Tout pouvoir vient de Dieu

Tout pouvoir vient de Dieu : celui du chef traditionnel comme celui de Biya. La théorie de la présidence à vie est ainsi formulée pour la première fois le 28 octobre 2020 à Buéa par Atanga Nji, ministre de l’Administration territoriale, à la suite du massacre des élèves de la Mother Francisca International Academy en abrégé MOFRIBA. Jusqu’à présent, c’était plutôt un argument légal qui était brandi, à savoir que la constitution ne limitait pas le nombre de mandats du chef de l’état.

Devant les violations flagrantes de la même loi fondamentale, les dysfonctionnements et la fraude émaillant le processus électoral, on dénonçait avec un zèle inhabituel un complot imaginaire visant à déstabiliser les institutions. À défaut de convaincre, on assenait alors, dans son air le plus sérieux, que Biya était le moins mauvais choix. On voulait ainsi dire que pour le bien du pays, en réalité de quelques familles puissantes, il était souhaitable qu’il conserve le pouvoir.

On reconnaissait en coulisse son bilan catastrophique, ses manquements, ses errements, son mépris des siens, son absentéisme, le caractère tyrannique de son régime. Mais, on le préférait à un autre parce qu’on avait fini par s’habituer à lui. Il faisait partie du décor, comme sa photo qui trône dans les administrations et que toute caméra qui traîne dans ces lieux se doit de filmer. Pourtant, le 28 octobre 2020, alors que la nation tout entière, indignée et triste pleurait les assassinats ignobles de Jenifer Anamgnim, Princess Ngemone, Rema Zakame, Renny Ngwane, Syndi Chema, Telma Che, Victory Camibon, Atanga Nji allait faire une déclaration fracassante.

D’après le ministre, tout pouvoir vient de Dieu. Celui du chef traditionnel, il cita Chief Mukete assis dans la salle, y tire son origine. De même que celui du président de la République. C’est Dieu qui donne, disent les Évangiles, et c’est lui qui reprend. Dieu est le maître des horloges, affirment d’autres. En fait, il cherchait à démontrer que ceux qui détiennent le pouvoir ne sauraient être contestés. On voit ici le spectre de la guerre civile qui justement avait été déclenchée par ce pouvoir dont la seule et unique mission est de briser les corps et les esprits, de les maintenir le plus longtemps possible dans un statut d’indigènes, c’est-à-dire d’êtres tribaux n’ayant que des devoirs et pas de droits. Il assimilait donc le mode de désignation du chef traditionnel à celui du locataire du palais d’Etoudi.

Or, la réalité est toute autre. Le premier est choisi par son prédécesseur dans la famille régnante tandis que le second l’est par… le peuple. Oui, la constitution du Cameroun est claire à ce sujet. Puisque, en son article 6, elle stipule que le président de la République est élu au suffrage universel direct, c’est-à-dire par les citoyens. Mais, pour le ministre, c’est Dieu qui glisse les bulletins de vote dans les urnes. C’est lui qui procède au décompte des voix, lui qui transmet les chiffres aux organes de supervision du scrutin et encore lui qui annonce les résultats à travers les membres du Conseil constitutionnel, transformés pour l’occasion en de simples exécutants de son insondable volonté.

Dieu ! Comme si lui, Atanga Nji, il entendait les décrets de ce Dieu-là ! Comme si ce Dieu-là lui murmurait à l’oreille ou peut-être même lui parlait dans ses rêves du petit matin : « Alors, tu sais quoi, mon cher Paul, j’ai décidé de ceci ou de cela » Dieu n’est pas silencieux. Sa volonté n’est pas seulement contenue dans son livre, mais elle s’exprime à travers des individus qu’il aurait choisis. Si Biya veut être président à vie : c’est la volonté de Dieu.

En d’autres termes, la volonté de Dieu inspire directement Biya qui n’en est que l’exécutant. Par ailleurs, le rapprochement avec le Chief Mukete est signifiant, car il fonde le pouvoir de Biya dans la tradition, selon laquelle, pour le ministre, on est chef de son intronisation jusqu’à sa mort et on est succédé par sa descendance. Mais, il s’agit ici d’une lecture tronquée de la coutume puisque dans de nombreuses tribus, la destitution du chef était dans l’ordre des possibilités. Sa longévité était plutôt le signe de la prospérité, de la justice, de la paix que son règne assurait à la collectivité.

Ce qui est grave dans ce parallélisme entre le chef traditionnel et le président de la République est l’oubli, disons-le autrement, la mise en terre de la constitution et son remplacement par la Bible qui elle-même est postérieure à l’institution cheffale : nous avions déjà des chefs avant de connaître et d’adopter la Bible. Cet abandon de la loi fondamentale nous propulse soudain dans la mentalité de ceux qui détiennent le pouvoir au Cameroun.

