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La proposition européenne du nouveau pacte migratoire : vers une meilleure coopération avec les pays d’origine et de transit ?

En présentant le nouveau pacte sur la migration et l’asile, la Commission propose des solutions européennes communes pour relever un défi européen, qui a la prétention de renoncer aux solutions ponctuelles pour privilégier un système de gestion de la migration prévisible et fiable. Elle repose sur deux piliers : des mesures plus efficaces et rapides et la solidarité entre les Etats membres.

Olivier Kenhago Tazo est Ministre Plénipotentiaire, diplômé de l’Institut des Relations Internationales de Cameroun et de l’Institute for European Studies – ULB. Il est en service à l’ambassade du Cameroun en Belgique.

Olivier Kenhago Tazo

Cinq ans après le pic de la crise politique de 2015, la Commission européenne a publié une proposition de pacte sur la migration et l’asile. En 2015, l’Europe avait fait face à une crise migratoire majeure, avec l’arrivée sur son sol de près d’un million de personnes. Les conflits en Irak, en Syrie, en Libye ou encore en Erythrée, avaient poussé des centaines de milliers de personnes sur la route de l’exil.

L’Europe n’avait réagi qu’après l’émotion mondiale provoquée par la photo du petit corps d’Aylan Kurdi, retrouvé sur une plage de Turquie alors que sa famille tentait de rejoindre l’Europe. Malgré un sursaut provoqué par ce drame, les dirigeants européens n’ont pu se mettre d’accord pour résoudre cette crise. Tandis que certains Etats membres, à l’instar de l’Allemagne, prônaient l’adoption d’une politique d’accueil plus souple, d’autres, à l’instar de la Hongrie, ont décidé d’ériger des barrières pour empêcher le passage des migrants.

L’Union européenne avait finalement, faute d’un consensus, accouché au forceps d’une série de mesures: « hotspots » (centres d’accueil et d’enregistrement des migrants) en Grèce et en Italie, plan d’action avec la Turquie, répartition des réfugiés entre les pays par quotas… Mais au prix d’une fracture entre pays de l’Est et du Sud. Et surtout, sur le terrain, ces mesures n’ont eu qu’un effet très limité pour tarir les arrivées.

Dès lors, des réflexions ont été engagées par l’UE pour trouver une solution pérenne à cette situation, qui aboutit donc à la présentation, le 23 septembre dernier, quelques jours seulement après la catastrophe de Moria qui a elle aussi créé une onde choc, d’une nouvelle proposition destinée à modifier substantiellement le système de Dublin jusque-là en vigueur.

La question migratoire présente actuellement plusieurs enjeux, notamment : la sécurité des personnes qui recherchent une protection internationale ou une vie meilleure; les préoccupations des pays situés aux frontières extérieures de l’EU qui craignent que les pressions migratoires n’excèdent leurs capacités et qui ont besoin de la solidarité des autres pays, ou encore les préoccupations des autres États membres de l’UE qui craignent que, si les procédures ne sont pas respectées aux frontières extérieures, leurs propres systèmes nationaux d’asile, d’intégration ou de retour ne soient pas en mesure de faire face en cas de flux importants.

En présentant le nouveau pacte sur la migration et l’asile, la Commission propose des solutions européennes communes pour relever un défi européen, qui a la prétention de renoncer aux solutions ponctuelles pour privilégier un système de gestion de la migration prévisible et fiable. Elle repose sur deux piliers : des mesures plus efficaces et rapides et la solidarité entre les Etats membres.

Le premier pilier consiste en des procédures plus efficaces et plus rapides. Plus précisément, la Commission propose d’introduire une procédure intégrée à la frontière qui comprend un filtrage préalable à l’entrée incluant l’identification de toutes les personnes qui franchissent sans autorisation les frontières extérieures de l’UE ou qui ont été débarquées après une opération de recherche et de sauvetage.

Le second pilier est le partage équitable des responsabilités et la solidarité. En période de tension, chaque État membre devra apporter sa contribution solidaire afin d’aider à stabiliser l’ensemble du système, soutenir les États membres sous pression et faire en sorte que l’Union remplisse ses obligations humanitaires. Les contributions flexibles de la part des États membres peuvent aller de la relocalisation de demandeurs d’asile depuis le pays de première entrée à la prise en charge du retour des personnes qui ne jouissent pas d’un droit de séjour, en passant par diverses formes de soutien opérationnel.

Les pays de l’Union européenne qui ne veulent pas prendre des demandeurs d’asile en cas d’afflux devront en revanche participer au renvoi des déboutés du droit d’asile depuis le pays européen où ils sont arrivés vers leur État d’origine. Une façon de mettre tous les États à contribution en contournant le refus persistant de plusieurs pays, notamment ceux du groupe de Visegrad d’accueillir des migrants. Bruxelles veut ainsi tirer les leçons de l’échec des quotas de relocalisation décidés après 2015, en abandonnant le principe d’une répartition contraignante des migrants.

Par ailleurs, le «pacte» révise la règle consistant à confier au premier pays d’entrée d’un migrant dans l’UE la responsabilité de traiter sa demande d’asile. Selon la proposition de la Commission, le pays responsable de la demande pourra être celui où un migrant a des liens familiaux, où il a travaillé ou étudié, ou alors le pays lui ayant délivré un visa. Sinon, les pays de première arrivée resteront chargés de la demande et un État soumis à une pression migratoire pourra demander l’activation d’un mécanisme de solidarité obligatoire.

