Une réforme ou ajustement institutionnel est l’ensemble des modifications significatives dans le but d’apporter des améliorations à une organisation.
Du coup, le Comité de Pilotage de la Réforme Institutionnelle de la CEEAC (COPIL-RI), s’est réuni du 19 au 21 juin 2019 à Libreville. Ce qui est une traduction directe de l’attention que les Chefs d’Etat de la Sous-région portent au projet de revitalisation de cette Communauté, créée en 1983 comme une organisation de coopération entre les Etats souverains en Afrique Centrale.
Etant donné qu’après 30 ans d’existence, la feuille de route de la CEEAC a connu une évolution contrastée, liée aux grandes mutations du contexte géopolitique, une mise à jour de son mécanisme s’impose.
Toutefois, il convient de s’interroger. Cette optimisation de l’organisation institutionnelle de la CEEAC à l’orée d’une Fusion-Constitution avec la CEMAC, ne serait-elle pas l’expression d’intérêts égoïstes ?
En guise de rappel historique, depuis le traité d’Abuja (1991), nous avons opté pour la « rationalisation » CEEAC-CEMAC. Après les Conférences des Ministres Africains de l’intégration (COMAI) tenues successivement à Accra en 2005, Lusaka et Ouagadougou en 2006, une politique de rationalisation a été introduite autour de ces deux Communautés.
L’objectif de cette vision a toujours été d’aboutir à une seule Communauté Economique Régionale, car la coexistence de la CEEAC et la CEMAC dans le même quartier d’Afrique, obère1 le processus d’intégration dans cette partie du continent.
Le processus de rationalisation des CER de l’Afrique est plus que jamais sur les rails. Son objectif est de parvenir à la naissance d’une communauté nouvelle unique en 2023 par la fusion de la CEMAC et de la CEEAC. Malgré l’insuffisance des contributions financières des Etats, plusieurs avancées sont perceptibles. Les Zone de libre Echange de la CEMAC et de la CEEAC sont désormais unifiées avec la délivrance d’un agrément cosigné par les tops managers des deux communautés. Les travaux vers l’unification des deux unions douanières sont en voie d’être bouclés.
En clair, le marché unique CEMAC-CEEAC se dessine. En outre, l’ossature de la nouvelle communauté a été présentée au de comité de haut niveau réunissant le Président du comité de pilotage de la rationalisation et les tops managers des deux communautés. Le format décidé est celui de fusionner les institutions conjointes et d’élargir aux deux communautés celles qui ne le sont pas. Le niveau d’intérêt des Etats étant aussi prononcé, il n’est pas impertinent de questionner l’opportunité et les perspectives des réformes engagées par le secrétariat général de la CEEAC.
A- LE RISQUE DE CETTE REFORME : L’INFLATION INSTITUTIONELLE
L’objectif de la réforme est de contribuer à faire de la CEEAC une Communauté Economique Régionale forte, avec une architecture institutionnelle en harmonie avec celle de l’Union Africaine et des autres Communautés Economiques Régionales, en vue de rendre plus efficient le fonctionnement de son exécutif.
En d’autres termes, il s’agira (01) de procéder à la réforme de l’architecture institutionnelle et organisationnelle de la CEEAC afin d’assurer une meilleure répartition des rôles et des responsabilités entre les Organes politiques et techniques de la Communauté, (02) d’organiser un audit du cadre légal et règlementaire de la CEEAC et l’adapter aux normes et standards internationaux dans le but de réaliser un saut qualitatif majeur dans la gouvernance des Institutions, Organes et Organismes Spécialisés de la Communauté.
Une retraite de la quasi-totalité du personnel du secrétariat général de la CEEAC sera organisée, afin de susciter l’appropriation par tous du processus.
1) Le problème du sous financement de la réforme CEEAC
En plus de ce que l’existence de plusieurs CER laisse apparaître des missions et des mandats qui se chevauchent, elle est surtout un décuplement financier qui suscite une avalanche de frissons. Pourquoi ? Selon qu’il est prévu par le Pacta sunt servanda2, si ladite réforme aboutie, les États de la CEMAC devront donc financer deux Cours de justice, deux Cours des comptes, deux Parlements, deux Commissions.
Il convient aussi de souligner que le projet de la réforme institutionnelle connait même déjà une difficulté liée au financement de son budget. Comme le soulignait le Secrétaire Général de la CEEAC3 dans son allocution, sur un budget de 1,9 milliards, un seul État membre a déjà payé sa contribution de 211 millions. À ce jour ce processus de réforme a couté 1 milliard environ financé par des préfinancements du Secrétariat Général (75%) et l’appui des partenaires (25%). S’il est donc superfétatoire de dire que c’est un luxe qu’on peut s’en passer, ce financement saura être bien plus utile et agréable dans la réalisation des projets comme l’élimination des barrières non tarifaires au commerce sous régionale, en vue d’un développement économique plus accentué.
