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Printemps soudanais*

Un spectre hante le monde musulman : c’est le spectre de la liberté. Impossible de ne pas faire le parallèle. Simultanément ou presque, deux régimes politico-militaires, celui d’Alger et celui de Khartoum, doivent faire face à des révoltes populaires puissantes, mises en mouvement par une aspiration à plus de démocratie. Le premier a provoqué le départ d’Abdelaziz Bouteflika, après des semaines de protestations monstres. Le deuxième, selon un scénario similaire, a entraîné la chute d’Omar el-Béchir, dictateur sanglant, au pouvoir depuis des décennies au Soudan.

Dans les deux cas, on ne sait si cette première victoire débouchera sur une réelle émancipation. A Khartoum comme à Alger, c’est l’armée qui est aux commandes : les militaires des deux pays ont fini par céder à la rue en pressant le départ des deux potentats contestés par la population ; mais on les soupçonne fort de vouloir procéder à un simple ravalement du régime pour rester en place au sommet de l’Etat. Ainsi Algériens et Soudanais pourraient bien voir leur révolution confisquée par des généraux qui installeraient au pouvoir l’un des leurs, un peu plus présentable que son prédécesseur.

Mais quelle que soit l’issue de ces deux crises, une leçon s’impose. Le vent levé par le Printemps arabe de 2011 n’est pas retombé. On pouvait penser, avec une sorte de résignation, que le monde musulman était condamné, comme en Syrie ou en Egypte, à louvoyer entre Charybde et Scylla, entre les islamistes d’un côté et les régimes militaires de l’autre (avec une variante, comme au Soudan, où régnait un régime à la fois militaire et islamiste). Les événements récents montrent qu’un troisième acteur tient toujours son rôle : le peuple, excédé par la corruption et la répression, qui réclame, encore et toujours, plus d’honnêteté et plus de liberté.

Ainsi, au moment où, dans les anciens Etats de droit, la démocratie donne des signes de fatigue, elle reste une référence vivante, attractive, désirée, dans les pays tyrannisés par la soldatesque ou par l’intégrisme religieux. Une sorte d’internationale informelle de la liberté se manifeste, en Iran contre les mollahs, en Tunisie contre les islamistes, en Algérie contre le pouvoir du FLN, au Soudan contre le régime d’Omar el-Béchir. Souvent les femmes en sont les protagonistes les plus engagées (en Iran, au Soudan ou en Tunisie). Les chances d’une victoire démocratique restent minces, tant la force reste aux armes ou aux dogmes des fanatiques. Mais à coup sûr, dans ces sociétés d’oppression, le virus de la liberté est toujours actif.

 

*Lettre politique de Laurent Joffrin

dans Libération du 11 avril 2019

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