INTÉGRATION RÉGIONALEMAIN COURANTE

Prise en charge du Covid-19 : Quand tout le monde lui court après…

Selon des patients, les couloirs d’accès aux soins dépendraient de leur statut social.

Prise en charge soupçonnée d’être à la tête du malade

Remise de l’infection à coronavirus, Marie-Françoise Ewolo semble répondre à une question que nous ne lui avons pas posée: «Pouvez-vous nous raconter votre prise en charge, de votre séjour à l’Hôpital central de Yaoundé?» Empanachés, les mots de la présentatrice vedette du journal de 13 heures sur l’antenne radio de la Crtv sont un mélange de choses sensibles et de choses simples. «Un coup de fil matinal. C’est le Pr Eugène Sobngwui. Il est au cœur du dispositif de riposte contre la Covid-19 au Cameroun», détaille, sur Facebook, la journaliste du média à capitaux publics. De son propre aveu, elle était aux petits soins. «Probablement, son statut professionnel lui a été d’une grande aide», ironise, sous anonymat, un membre du Syndicat national des personnels médicosanitaires du Cameroun (SYNPEMS).

Pas d’aveuglement pour autant
Ces derniers jours, d’autres échos relatent une réalité inverse. Approchés par quelques chaines de télévision locales, de «petits noms» et bien d’autres sans-grades incorporent des éléments insolites dans leurs témoignages: l’argent et des drames de couts exorbitants; des questions d’identité sociale et de longues attentes, «avant tout». En termes plus polis, Manaouda Malachie lui-même s’en est offusqué. Dans une correspondance publiée le 16 avril 2020, le ministre de la Santé publique (Minsanté) a appelé cela «manœuvres peu recommandables dans la gestion de la pandémie de la Covid-19, notamment en matière de diagnostic et de prise en charge».

À le décrypter, ce regard froid porte à son incandescence ce qui braise dans les dessous des pavillons consacrés aux malades de la Covid-19 au Cameroun. «Là où mon père, malheureusement décédé, était interné, les malades faisaient souvent l’expérience d’une catégorisation. Deux ou trois s’en étaient tirés du fait de leur notoriété, des influences qu’ils peuvent avoir sur la société», expose Bertin Mvogo. Dans le récit de l’«ancien garde-malade», tout se tient droit, dans une géométrie têtue. «Dans le pavillon où était alité mon père, la prise en charge rapide et le statut social étaient liés, même en cas de décès. Quand votre malade crève et que son nom ne porte pas, vous vous retrouvez parfois à bricoler des trajectoires funèbres ponctuelles et risquées», affirme-t-il.

À l’Hôpital central de Yaoundé, Pr Pierre Joseph Fouda, le patron de cette unité de prise en charge de la Covid-19 dans la capitale camerounaise, ces accusations sont l’expression d’une absence de communication avec le personnel médical, et son cortège d’effets invalidants. Pour le praticien émérite, «les inégalités sociales ne sont pas en forme dans le cadre de la stratégie de riposte gouvernementale face à la Covid-19».
Tout en souscrivant à ce raisonnement, Dr Pascal Owona Otu, épidémiologiste, évoque plutôt le «tri des patients». Tiré selon lui des cours d’éthique médicale, l’exemple qu’il choisit parle de lui-même: «En cas d’accidents de voiture, on prend d’abord en charge les enfants, puis les parents, et, si on peut, les grands-parents. C’est triste, mais ça fait partie de notre quotidien».

Jean-René Meva’a Amougou

 

 

Certificat de genre de mort

Destin réanimé grâce à la Covid-19

En ces temps de pandémie, ce document officiel est exigé par les croquemorts de Yaoundé.

Papa M.H est mort le 28 mai 2020 au matin. Selon ses proches, l’octogénaire a succombé à «une très courte maladie, à la maison». «À l’Hôpital Jamot de Yaoundé, où nous avons décidé de conserver la dépouille, les préposés de morgue nous ont exigé un certificat de genre de mort avant toute chose. Nous n’en avions pas. On a fait le tour des morgues de la ville. Personne ne nous a acceptés. En martelant qu’il s’agit désormais de l’une des premières exigences administratives pour autoriser l’enregistrement d’un cadavre sur les fichiers de la morgue, les croque morts ont dit lutter contre la propagation du coronavirus», raconte le porte-parole de la famille. Au bord des larmes, ce dernier revoit les images de son géniteur inhumé le même jour au cimetière de Nkoabang (banlieue de Yaoundé).

Points de vue
Dans la capitale camerounaise, le débat a pour socle le contexte actuel de Covid-19 au Cameroun. Certains commentateurs anonymes se demandent ironiquement si, actuellement, tout décès est lié à la pandémie. D’autres envisagent plus sérieusement la «fin de la morgue». Rencontré à Emombo (Yaoundé IV), Jean-Marie Mbila ne cache pas sa crainte de voir émerger bientôt une situation capable de catalyser la colère populaire. «On a déjà interdit les mises en bière auxquelles participent plus de 50 personnes. Et quand on impose encore le certificat de genre de mort à tous, les gens sont poussés à bout dans leur douleur. C’est à se demander si le projet des autorités n’est rien d’autre que de favoriser un mécontentement supplémentaire au sein des familles endeuillées», peste l’agent agricole.

