et de distribution desdits produits empêchant ainsi les autres d’importer ces derniers. Cette situation de monopole est de nature à accroitre les ruptures de stock et à augmenter la sollicitation de nouvelles demandes d’AMM pour des médicaments pourtant déjà disponibles sur le marché», rappelle Dr Gisèle Etame Loe, Présidente de l’Association Africaine des Industries du Médicament.

Constat
Vu sous cet angle, la sécurisation pharmaceutique apparaît donc comme une manière de gouverner des flux d’objets, faisant appel à des outils différents, en évolution et pas toujours cohérents les uns avec les autres, mais dans l’articulation desquels on peut lire une forme d’irrationalité. Le constat est clair, selon Dr Omer Lagan. «Plus généralement, dit-il, le contexte camerounais ne garantit pas assez la qualité des médicaments malgré la mise en place d’un système d’organisation et de surveillance du processus tout entier, depuis l’acquisition d’une substance pharmaceutique jusqu’à la disposition du consommateur». Pour le médecin émérite, «un système efficace de contrôle comprend trois dimensions : juridique (législation sur le médicament), réglementaire (cadre d’action de l’organe national de contrôle concernant notamment l’homologation des médicaments, la délivrance de licences, les pratiques d’inspection) et technique (normes qualité, tests et règles de bonne pratique)».

(*) Article rédigé par l’Association TOLÉRANCE «Pour le Dialogue des Cultures».

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