Réussite
Exit la première édition du Salon africain de la femme rurale (Safer). Après Yaoundé, les regards se tournent désormais vers Malabo en Guinée Equatoriale, où se tiendra l’édition 2024. En l’annonçant ce 17 novembre 2023 dans son discours de clôture du Safer 2023, la ministre camerounaise en charge de la Promotion de la Femme et de la Famille (Minproff) proclame l’attention et la bonne volonté des décideurs politiques africains à l’égard des femmes rurales du continent. «Avec la réussite éclatante de la première édition, le Safer s’est assuré une assise crédible». En droite ligne du constat que pose le Pr Marie-Thérèse Abena Ondoa, les participantes venues du Cameroun, de Tunisie, de Guinée Equatoriale, du Gabon, de la République Centrafricaine, du Tchad, du Sénégal et de Sao Tome et Principe, reprennent en chœur l’hymne de la satisfaction. Pour l’essentiel, celui-ci s’exprime en référence «au savoir-faire diplomatique du Cameroun et à la mobilisation de son gouvernement», comme le souligne le rapport général des assises de Yaoundé. Le document indique que du 13 au 18 novembre 2023 au Palais Polyvalent des Sports de Yaoundé, il y a eu une véritable effervescence, un espoir de changer la condition de la femme rurale africaine. Avec en toile de fond le thème sur «La Femme Rurale, mamelle nourricière de l’Afrique: comment capitaliser son savoir-faire pour en faire une meilleure productrice de richesses?». A travers cette question nodale et décisive, le Safer 2023 s’est attaché à jeter les bases d’accompagnement de l’autonomisation de la femme vivant en milieu rural. Il amorce la valorisation de sa contribution dans la production et la transformation des produits agropastoraux et cosmétiques, l’amélioration de la sécurité alimentaire et nutritionnelle, la gestion durable des ressources, le renforcement des capacités d’adaptation face aux changements climatiques et la réduction de la pauvreté. Mais alors, quelle recette appliquer? Quels obstacles sont clairement identifiés? Autant de questions qu’aborde le présent zoom.
C’est la principale exhortation faite aux participantes à la première édition du Safer.
«Que la femme rurale africaine soit enfin portée par les discours politiques». À Yaoundé, ce 17 novembre 2023, l’idée fait consensus, tant parmi les scientifiques que dans diverses délégations présentes à la première édition du Safer. À l’opposé de ceux qui voient un fort décalage entre attentes et engagements, Aimée Léocadie Tsimi brandit la logique top-down. «Les réflexions sont menées par les femmes rurales elles-mêmes et mises en œuvre par les États», explique la présidente de la Confédération des femmes rurales productrices et transformatrices des produits agropastoraux et cosmétiques d’Afrique (CTPA). Pour permettre de bien comprendre, l’économiste camerounaise Anne Bapeck estime que la tenue du Safer traduit «une nouvelle réflexion plus ouverte sur différents niveaux de compétences».
Exposés
Pour qui accepte le tableau brossé, il doit être clair que le défi que représente la valorisation de la femme rurale africaine appelle des exposés en rapport avec le thème choisi. Cela vaut pour Danielle Nlate. Dans sa leçon inaugurale, la présidente du Réseau des Femmes actives d’Afrique centrale (Refac) et vice-présidente de la Foire transfrontalière d’Afrique centrale (Fotrac), présente «les enjeux, défis, et opportunités de la Zlecaf pour l’accès des femmes rurales au marché unique continental». Danielle Nlate encourage ainsi les femmes rurales à faire de la Zlecaf une clé pour la promotion de leurs produits. «Chères sœurs et femmes rurales africaines, votre courage et votre audace reconnus dans les hautes sphères de décision devraient plus encore vous faire grimper dans le train de la Zlecaf, pour que vive la femme rurale, moteur incontestable du véhicule «Made in Africa» pour nourrir et soigner l’Afrique notre cher et beau continent», conclut-elle.
Selon des observateurs, cet enchaînement est moins futile qu’il ne paraît. Il balise la manière dont les femmes rurales devraient s’approprier certaines opportunités. «Les femmes sont dans tous les combats pour l’accès aux besoins essentiels des populations. Même si au prix de multiples efforts, certaines sont parvenues à acquérir leur «autonomie», la grande majorité végète dans une précarité socio-économique qui constitue une barrière. Leurs aspirations ne sont pas toujours suivies d’effets malgré les nombreuses politiques de développement mises en place en leur faveur. Rien qu’entre les femmes paysannes, moins formées, et les citadines bien formées, il existe des spécificités dans les revendications. Les politiques mises en œuvre n’ont pas suffisamment pris en compte la variable différentielle entre les femmes vivant dans le milieu rural et celles des milieux urbains. Même la journée du 15 octobre qui leur est dédiée passe généralement inaperçue. La célébration d’une telle journée a toujours manqué d’impact contrairement à la Journée Internationale de la Femme célébrée de manière plus éclatante. Il est temps que la femme rurale africaine sorte de ce carcan aliénant», suggère Esther Nkolo Abomo, autre économiste camerounaise. Et parmi les arguments qui font scintiller un autre monde possible, la socio-économiste tchadienne Édith Sajebadoewa parle de «prise de conscience».
Jean-René Meva’a Amougou et Olivier Mbessité
Ils ont dit
Elisabeth Makota, directrice de la Promotion de la Femme au Minproff
«Au cœur de l’économie domestique»
«Il faut relever que les femmes occupent sur le continent africain une place centrale dans l’agriculture vivrière. Elles sont présentes sur tous les maillons de la chaine de valeur, allant de la production à la commercialisation, en passant par la transformation des produits vivriers. Au cœur de l’économie domestique, elles jouent un rôle social essentiel au bien-être des communautés rurales et urbaines. Cependant, cette couche de la population est celle qui a le moins accès aux actifs (terres, équipements, formations, services ruraux, etc.) à côté des charges familiales qu’elles portent. Pourtant, les observations ont montré la résilience dont elles ont témoigné lors des périodes critiques (covid-19, bouleversement des marchés internationaux, etc.), prouvant ainsi la capacité́ des femmes à réagir pour lutter contre l’insécurité́ alimentaire avec une forte dose d’inventivité́».
Yvette Fouda, présidente du collectif de femmes rurales du Centre
«Le Safer a permis de soulever publiquement des problèmes»
Il est logique de constater que les problèmes des femmes restent encore «cachés» en milieu rural. Le Safer a permis de les soulever publiquement et de dénoncer le contrôle patriarcal que nos sociétés exercent sur la conduite féminine. Les us et coutumes présents dans les espaces publics mettent clairement en évidence l’autorité masculine en zone rurale, où la pression sociale est plus forte, du point de vue des traditions culturelles présentes dans les espaces publics, des usages de la langue, des valeurs religieuses, etc. Dans certains cas, il arrive même que les femmes renoncent à leur propre réalisation personnelle. Je suis contente qu’au cours de cette première édition du Safer, l’on a abordé ces problèmes qui, chaque jour, augmentent la vulnérabilité de la femme en général et la femme rurale en particulier.