«Cette mesure aurait dû rester à la place qui est la sienne. À savoir applicable uniquement aux patients décédés dans une formation sanitaire agréée», tempère Sandrine Essoh. En critiquant avec véhémence l’exigence d’un certificat de genre de mort à tous les coups, cette fonctionnaire en service à Yaoundé dénonce «une logique qui profite de la pandémie Covid 19 pour opérer des blocages, au mépris du respect dû aux morts, quels qu’ils soient». Portant le fer dans les plaies de la gestion de la crise du coronavirus au Cameroun, notre interlocutrice crache à flots continus ce qui semble sa solution: «fermez alors toutes les morgues».

Rédigé par le médecin lorsqu’il constate la mort d’un patient, document essentiel pour déclarer le décès et autoriser la conservation de la dépouille ou l’inhumation immédiate de celle-ci, le certificat de décès devient un formidable outil. «Ce document est nécessaire dans la réalisation de nombreuses formalités pendant et après les obsèques» renseigne Me Claude Etoa Abena, avocat au barreau du Cameroun.

 

Contre la Covid-19

Les migrants africains sensibilisent à Yaoundé

Des équipes de citoyens étrangers installés dans la capitale camerounaise font passer le mot anticoronavirus dans les communautés.

 

Après avoir été formés à la communication entre pairs par une ONG internationale s’intéressant aux questions de santé publique, quelque 45 bénévoles sont au front de la lutte contre la Covid-19 à Yaoundé. Ils sont Rwandais, Sénégalais, Maliens et Tchadiens. Animateurs de la campagne baptisée «Corona-passe pas», lancée le 25 mai 2020, ils disent être, jusqu’au 11 juin prochain, le lien de la diffusion d’informations sur la Covid-19 dans les quartiers réputés fiefs des étrangers africains (Briqueterie, Ekié et Omnisports).

D’après Joël Gahindiro, rwandais et chef d’équipe, le programme répond à quatre objectifs: «initier une surveillance à base communautaire en se formant; élargir les activités de sensibilisation et de prévention dans le cadre de la riposte contre la pandémie; identifier les leaders communautaires locaux influents et capables de réaliser une communication sur les risques au travers notamment des radios communautaires; partager des idées nouvelles, des bonnes pratiques plus adaptées au milieu et à l’environnement culturel, social et sanitaire des étrangers africains vulnérables installés à Yaoundé».

Collectivement, ces bénévoles ont produit plus de 10 supports de sensibilisation sur la pandémie. Ces outils de communication étaient déployés sur des plateformes multimédias spécifiques à des contextes culturels particuliers. Ce dispositif se présente sous forme de photos et de vidéos, encourageant le lavage régulier des mains, les précautions pour la toux, la distanciation sociale et le fait de rester chez soi. Ils utilisent souvent des langues ou dialectes locaux. «En tant que migrant, c’est une initiative très importante pour moi. Je suis vraiment honoré de participer à la lutte contre le coronavirus au Cameroun, malgré les défis qui se présentent actuellement», explique Ebrima Sambo, bénévole sénégalais.

«Cette initiative est venue nous éclairer sur un sujet très important, mais qui était jusque-là méconnu de notre communauté. Avant cette séance d’information, on entendait uniquement parler du coronavirus à la radio et à travers des rumeurs. On n’était même pas surs que c’était bien réel. Aujourd’hui nous savons que le coronavirus existe vraiment et que nous pouvons l’éviter si nous respectons les gestes barrières dont l’agent de santé et d’hygiène nous a longuement parlé», se félicite Ibrahima Moukfeta, migrant malien résidant au quartier Briqueterie.

Bobo Ousmanou

Prisonniers atteints de Covid-19

Le principe de précaution comme premier soin à Kondengui

Un murmure de suivi au rabais traverse le pénitencier de la capitale.

Le coronavirus a franchi la porte de la prison centrale de Yaoundé. Démonstration par l’actualité recoupée par nos soins: au début du mois dernier, les avocats de Jean-Louis Beh Mengue se sont présentés, le 4 mai, devant les juges avec une copie du certificat médical attestant que leur client est atteint de la maladie. Comme l’ancien directeur général de l’Agence de régulation des télécommunications (ART), beaucoup de détenus testés positifs au Covid-19 sont conduits dans divers centres hospitaliers pour leur prise en charge. Aperçus ce 29 mai 2020 à l’Hôpital central de Yaoundé, les prisonniers sont d’abord tenus à l’œil, au nom du «principe de précaution». Toutefois, la camisole morale que nous brandissent leurs surveillants est la nécessité sanitaire. Sur le chemin qui mène au pavillon spécial Covid-19 de cette institution hospitalière, ils semblent avoir reçu l’instruction de guider «leurs malades» avec une rapière en faisant de grands moulinets pour tenir tout le monde à distance.