Ces piliers seront soutenus par une bonne coopération avec les pays tiers pour relever des défis communs tels que le trafic de migrants, le développement des voies légales d’accès et la mise en œuvre effective des accords de réadmission.

Retour dans les pays d’origine
En matière de retours, la proposition prévoit un cadre juridique plus efficace, un rôle renforcé attribué au corps européen de garde-frontières et de garde-côtes, et un nouveau coordinateur de l’UE chargé des retours, ainsi qu’un réseau de représentants nationaux, qui garantiront la cohérence dans l’ensemble de l’Union.

Le paquet de réformes proposé par la Commission peut être évalué à travers plusieurs considérations. Premièrement, force est de constater que la loi ne suffit pas – comme l’illustre amplement la situation dans les îles grecques. Les pays du Nord se plaignent de l’échec notoire de la procédure de reprise dans le cadre du système de Dublin.

Deuxièmement, le «nouveau départ» annoncé par la Commission pourrait en réalité être une illusion. À y regarder de plus près, l’on découvre plusieurs règles déjà contenues dans le système de Dublin, en ce qui concerne notamment un contrôle préalable à l’entrée couvrant l’identification de toutes les personnes. Les éléments obligatoires correspondent dans l’ensemble à ce que les autorités frontalières sont déjà tenues d’accomplir en vertu du code frontières Schengen, à l’exception d’un examen de santé, que la plupart des États membres ont introduit en réponse à la pandémie du Covid-19.

Responsabilité partagée
Troisièmement, l’idée de «solidarité et de partage des responsabilités», sur laquelle la Commission a insisté, saisit bien les tensions inhérentes à tout débat sur la migration et l’asile en Europe. Les États membres ont des points de vue différents sur leur «juste» part, en particulier en ce qui concerne la réforme du système de Dublin.

En tout état de cause, le paquet de réformes est davantage une question de pragmatisme que de principes. Il s’agit par essence d’un morceau de realpolitik, ce qui peut expliquer certaines particularités, qui devront néanmoins être jugées en termes d’équilibrage adéquat des revendications compensatoires à la gestion des migrations et aux droits de l’homme, à la coopération supranationale et à l’action de l’État.

Force est de constater, in fine, que le succès du paquet restera tributaire des partenariats renforcés avec les pays d’origine et de transit. Pour assurer les retours, la Commission mise toujours sur une meilleure coopération avec les pays tiers. Cela reste donc un angle mort de la politique migratoire. La question étant de savoir si l’UE peut forcer, ou convaincre en échange de certains avantages, les pays tiers à reprendre certains de leurs nationaux. Sur ce plan, il n’y a rien de vraiment nouveau.

Les pays de transit
S’agissant des pays de transit, qui retiennent les migrants sur leur territoire, la Commission espère que la coopération va continuer à fonctionner, et qu’elle pourrait dupliquer ces mécanismes dans d’autres pays tiers. Ce choix politique va certainement renforcer la dépendance de l’UE à l’égard de la Turquie, dans un contexte de vives tensions politiques, diplomatiques et mêmes stratégiques. Il est la conséquence de l’incapacité des 27 à s’accorder sur une approche équilibrée en interne. L’impasse politique sur la réforme législative interne contraste en effet avec l’accent prononcé mis sur l’externalisation, qui a paradoxalement donné un réel succès en termes de réduction du nombre de personnes franchissant les frontières extérieures.

Si donc l’UE a une solution à l’extérieur, tout le débat sur la solidarité devient beaucoup moins important, car en fait, l’occasion ne se présentera peut-être pas d’exiger, encore moins d’appliquer cette solidarité, si les verrous turcs et libyens résistent à la pression migratoire. Est-ce qu’au fond on n’essaye pas aujourd’hui d’avoir un système de solidarité qui ne serait quasiment jamais appliqué parce qu’on évite que les demandeurs d’asile et les migrants illégaux arrivent dans l’Union européenne ?

L’implémentation de la politique des retours et réadmission et du blocage des migrants et demandeurs d’asile hors des frontières de l’UE nécessite des négociations entre égaux, qui sont influencées par le poids politique, financier et économique de la partie européenne. C’est le cas avec les négociations entre l’UE et les Etats membres de l’OEACP, pour la conclusion d’un Accord post-Cotonou, de même que celles qui se tiennent dans la perspective de la stratégie UE-Afrique. Ces deux processus achoppent actuellement sur la question du retour et de la réadmission des migrants.

Cette approche est complémentaire avec celle qui consistera pour l’Europe à employer la politique des visas pour faire pression sur les pays de départ. D’où le nouveau mécanisme envisagé pour soutenir la coopération en matière de retour qui, indirectement, fournit une plate-forme pour activer la politique de développement ou commerciale comme une monnaie d’échange. Cette approche unilatérale, seule, sera très certainement insuffisante pour susciter une coopération significative. Les scénarios gagnant-gagnant sont plus prometteurs, comme le soulignent les Etats ACP dans les négociations en cours pour un nouvel Accord de partenariat avec l’UE. Faire de l’immigration une question essentielle, pouvant donner lieu à des mesures appropriées dans la relation avec l’Afrique, est une évolution que cette dernière n’est pas pressée d’accepter.

Les voies légales de migration économique pourraient, à cet égard, constituer une incitation importante. Elles ont été promises à maintes reprises par les institutions européennes et les États membres, même si le bilan reste médiocre. Une réelle volonté devra être manifestée du côté européen afin que ces partenariats constituent un nouvel outil innovant et significatif.

Par Kenhago Tazo Olivier, Ministre Plénipotentiaire

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