2) Le danger de l’hypocrisie politique dans le financement de rationalisation CEMAC/CEEAC
Si la réforme CEEAC aboutit comme voulu par ses instigateurs, la sous-région deviendra dès lors, un théâtre d’hypocrisie politique entre États membres. Ceci s’explique dans la lenteur des contributions financières pour la rationalisation des deux CERs.
Le Secrétariat général de la CEEAC a appuie, du mieux qu’il peut, le COPIL/CER-AC, en dépit de ses problèmes chroniques de financement qui ne nous sont pas étrangers. Le Secrétariat général s’est évertué, pour la bonne marche du COPIL/CER-AC à lui verser des contributions à hauteur de 190 millions FCFA à ce jour (40 millions FCFA dès 2014, avant la signature de la décision conjointe, et 150 millions FCFA en 2016). Le Secrétariat général ne s’en est pas limité là. Il a aussi transféré à hauteur de plus de 349 millions de FCFA au COPIL/CER-AC ses propres ressources du Projet d’Appui au Renforcement des Capacités institutionnelles de la CEEAC (PARCI), cofinancé par la BAD dans le cadre de sa mission d’appui à la construction de l’intégration continentale. Cette somme assez conséquente a permis, entre autres, au Secrétariat Technique du COPIL/ CER-AC de bénéficier d’un appui logistique avec l’acquisition du matériel informatique pour une valeur de 28 143 500 FCFA en 2014.
B- L’OPPORTUNITE DE CETTE REFORME : UN CATALYSEUR DE DEVELOPPEMENT
1- Un Tarif Extérieur Commun stable
Ce projet peut-on dire, est de bon augure, car résolument engagé dans le processus de rationalisation par la fusion constitution avec la CEEAC, la CEMAC s’est engagée dans le programme de réforme institutionnelle (PRI) et entend, capitaliser cet acquis. C’est dans cette visée que le Président de la Commission CEMAC a insisté sur les apports de son entité au moment de cette fusion avec la CEEAC. Notamment, un tarif extérieur commun stable, la libre circulation des personnes, des politiques sectorielles intégrées et un mécanisme amélioré de financement de la Communauté.
2- Un atout pour la réalisation des grands agendas (2025, 2030 et 2063)
La réforme institutionnelle trouve aussi son sens dans cette fringale de faire de l’institution une organisation moderne, adaptée et dotée des capacités organiques et d’un exécutif viable qui lui permettra de confronter les défis actuels pour le plus grand bien des Etats et des peuples, résolument tournés vers une meilleure intégration sous régionale.
Cette velléité d’accélérer le processus de réforme de la CEEAC s’inscrit aussi, sous le regard de son rôle dans la réalisation des axes prioritaires 2025 de la Communauté, de l’Agenda 2063 de l’Union Africaine et l’Agenda 2030 des Nations Unies.
En conclusion, pendant que toute l’attention est accordée aux besoins d’efficacité et d’efficience qui guident la réforme institutionnelle de la CEEAC, Nous pouvons aussi questionner la responsabilité des ex-puissances coloniales (France et le CFA en zone CEMAC, Belgique sur la RDC), qui ne veulent pas d’une dynamisation de l’intégration régionale en Afrique Centrale. Chacun voulant garder son pré carré pour des fins égoïstes.
En outre, il est recommandé de passer au peigne fin, des stratégies de résolution des défis qui semblent être des plus grands enjeux et ne doivent être négligés. En plus de la libre circulation des biens et services, l’enjeu des corridors de développement et la problématique de leur financement, la facilitation des échanges et la réduction des entraves au commerce en Afrique Centrale, notamment l’élimination des Barrières Non Tarifaires (BNT) et des questions aussi importantes que le développement des infrastructures intégrées, sont des préoccupations qui doivent être adressées avec grand soin.
Auteur : MBANDOMANE OYONO Paul Sénile
(Analyste et Spécialiste en intégration régionale)
1 Parce que les doubles appartenances dans ces deux blocs accablent les Etats membres d’une lourde charge financière, qui ne bénéficie pas au processus d’intégration régionale.
2 Article 26 de la Convention de Vienne de 1969. Locution latine signifiant que les parties sont désormais liées au contrat venant d’être conclu et qu’à ce titre elles ne sauraient déroger aux obligations issues de cet accord.
3 Allocution du Secrétaire Général AHMAD ALLAM-MI à la cérémonie d’ouverture des travaux du COPIL-RI CEEAC, le 19 juin 2019, à Libreville.