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Le président Macron ou l’incarnation de l’esprit colon français

Il est opportun de le rappeler clairement, le franc CFA n’est pas une monnaie comme toutes les autres : créé unilatéralement le 26 décembre 1945 par le général De Gaulle, avec pour objectif l’instauration de l’autorité monétaire française en Afrique, afin de mieux servir les intérêts de la France, il a fallu beaucoup de sang pour l’imposer dans notre continent, afin qu’il paraisse et représente ce qu’il est aujourd’hui pour les jeunes générations.

Daniel Yagnyè Tom est le représentant spécial de l’Union des populations du Cameroun (UPC) en Afrique centrale et australe. L’homme politique qui est par ailleurs président de l’Alliance patriotique commente et livre son sentiment sur la récente sortie médiatique du président français, Emmanuel Macron, sur les antennes de RFI.

Daniel Yagnyè Tom

Trois ans après son show de Ouagadougou où il avait affirmé qu’il n’y avait plus de politique africaine de la France, contraint par une montée imparable de la contestation de la présence française en Afrique, le président Macron s’est senti obligé de s’adresser encore une fois à la jeunesse africaine. Il s’est longuement confié à Jeune Afrique. Hautain, avec le mépris qui caractérise l’attitude française lorsqu’il s’agit de l’Afrique, le président français a évoqué avec condescendance le franc CFA, l’Algérie, le Mali, le Cameroun, etc. Comment comprendre cette intervention du chef de l’État français ? Avec cette sortie du président Macron, que pourrait-on attendre aujourd’hui de la France, quelle devrait être l’attitude de la jeunesse et des populations africaines ?

Un manque de respect et de considération, une légèreté maladive sur le franc CFA
Voici comment, avec une frivolité déconcertante, le président Macron a essayé de présenter sa « fin-réforme » du franc CFA: «Cette réforme importante, conclue par un accord signé lors de mon dernier voyage en Côte d’Ivoire, met fin à un marqueur très symbolique qui alimentait trop de fantasmes et de critiques».
À la française, comme lors des indépendances des années soixante où elle a fait semblant de partir du continent alors qu’elle s’y implantait encore plus dans la durée, Macron nous a présenté une « fin » du franc CFA qui n’en est pas une, ni une « réforme » du franc CFA qui en réalité n’en est pas une.
Le président français fait semblant d’ignorer ce que représente le franc CFA pour les populations africaines. Ce franc CFA rappelons-le, pour lequel il y a trois ans, il avait affirmé ceci: «si on ne se sent pas heureux dans la zone franc, on la quitte et on crée sa propre monnaie… si on y reste, il faut arrêter les déclarations démagogiques faisant du franc CFA le bouc émissaire de vos échecs politiques et économiques, et de la France, la source de vos problèmes». Du culot, il en faudrait une forte dose pour faire de pareilles affirmations.
Il est opportun de le rappeler clairement, le franc CFA n’est pas une monnaie comme toutes les autres : créé unilatéralement le 26 décembre 1945 par le général De Gaulle, avec pour objectif l’instauration de l’autorité monétaire française en Afrique, afin de mieux servir les intérêts de la France, il a fallu beaucoup de sang pour l’imposer dans notre continent, afin qu’il paraisse et représente ce qu’il est aujourd’hui pour les jeunes générations.
Tout d’abord, cette monnaie bien qu’usurpée par la France, est et a toujours été une propriété entièrement africaine, parce qu’exclusivement alimentée par les réserves africaines. Le franc CFA est un symbole de notre échec de nous affranchir de la France et la manifestation matérielle de notre servitude, qui devrait rappeler les rivières de sang versé par les nationalistes africains. Cette monnaie devrait donc toujours rappeler Sylvanus Olímpio, Barthélémy Boganda, Rúben Um Nyobe, Hamani Diori, Félix Moumie, Ernest Ouandié, Modibo Keïta, Thomas Sankara, … Cette monnaie telle que conçue est un sérieux obstacle pour le développement de l’Afrique. Ce n’est pas un hasard si l’on ne trouve aucun pays de la zone franc parmi les dix premières économies de notre continent. Un audit international sur la gestion et le fonctionnement du franc CFA pendant toutes ces décennies est donc indispensable, voire incontournable.

Aux Maliens et aux Camerounais
«La transition en cours au Mali est militaire et non démocratique», a asséné le président Macron. On aimerait bien savoir depuis quand le président français serait devenu citoyen malien, car de quoi se mêle-t-il ? Qu’est-ce qui le dérange au Mali ? Dans tous les cas, les patriotes maliens sont avisés, tous les coups contre eux seront permis. Ne commettez surtout pas les mêmes erreurs que les présidents Sankara et Gbagbo. Dotez-vous le plus rapidement possible de votre monnaie, car plus le temps passera, plus les manœuvres pour phagocyter votre transition se multiplieront. Serrez les ceintures à partir du sommet de l’Etat, et le peuple malien, mature et conscient des enjeux, pour son propre avenir et celui de ses enfants, suivra, car ce n’est qu’avec des sacrifices qu’une véritable nation se construit.

«Pendant très longtemps, le président Biya n’est pas venu en visite officielle en France. Nous avions eu des contacts par voie téléphonique, mais je lui avais demandé des gestes avant sa venue à Lyon, en octobre 2019. Il les avait faits, il y a un an, avec un certain nombre de libérations… J’invite le président Biya à effectuer des gestes d’ouverture. Lui aussi doit préparer le renouvellement et pacifier le pays…»

Ce petit paragraphe dévoile la véritable nature des relations France-Cameroun, ce qui devrait être non seulement une honte pour tous les Camerounais, mais aussi un défi pour les patriotes de notre pays, indépendamment de leurs couleurs politiques… Car, contrairement à ce qui s’est dit à gauche et à droite, il s’agit ici d’humilier tout un peuple par le biais de son chef d’Etat, en montrant clairement sa dépendance et comment son voyage en France a été conditionné. Il s’agit d’orienter la politique d’un pays qui se dit souverain en lui ordonnant une feuille de route!