Ils se sentent donc investis par Dieu. Ils sont la manifestation de sa volonté. Et comme Dieu, pour eux, est au-dessus de la nation, au-dessus des hommes, alors on peut ensevelir la constitution et ouvrir la Bible. Le ministre avait l’assurance d’un croyant qui a retenu ses cours de catéchismes. Il va certainement à la messe tous les dimanches, il prie avant de manger et de se mettre au lit.

À moins qu’il soit membre d’une de ces églises éveillées dont la fonction saute brutalement aux yeux : justifier le pouvoir de ceux qui le détiennent et contrôler, juguler la colère qui bout dans les veines du peuple dont l’âge médian est 19 ans, un peuple en quête de changement, c’est-à-dire d’un pays s’étant enfin affranchi de ses structures esclavagistes et coloniales, un peuple en quête de bonheur et de paix véritable, non celle imposée par la répression, après un conflit fratricide qui dure depuis 4 ans et a fait selon certaines estimations plus de 10 000 morts et 1 million de déplacés internes et externes. Il parlait donc avec assurance.

Il était sûr de son propos, de sa place du bon côté de l’histoire. D’ailleurs, son langage corporel le trahissait, puisqu’il martelait du poing gauche la paume de sa main droite : « Romains 13, lança-t-il à l’auditoire, verset 1 à 5. » Il s’agit bien entendu de la lettre de Paul, l’apôtre du Christ, aux Romains. L’autorité vient de Dieu et ceux qui lui résistent s’opposent à Dieu, dicta Paul à son scribe Tertius. Avant d’ajouter que le magistrat est le serviteur de Dieu et que tout un chacun doit lui être assujetti.

En filigrane, le ministre lançait ce message à la population anglophone : « Soumettez-vous à l’État, comme l’exigent les Évangiles. Arrêtez de soutenir, de protéger les indépendantistes qui ont désobéis à l’État et donc à Dieu. » Ce qu’il dissimula habilement, c’est que l’apôtre Paul écrivit aux Juifs de Rome dans un contexte particulier. En effet, ceux-ci formaient une communauté mal acceptée qui avait été exclue par décret. Elle était en danger, sujette à de nombreuses persécutions. Pour sa sécurité et sa survie, elle n’avait pas d’autre choix que la soumission aux autorités romaines.

Ainsi, on peut affirmer que le ministre de l’Administration territoriale tenta d’instrumentaliser la lettre de Paul, ce qui ne pouvait pas laisser indifférent dans cette ville de Buéa où le christianisme, apporté un siècle et demi plus tôt par les évangélistes Joseph Merrick et Alfred Saker est profondément ancré. 

Au beau milieu du discours, une fervente entra en scène : «Objection !» cria-t-elle à trois reprises. Ce simple mot produisit l’effet d’une arme à feu. Il glaça tout le monde. Les muscles soudain se tétanisèrent. Les bras se crispèrent. Les jambes se croisèrent. Les poumons cessèrent de brasser l’air de la salle qui devint irrespirable. En fait, elle voulait dire au ministre si sûr de lui : « Ferme ta gueule ! » Oui, on aurait dit que cette inconnue, surgie de la lumière comme un ange, lui avait assené une claque au beau milieu du visage avant d’ajouter : «Lock ya mop tara !» Cette femme s’appelait Mary comme la mère de Jésus. Elle fréquentait l’église dirigée par Boniface Tamungwa, le père de Victory Camibon, une des victimes. Son « objection » serait entrée dans l’histoire si elle s’était suivie de silence. Elle aurait rétabli la république qu’Atanga Nji venait d’enterrer avec pour linceul sa propre constitution. Mais, elle se lança dans une ritournelle évangéliste.

Plus tard, elle se présenta comme une messagère de Dieu, avertissant que Biya doit quitter le pouvoir parce qu’il a échoué, sinon d’autres drames frapperont le pays à commencer par le palais d’Etoudi. Cette incursion, pour le moins ratée, nous ramène donc au ministre, à l’endroit précis où il avait été interrompu.

Inconsciemment, il offrit aux Camerounais un cadeau d’une valeur inestimable, en leur dévoilant les croyances profondes de ceux qui les dirigent, et en formulant dans des termes accessibles à tous leur théorie de la présidence à vie. Désormais, les Camerounais savent pourquoi Biya doit régner jusqu’à ce qu’il rende son dernier souffle. Ils savent aussi pourquoi on tentera de le remplacer par… son fils. C’est la volonté de Dieu ! Qui, qui va donc oser défier Dieu ?

Timba Bema, écrivain

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