Un œil au pavillon
Comme le veut le protocole, le détenu «arrivant» est dépisté, même si celui-ci ne présente aucun symptôme. Ce matin, c’est trois prisonniers qui sont escortés. Trompant leurs névroses et leur culpabilité par un incontinent courage, ils marchent menottés, tremblant visiblement de ne pouvoir envisager le lendemain. Au moins, «leur état ne nécessite pas une hospitalisation pour l’instant.

Mais certains types de patients suscitent à la fois inquiétude et préoccupation, car ils peuvent aussi profiter de la Covid-19 pour s’évader», souffle une infirmière qui refuse de dévoiler le nombre total de cas reçus jusqu’ici. «Retenez juste que nous avons des prisonniers testés positifs», balance-t-elle, ennuyée par la présence d’un personnage revendiquant le statut d’activiste du Réseau des défenseurs des droits de l’homme en Afrique centrale (Redhac).

À l’aune de ce que l’activiste dit savoir de la situation, «c’est au moins une trentaine de cas depuis la semaine dernière». Qu’a-t-il vu depuis ce temps? «Des hommes et des femmes indignes d’un pays qui prétend, si l’on en croit les propos du président de la République et de son ministre de la Santé publique, lutter avec conviction contre la pandémie». Ses enquêtes au sein du pénitencier de Kondengui révèlent que la prise en charge des détenus s’apparente «à la roulette russe»: «Ce sont les détenus qui font la distribution des repas. Qui te dit qu’ils n’ont pas toussé au-dessus?», s’interroge-t-il.

Au service sanitaire de la prison, un responsable se refuse à tout chiffrage budgétaire consacré à la santé des détenus atteints de coronavirus. «Alors que la Covid-19 se propage au Cameroun, il est indispensable que les personnes détenues et leurs proches aient accès à des informations exactes au sujet de ce virus», a plaidé récemment Amnesty International dans un rapport. Selon l’ONG «les mauvaises conditions de détention dans ces établissements risquent d’en faire des épicentres de la pandémie, à moins que des mesures ne soient prises de toute urgence».

Rémy Biniou

 

Yaoundé

Le commerce des décoctions tient bon devant les hôpitaux

Issus de la pharmacopée locale, tisanes et autres breuvages supposés être des antidotes au coronavirus se vendent aux perrons des formations sanitaires.

Entrée de l’hôpital central de Yaoundé

Découvrir en chair et en os quelques héros de la pharmacopée traditionnelle, entendre leurs mots, acheter des flacons de tisanes anti-Covid-19. Rien qu’à l’entrée de l’Hôpital central de Yaoundé, charlatans et tradipraticiens anonymes se disputent l’affiche et tournent désormais, pour certains, devant d’autres formations sanitaires de Yaoundé. Dans un contexte où rien n’est assez risqué pour se soigner ou prévenir le coronavirus, beaucoup ont senti le filon. «Il y a une forte demande à satisfaire», justifie «Professor Johnson».

Originaire de la région du Nord-Ouest du Cameroun. L’homme se dit conscient de son potentiel. «Je soigne le corona et les gens le savent», assure-t-il en guise d’argument de promotion de son produit. «Préparée avec des plantes de qualité et un dosage adéquat, ma tisane a bon gout», vante-t-il ce 30 mai 2020. Vu la gravité de la situation, le natif de Mankon (département de la Mazam) a choisi de rester dans une gamme de prix réduits, n’excédant pas 1500FCFA le litre.

Pas cher…
Venu de l’Est-Cameroun, «Général Corona» a opté pour la même stratégie. Dans un sac porté en bandoulière, il confère une caution de qualité à son produit, tiré, d’après lui, des confins de la forêt de Moloundou. «C’est bon! C’est contre la maladie coronavirus. Je ne vends pas cher. Parfois, je fournis gratuitement à quelques personnes», allègue-t-il joyeusement. Quelques témoignages lui taillent d’ailleurs une jolie notoriété ici à l’Hôpital central de Yaoundé. Il se raconte qu’il a «tiré de la mort et en deux doses, prises en deux jours» un sportif.

Cette performance le galvanise pour opérer sur plusieurs marchés: «Hôpital général, je suis là-bas avec mon produit. Stade militaire aussi». Au parfum des chiffres inquiétants des cas confirmés de Covid-19 au Cameroun, «Général Corona» s’attache à remodeler chaque jour son business, mettant à contribution une discrète équipe publicitaire. «Les gens ne croient pas en ce que nous, les tradipraticiens, faisons. Ce sont les garde-malades que nous approchons, même si le malade lui-même est couché à l’intérieur de l’hôpital», avoue-t-il.

Avec son breuvage baptisé «Dernière chance», Amadou est aussi dans le coup. Sous le manteau, il vend son remède contre le coronavirus devant l’HCY depuis un mois. Mais déjà, il affiche deux ambitions très concrètes. La première: «produire plus, parce que la maladie tue déjà beaucoup de personnes». La seconde: «rencontrer Mgr Kleda pour un partenariat». Reste que dans ce tableau tenu par des certitudes difficilement vérifiables, la Covid-19 circule toujours.

 

 

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