L’ingratitude de macron et son mépris insultant pour la jeunesse africaine
«…Beaucoup de ceux qui donnent de la voix, qui font des vidéos, qui sont présents dans les médias francophones, sont stipendiés par la Russie ou la Turquie…»

Voilà ! Le président Macron finit par cracher le morceau en disant tout haut ce que pense la classe dirigeante française des africains : l’Afrique est incapable de faire un bilan de ce qui s’est passé entre elle et la France depuis le 27 août 1940.

Car c’est à partir de cette date à Douala que la France humiliée, piétinée et écrasée par l’annexion nazie a commencé à voir de la lumière au bout du tunnel. C’est à partir de cette date que l’espoir a commencé à renaître pour la France.

80 ans après la libération de la France par les soldats africains, que constatons-nous aujourd’hui? D’un côté, il y a une France devenue une puissance économique, financière et militaire, membre du Conseil de sécurité de l’ Onu avec un droit de veto; et de l’autre, une Afrique en proie au sous-développement et à la misère… Ces Africains qui, hier, ont été capables de verser généreusement leur sang pour la libération de l’Europe, aujourd’hui leurs fils et petits-fils seraient incapables de se battre pour leur souveraineté, au point où il faudrait qu’ils soient stipendiés par la Russie ou la Turquie.

La réconciliation des mémoires et l’histoire d’amour entre la France et l’Afrique
«…Les générations contemporaines africaines ont besoin de comprendre, de toucher, de posséder leur histoire, de se la réapproprier… le sujet n’est pas de demander des excuses pour la guerre d’Algérie. Mais nous devons regarder l’histoire en face… mener un travail historique et réconcilier les mémoires».

De belles paroles, de très belles paroles, mais entre ces phrases mielleuses et ce que fait la France en réalité, il y a un fossé infranchissable. «Les crimes de la colonisation sont incontestables; c’est un passé qui doit passer…» Le président Macron semble reconnaître les méfaits et les exactions de la colonisation, mais il ne veut rien assumer, puisqu’il demande aux africains d’oublier. Se cache-t-il derrière ce refus d’assumer et de demander des excuses une volonté de tuer les victimes une seconde fois ou la peur bleue des réparations? Elie Wiesel nous apprend que «le bourreau tue toujours deux fois, la seconde fois par l’oubli». Allez donc savoir ce qui se cache derrière cette phraséologie de M. Macron.

Le président français sait très bien que le franc CFA est une propriété exclusive de l’Afrique, mais au lieu de remettre tout simplement cette monnaie à l’Afrique, il s’obstine à faire des réformes bidonnes, afin de continuer à piller notre continent. Quel droit aurait la France à effectuer des réformes sur le franc CFA qui ne lui appartient pas ?
Comme l’un de ses prédécesseurs qui a affirmé à Dakar que l’Afrique n’était pas suffisamment ancrée dans l’histoire, le président Macron persiste dans la conception politique de Victor Hugo qui déclarait le dimanche 18 mai 1879 lors d’un banquet commémoratif de l’abolition de l’esclavage : «La Méditerranée a d’un côté la civilisation, de l’autre toute la barbarie et toute la sauvagerie…l’Afrique n’a que deux aspects, peuplée c’est la barbarie, déserte c’est la sauvagerie. Quelle terre que cette Afrique ? L’Asie a son histoire, l’Australie à son histoire, l’Amérique a son histoire, l’Europe à son histoire, l’Afrique n’a pas d’histoire, une sorte de légende vaste et obscure enveloppe… l’Afrique un bloc de sable et de cendre, une mort immense, ce morceau inerte et passif qui, depuis 6000 ans, fait obstacle à la marche universelle… C’est l’homme blanc qui a transformé le noir en homme pendant le 19ème siècle, c’est l’Europe qui transformera l’Afrique en monde au 20ème siècle… le moment est venu de dire au groupe des nations illustres, Grèce, Italie, Espagne, France, Angleterre… Unissez-vous, allez au sud… prenez l’Afrique. À qui ? À personne. Dieu offre l’Afrique à l’Europe. Prenez-là. Résolvez vos questions sociales, changez vos prolétaires en propriétaires…»

Il ne peut avoir d’histoire d’amour entre la France et l’Afrique avec une telle vision française de notre continent. Si la France veut avoir de bonnes relations avec les africains, son regard méprisant sur l’Afrique doit impérativement changer. Ceci est également valable pour l’ensemble de la presqu’île asiatique. L’Europe qui monte des murailles pour se protéger de l’«invasion» des africains, alors qu’elle proclame une ruée vers notre continent avec des affirmations que l’avenir de l’Europe est en Afrique.

Le président Macron apparaît dans l’interview avec un esprit et une mentalité de vieux colon dans un corps pourtant jeune. La FrançAfrique est un obstacle au développement de tout le continent africain, c’est une véritable gangrène, un cancer politique. On le vit avec ces entreprises françaises qui se comportent en véritables pirates et négriers modernes. La FrançAfrique ne sera vaincue qu’avec la mobilisation de l’Afrique entière, comme cela a été le cas lors de la lutte contre l’Apartheid en Afrique du Sud.

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